Nouveau « pseudo rescrit préfectoral » : décret au JO de ce matin

La loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique était riche de nombreuses dispositions… Voir :

 

Une des nouveautés en fut le « pseudo rescrit préfectoral » (terme qui ne figure pas ainsi dans le texte naturellement), prévu à l’article 74 de cette loi et qui a donné lieu à un décret 2020-634 du 25 mai 2020 au JO de ce matin.

 

 

 

I. Quand les collectivités peuvent-elles faire usage de ce régime ?

 

Avant l’adoption de l’acte. Il ne s’agit donc pas d’adopter l’acte puis de demander son avis au préfet, ou de lui demander comme cela est possible depuis les années 80 un certificat de non déféré, mais bien d’une procédure préalable avant l’adoption de l’acte. Avant une délibération, avant la prise d’un arrêté ou d’une décision…

 

II. Est-ce obligatoire ?

Non la nouvelle procédure est tout à fait facultative, pour les collectivités. Et en réalité plutôt facultative (c’est là tout le problème !) du point de vue de l’Etat comme nous le verrons ci-après.

 

III. A qui ce régime est-il ouvert ?

Aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu’à leurs EP (établissements publics), cette dernière catégorie étant variée (régies personnalises, CCAS et CIAS, caisses des écoles constituées en EP…).

 

IV. Que demande-t-on au préfet, alors ?

La collectivité ou le groupement ou l’EP saisit le préfet en charge du contrôle de légalité :

« d’une demande de prise de position formelle relative à la mise en œuvre d’une disposition législative ou réglementaire régissant l’exercice de leurs compétences ou les prérogatives dévolues à leur exécutif. »

Il ne s’agit donc pas de « balancer » sauvagement un projet d’acte en préfecture mais bien de poser une question sur l’état du droit, d’une part, et de transmettre le projet d’acte, d’autre part. Citons de nouveau la loi nouvelle :

« La demande est écrite, précise et complète. Elle comporte la transmission de la question de droit sur laquelle la prise de position formelle est demandée ainsi que du projet d’acte.»

 

V. Il s’agit donc un peu d’un rescrit comme en matière de fiscalité, de social ou de quelques autres matières ?

 

OUI un peu.

Bien connue des fiscalistes, la procédure de rescrit permet à tout contribuable de demander à l’administration fiscale d’exprimer sa position sur une disposition précise ; dans ce cas, la réponse de l’administration et l’interprétation de la règle fiscale qu’elle donne pourra lui être opposée par la suite. Ce régime a été étendu ensuite en matière sociale, puis largement à d’autres domaines, dont l’urbanisme, les archives, les agences de l’eau… par la loi ESSOC (société de confiance, droit à l’erreur ). Voir :

 

MAIS nous ne sommes pas vraiment en situation de rescrit.

Nous y sommes un peu car :

  • il y a bien l’idée de transmettre un acte non pas pour avis simple comme avant la loi engagement et proximité, mais bien d’avoir un avis qui lie ensuite l’Etat
  • et en effet, si l’acte adopté in fine par la collectivité (ou son groupement ou son EP) est conforme à la prise de position formelle du préfet, ce dernier ne peut pas, ensuite, au titre de la question de droit soulevée et sauf changement de circonstances, le déférer au tribunal administratif. Il peut naturellement le déférer au titre d’autres points que ceux sur lesquels il a été saisi, mais pas se déjuger sur les points sur lesquels il s’est ainsi prononcé.

Mais, et c’est là que le bât blesse… le préfet ne peut pas se déjuger sur les points sur lesquels il s’est ainsi prononcé.

Car, et c’est là un point central :

  • d’une part libre à l’Etat de rester silencieux sur ce point
  • d’autre part ce silence peut être long, très long.

En effet, le texte précise que :

« le silence gardé par le représentant de l’État pendant trois mois vaut absence de prise de position formelle.

