N° 109
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020
25 juin 2020
RÉSOLUTION
pour une nouvelle ère de la décentralisation
Le Sénat a adopté la résolution dont la teneur suit :
Voir le numéro :
Sénat : 515 (2019-2020).
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Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1er et 24 et le titre XII de la Constitution,
Vu la charte européenne de l’autonomie locale,
Vu le code général des collectivités territoriales,
Vu les travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la
décentralisation du Sénat,
Proclame son attachement à l’organisation décentralisée de la
République française ;
Affirme la nécessité d’une clarification de la répartition des
compétences au sein de la République en soulignant l’exigence pour l’État
de se focaliser sur ses compétences régaliennes, d’infrastructures nationales
et de solidarité. Les compétences dévolues à l’État doivent être listées dans
la Constitution, les autres relevant de la compétence locale ;
Affirme la place fondamentale de la commune comme cellule de base
de l’organisation territoriale, située au plus près des besoins des
populations, et premier échelon de la vie démocratique ;
Souligne que les communes sont dotées d’une clause générale de
compétence qui doit être garantie par la Constitution ;
Affirme que les communes nouvelles sont un outil efficace de
redéfinition de l’échelon communal fondé sur une démarche volontaire des
élus et que cette dynamique doit être facilitée ;
Affirme que l’intercommunalité est un outil essentiel de solidarité, de
coopération et de projet au sein duquel chaque commune doit avoir sa juste
représentation ;
Affirme le rôle incontournable du département comme l’échelon des
solidarités humaines et territoriales et de l’ingénierie de proximité ;
Affirme la place stratégique des régions, à l’échelle nationale et
européenne, en matière de développement économique durable,
d’aménagement du territoire et de transition écologique ;
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Considère que les élus locaux appellent moins à un bouleversement
institutionnel ou des compétences entre niveaux de collectivités qu’à un
approfondissement de la décentralisation ;
Affirme, en revanche, que la priorité est à un nouveau cycle de
redistribution des compétences de l’État vers les collectivités territoriales,
et notamment :
– en matière de développement économique, en rétablissant aux
régions le pilotage de la politique de l’apprentissage et en leur confiant
celle du service public de l’emploi ;
– en matière de santé, en redonnant aux élus locaux, et notamment aux
maires et aux présidents de conseils départementaux, un rôle et des
pouvoirs accrus dans la gouvernance hospitalière et l’organisation
territoriale de l’accès aux soins qui sera le corollaire de la mise en oeuvre
d’un cinquième risque ;
– en matière d’action sociale et médico-sociale, en confiant aux
départements le pilotage des établissements d’hébergement des personnes
âgées dépendantes (EHPAD) ainsi que celui de la médecine scolaire ;
– en matière de gestion des fonds structurels européens, en faisant de
la région l’autorité de gestion du Fonds social européen territorialisé et,
plus largement, de l’ensemble des fonds structurels ;
Considère que les transferts et l’exercice de compétences doivent
s’accompagner à moyen terme de la mise en place d’un cadre financier
stable et pluriannuel par :
– la création d’une loi de financement des collectivités territoriales, en
cohérence avec le projet de loi de finances, qui fixe les dispositions
financières, budgétaires et fiscales les impactant et permettrait d’assurer
une meilleure lisibilité et une transparence du financement des
collectivités ;
– la redéfinition du ratio d’autonomie financière en éliminant de
celui-ci les fractions de produit d’impôt national transférées aux
collectivités territoriales, ainsi qu’en instaurant un ratio d’autonomie
fiscale ;
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– la révision des dotations de l’État de manière, d’une part, à garantir
un niveau de ressources minimum, notamment en stoppant la minoration
des variables d’ajustements, et, d’autre part, à renforcer leur rôle
péréquateur en tenant notamment compte des inégalités structurelles entre
des territoires caractérisés par une accumulation d’atouts et les autres ;
– des compensations intégrales et évolutives de transfert de charges de
l’État vers les collectivités territoriales, ce qui implique une mesure
systématique de l’impact financier des dispositions normatives qui
concernent les collectivités locales ;
– la déterritorialisation de la fiscalité économique en organisant un
prélèvement et une redistribution à l’échelle au moins d’une zone
d’emplois dans l’objectif de neutraliser les concurrences entre territoires et
de favoriser la coopération dans l’accessibilité des usagers aux services et
équipements ;
– l’évolution des nomenclatures budgétaires afin de ne plus
simplement distinguer dépenses de fonctionnement et d’investissement
