Dans le monde judiciaire, un magistrat à titre temporaire (MTT) est un vacataire. Voici un entretien avec un de ces soutiers discrets et indispensables de la machine juridictionnelle :
Comment la justice a-t-elle fait face à la période de confinement ?
Elle ne s’est pas arrêté de fonctionner. D’ailleurs, la Cour de cassation a diffusé un communiqué de presse le 23 avril dernier à la suite de propos émanant de plusieurs avocats insinuant que les magistrats avaient déserté les tribunaux pendant l’état d’urgence. La justice a activé un plan de continuation d’activité pour assurer certaines activités pénales. Il d’ailleurs amusant de constater que les audiences civiles ont reprises depuis le 11 mai et que les salles d’audience sont désertées par la plupart des avocats.
Les magistrats avaient-ils la possibilité d’opposer un droit de retrait ?
Le droit de retrait est vulgarisé dans les médias, sans rappeler la définition exacte de ce droit qui est très encadré. Comme partout, les magistrats n’étaient pas dotés de gants, de masques ou de gel désinfectant, et nombreux ont été les malades. En revanche, une note du 31 mars 2020 de la garde des sceaux a rappelé que par principe il ne serait pas fait appel aux MTT, magistrats à titre temporaire. Il n’empêche que la hiérarchie n’a pas hésité à accepter le volontariat des MTT tout en leur rappelant l’existence de cette note.
Magistrat à titre temporaire, c’est quoi ?
Les magistrats à titre temporaires relèvent d’un statut de vacataire*. Donc, ils répondent à un besoin ponctuel et non permanent, et sont rémunérés à la vacation, c’est-à-dire une sorte de « forfait » englobant tout à la fois la préparation d’une audience, la présidence de l’audience, et la rédaction des jugements. Ce statut est ancien. Les MTT en poste ont néanmoins subi une baisse de leur rémunération du fait de l’entrée en vigueur au 1er juillet 2017 de la loi du 8 août 2016 supprimant les juges de proximité pour leur reconnaître le statut de MTT. Sans compter que les besoins dits ponctuels sont devenus permanents dans de nombreuses juridictions avec des plannings établis pour un semestre par avance, les magistrats en place ayant moins de charges de travail grâce aux MTT qui les soulagent.
* NB : point parfois débattu en droit et susceptible de l’être.
Ces juges de proximité qui n’avaient pas forcément bonne réputation car issus de la société civile ?
Exactement. Les juges de proximité ont été créés en 2002 pour pallier au manque de magistrats. Ils n’ont pas fait l’école nationale de la magistrature, ce sont des juges non professionnels. Mais ils sont formés (formation probatoire), évalués et recrutés par la justice. Des rapports démontrent que les jugements rendus par les juges de proximité ne faisaient pas plus l’objet d’appel que ceux des magistrats titulaires. Mais ces derniers ne les considèrent pas comme leur égal, bien au contraire, bien qu’aucun tribunal ne veut s’en séparer. Au pénal, ils ont la qualité d’assesseurs, là où les titulaires ne veulent pas perdre de temps car ils en disposent peu. Au civil, ils soulagent le travail des magistrats titulaires quand le contentieux ne cesse d’augmenter. Lors de la reprise de l’activité judiciaire au 11 mai, les masques lavables et réutilisables sont donnés aux magistrats titulaires, voire des visières. Les MTT n’ont que des masques jetables. Selon une note de la direction des services judiciaires, les MTT âgés de plus de 65 ans doivent obtenir un certificat médical et une attestation de leur volonté pour reprendre leur activité au 11 mai. La question ne s’était pas posé pendant le confinement, malgré l’absence de protection.
Les magistrats à titre temporaire sont-ils mieux rémunérés s’ils font beaucoup de vacations ?
Question pertinente ! La vacation amène à des injustices. Les débats parlementaires lors de la création des juges de proximité évoquaient une indemnisation à la présence, soit une demi-journée pour présider une audience. Ce n’est pas la réalité en termes d’investissement de travail. Pour une audience civile, le nombre de dossiers peut varier à une vingtaine comme à Paris ou à une trentaine ou quarantaine voir davantage. A une quarantaine de dossiers, et selon la complexité des affaires, il est courant de passer 35 heures pour la rédaction des jugements de cette audience. Tous les magistrats ont passé la première semaine de confinement à rédiger les jugements civils, et c’était presque un soulagement : enfin du temps pour le faire ! Faites le calcul rapporté au forfait vacation : la préparation en amont, les 5 ou 6 heures de présidence, et les 35 heures de rédaction de jugement font une rémunération avoisinant peut être 12 euros brut de l’heure dans le meilleur des cas. Sans compter l’absence de congés payés ou l’impossibilité d’être pris en charge en cas d’arrêt maladie car si vous êtes malade, vous n’êtes pas payé. C’est pourquoi de nombreux MTT préfèrent privilégier des activités pénales en correctionnel et en comparution immédiate, sans rédiger de jugement. Dans la région de Nantes, une audience de comparution immédiate peut durer 2 à 3 heures maximum et n’implique pas nécessairement de rédiger un jugement. Sur Paris et Bobigny, elle s’achève souvent après minuit et dure souvent plus de 10 heures, sans compter les heures de consultation du dossier avant l’audience. Pourtant, le forfait est le même. Est-ce juste ? Il est donc plus avantageux financièrement de faire du pénal qui demande beaucoup moins d’heures et l’équivalent de trois vacations, tandis qu’au civil l’équivalent de 5 vacations pour une quarantaine d’heures de travail est dérisoire. Et puis la réforme de 2017 a été l’occasion de baisser ici et là le nombre de vacation. Ainsi une journée de formation obligatoire est assimilé à 0.5 vacation et non plus 1 vacation, ce qui équivaut à une cinquantaine d’euros brut la journée (8€ de l’heure !), et la vacation prévue pour indemniser la présence à une réunion de service a été supprimée (du bénévolat !). J’entends dire « quoi, vous êtes payé pour être formé ? », je signale seulement que la formation des salariés ou des fonctionnaires titulaires se fait sur le temps de travail et donc ils sont rémunérés de fait. De plus, avec le confinement issu des mesures gouvernementales, les audiences civiles ont été supprimées et souvent non reportées. Aucune rémunération aucune indemnisation chômage n’a été accepté pour les MTT aucune cotisation retraite par voie de conséquence. La situation a été dramatique pour certains comme les mères célibataires. Car si une majorité des MTT sont des retraités percevant une pension, d’autres n’ont pas d’autres sources de revenus en exerçant cette activité à titre principal. Certains MTT ont obtenu l’attestation employeur Unedic pour Pôle emploi en mentionnant l’existence d’un contrat à durée déterminée (ce qui est faux pour un vacataire) et la date d’échéance de fin de mandat. Pôle emploi a donc considéré qu’ils étaient contractuels et n’avaient pas à être indemnisés, là où le ministère ne veut pas les indemniser. Plusieurs syndicats se sont adressés au Premier ministre. Mais qui s’intéresse aux MTT ?