 

VI. Que précise le nouveau décret ?

 

Dès demain 28 mai, le nouveau décret sera en vigueur. Celui-ci organise la formalisation des échanges entre l’autorité de saisine et le représentant de l’Etat compétent au titre du contrôle de légalité de l’acte concerné, en :

  • fixant les conditions de la saisine du représentant de l’Etat, et ce de marnière à la fois très souple… et très large (il sera facile au Préfet de refuser des demandes pour cause d’incomplétude vu le flou de ce décret. Cela dit il était sans doute difficile de faire autrement). Tout moyen est admis sous réserve :
    • de permettre d’apporter la preuve de la réception ;
    • d’être écrite et signée par une personne compétente pour représenter l’auteur de la demande ;
    • de comprendre :
      • le projet d’acte relevant des attributions du demandeur
      • la présentation claire et précise de la ou des questions de droit portant sur l’interprétation d’une disposition législative ou réglementaire directement liée au projet d’acte.
      • un exposé des circonstances de fait et de droit fondant le projet d’acte ainsi que de toute information ou pièce utile de nature à permettre à l’autorité compétente de se prononcer.
  • précisant que délai au terme duquel le silence gardé par le représentant de l’Etat vaut absence de position formelle court à compter de la date de réception de la demande ou, le cas échéant, à compter de la date de réception des éléments complémentaires demandés.
  • permettant symétriquement à l’Etat de transmettre la prise de position formelle par tout moyen permettant d’apporter la preuve de sa réception.

     

Ce décret avait été globalement approuvé par les associations d’élus (voir par exemple https://www.maire-info.com/vie-publique/les-maires-peuvent-desormais-demander-un-contrôle-de-legalite-de-leurs-actes-avant-de-les-adopter-article-24245).

 

 

 

Voici les dispositions législatives et réglementaires nouvelles, insérées au CGCT :

 


 

« Chapitre VI

« Demande de prise de position formelle 

« Art. L. 1116-1. – Avant d’adopter un acte susceptible d’être déféré au tribunal administratif, les collectivités territoriales ou leurs groupements ainsi que leurs établissements publics peuvent saisir le représentant de l’État chargé de contrôler la légalité de leurs actes d’une demande de prise de position formelle relative à la mise en œuvre d’une disposition législative ou réglementaire régissant l’exercice de leurs compétences ou les prérogatives dévolues à leur exécutif. La demande est écrite, précise et complète. Elle comporte la transmission de la question de droit sur laquelle la prise de position formelle est demandée ainsi que du projet d’acte.

« Le silence gardé par le représentant de l’État pendant trois mois vaut absence de prise de position formelle.

« Si l’acte est conforme à la prise de position formelle, le représentant de l’État ne peut pas, au titre de la question de droit soulevée et sauf changement de circonstances, le déférer au tribunal administratif.

« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’Etat. » 


 

 

Décret n° 2020-634 du 25 mai 2020 portant application de l’article L. 1116-1 du code général des collectivités territoriales relatif à la demande de prise de position formelle adressée au représentant de l’Etat

NOR: COTB2007807D

« Chapitre VI
« Demande de prise de position formelle
« Art. R. 1116-1. – La demande de prise de position formelle mentionnée à l’article L. 1116-1 est transmise au représentant de l’Etat par tout moyen permettant d’apporter la preuve de sa réception.
« Art. R. 1116-2. – La demande de prise de position formelle est écrite et signée par une personne compétente pour représenter l’auteur de la demande.
« Elle comprend le projet d’acte relevant des attributions du demandeur ainsi que la présentation claire et précise de la ou des questions de droit portant sur l’interprétation d’une disposition législative ou réglementaire directement liée au projet d’acte.
« Elle est assortie d’un exposé des circonstances de fait et de droit fondant le projet d’acte ainsi que de toute information ou pièce utile de nature à permettre à l’autorité compétente de se prononcer.
« Si la demande est incomplète, le représentant de l’Etat invite son auteur à fournir les éléments complémentaires nécessaires dans les mêmes formes que celles prévues à l’article R. 1116-1.
« Art. R. 1116-3. – Le délai mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 1116-1 au terme duquel le silence gardé par le représentant de l’Etat vaut absence de position formelle court à compter de la date de réception de la demande ou, le cas échéant, à compter de la date de réception des éléments complémentaires demandés.
« Art. R. 1116-4. – La prise de position formelle est transmise au demandeur par tout moyen permettant d’apporter la preuve de sa réception.
« Art. R. 1116-5. – Lors de la transmission de l’acte définitivement adopté au représentant de l’Etat ou, le cas échéant, au délégué dans l’arrondissement du représentant de l’Etat dans le département, dans le cadre de l’exercice du contrôle de légalité, l’auteur de la demande de prise de position formelle joint à l’acte transmis la prise de position formelle. »

Article 2

Le ministre de l’intérieur, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et le ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait le 25 mai 2020.

Edouard Philippe

Par le Premier ministre :

Le ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales,

Sébastien Lecornu