Certes, mais c’est normal si le service n’a pas été effectué non ?
Pensez-vous ? La fonction publique prévoit que le vacataire est payé pour ses vacations après service fait. Les salariés au chômage technique ont perçu leur salaire à hauteur de 84 %, les agents publics ont été mis en autorisation spéciale d’absence, et tout ce monde ne travaille pas tout en étant rémunéré. Pourquoi les MTT empêché de travailler à cause du confinement et de la fermeture des tribunaux ne sont ni rémunérés ni indemnisés ? Parce qu’ils n’ont pas fait leur vacation ? Parce qu’ils n’ont pas travaillé ? …Tout comme les salariés et les agents publics qui sont restés confinés chez eux, non ? Les vacataires de l’éducation nationale ont été pris en charge, ont-ils travaillé tous les jours initialement planifiés ? non. Par ailleurs, les MTT ne sont quasiment jamais rémunérés à service fait. Un décalage de trois à quatre mois est courant, quand ce ne sont pas les restrictions budgétaires qui bloquent les paiements en fin d’année pour les reporter l’année suivante.
Passé de juge de proximité à « magistrat », est-ce gratifiant ?
Sans doute, mais personne ne connaît la distinction. Personne n’a idée du montant de la rémunération rapportée au nombre d’heures passées à rédiger les jugements civils au-delà de la présence à une audience. Personne ne sait que la résolution des procédures écrites en matière civile ne sont pas rémunérées. C’est un peu comme les conciliateurs de justice. Ils passent des heures dans leur travail et ce sont des bénévoles qui se battent parfois un an pour obtenir le remboursement de leurs frais téléphoniques. Pourtant, depuis le 1er janvier 2020, la conciliation est obligatoire en matière civile sous peine d’irrecevabilité d’une affaire. Beaucoup de tribunaux ne soulèvent pas cette irrecevabilité car ils n’ont pas suffisamment de conciliateurs de justice pour traiter les dossiers. Ce qui est logique. En l’absence de rémunération les jeunes ne peuvent pas s’orienter vers cette voie malgré l’intérêt de la tâche. Quant aux MTT, ils restent des juges non professionnels peu reconnus par certains magistrats dits professionnels, deux mondes coexistent.
Quel regard portez-vous sur la justice française ?
Travailler au sein de la justice est passionnant. Le manque de moyens est affligeant. Le ministère de la justice a toujours souffert du manque de moyens budgétaires en France à l’inverse des pays de l’Union européenne. Pour preuve, l’impossibilité pour les magistrats d’avoir leur propre code. La mise en place en 2017 de la réforme sur les tribunaux de police désormais rattachés au tribunal judiciaire a été une catastrophe. Les juges de proximité, devenus MTT, étaient compétents pour toutes les contraventions de 4ème classe. Des audiences de police ont été supprimées pendant près d’une année, amenant à la prescription de nombreuses affaires contraventionnelles. Mon ressenti est que les magistrats titulaires privilégient le correctionnel. Pourtant, la CEDH ne cesse d’être saisi par des questions liées au contentieux routier, la délinquance routière s’aggrave, la violence se généralise au travail et dans l’espace public. Ces « petites » affaires contraventionnelles amènent bien souvent à des délits comme des dénonciations mensongères ou des usurpations d’identité en matière routière, quand ce ne sont pas des violences répétées de plus en plus graves et de la maltraitance sur enfant. Au final, ce sont les policiers qui accusent de laxisme les magistrats, leur donne la réputation d’être très bien rémunérés, et les médias se délectent des erreurs judiciaires que je comprends au regard de l’amplitude et du nombre d’heures travaillées. La question est de savoir si vous devez tout accepter quand vous aimez quelqu’un ou quand vous aimez un travail. Même si vous aimez votre travail, il arrive un temps où vous pouvez ne plus accepter les conditions imposées…