mais de mettre en lumière le niveau de dépenses contraintes des
collectivités ;
– l’encadrement strict des appels à projet et une limitation drastique –
si ce n’est la disparition – de cette possibilité de telle façon que ces appels
à projet ne mettent pas systématiquement en concurrence les territoires
entre eux ;
Considère que ce cadre financier doit tenir compte de l’absolue
nécessité de la transition écologique de notre pays et de la soutenabilité
environnementale des politiques publiques qui doivent notamment se
traduire par la création pour chaque niveau de collectivité d’une « dotation
verte territoriale » pour des territoires « décarbonés », susceptible d’être
abondée partiellement par des placements citoyens du type « livret
d’épargne pour la transition locale » ;
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Dans l’immédiat, appelle le Gouvernement, d’une part, à renforcer son
plan de soutien destiné à compenser les pertes des collectivités liées à
l’épidémie de Covid-19, notamment pour les départements confrontés à un
effet ciseaux du fait de la baisse importante de leurs recettes et à une
augmentation conséquence des dépenses sociales, et, d’autre part, à mettre
fin aux contrats de Cahors et suspendre la réforme de la fiscalité locale,
notamment celle de la taxe d’habitation, pour redonner aux collectivités les
marges de manoeuvre dont elles ont impérativement besoin dans cette
période ;
Encourage le Gouvernement à prolonger ce plan de soutien par un
« plan de rebond territorial » qui doit permettre aux collectivités d’engager
des investissements massifs, par priorité à destination de la santé, de la
couverture et de l’accessibilité numériques ou de la transition écologique :
rénovation thermique des bâtiments, éco-tourisme, agro-foresterie,
développement des circuits courts, gestion durable de l’eau, développement
des mobilités douces, du fret ferroviaire et fluvial, production locale
d’énergies renouvelables… ;
Proclame la nécessité de mettre en oeuvre de nouveaux leviers d’action
affirmant le primat de la subsidiarité et qui permettront aux collectivités de
mener à bien les politiques publiques locales :
– en autorisant, d’une part, au sein du bloc communal, le transfert « à
la carte » des compétences facultatives des communes à l’EPCI, et, d’autre
part, l’exercice différencié d’une même compétence au sein du même
EPCI (par commune, groupe de communes au sein de l’EPCI, ou totalité de
l’EPCI) ;
– en donnant compétence aux collectivités territoriales frontalières des
pays de l’Union européenne de nouer des partenariats avec leurs
homologues sans être soumis systématiquement à une validation étatique ;
– en facilitant le recours à l’expérimentation locale. La dérogation
accordée doit pouvoir être pérennisée sans pour autant faire nécessairement
l’objet d’une généralisation. Cela pourrait notamment permettre aux
départements volontaires d’expérimenter la mise en oeuvre d’un revenu de
base ;
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– en créant un droit à la différenciation qui favorise l’innovation
territoriale, permette d’adapter l’exercice des compétences à la diversité
territoriale et donne plus de souplesse à l’action publique ; sans pour autant
que cette différenciation n’ait pour objet ou effet de déshabiller un niveau
de collectivité au profit d’un autre ;
– en conférant au pouvoir réglementaire des collectivités une portée
effective leur permettant de déterminer les modalités d’application de la loi
dans leurs domaines de compétences. Chaque collectivité serait compétente
en cas de non-renvoi au pouvoir réglementaire de l’État ou en complément
de celui-ci. Le pouvoir de saisine du conseil régional prévu par la loi Notre
pour proposer des adaptations réglementaires, en vigueur ou en cours
d’élaboration, serait étendu aux autres niveaux de collectivités ;
– en assurant un fonctionnement optimal du territoire qui rompe avec
la logique de frontière et de concurrence entre collectivités liée aux
périmètres géographiques de chacune ;
– en établissant à l’échelle départementale – ou interdépartementale –
un ou des pactes interterritoriaux prescriptifs qui s’assurent, dans le cadre
d’une coopération entre tous les niveaux de gouvernement, d’un accès et
d’une distribution équitable des biens et services publics accessibles en
moins de 30 minutes aux citoyens du périmètre concerné. Ce ou ces pactes
s’assureront tout particulièrement de la continuité des services entre
collectivités notamment en matière de réseaux (transports collectifs,
mobilités douces, déchets, eaux…). Ils doivent permettre d’intensifier la
transition écologique. Ces pactes constitueront également une opportunité
de revivifier les pôles d’équilibre territorial et rural (PETR) et les pôles
métropolitains ;
Encourage l’État, en parallèle de cet approfondissement de la
décentralisation, à mener à bien la réforme de son organisation territoriale,
dans le cadre de la redéfinition des compétences qui sera inscrite dans la
Constitution :
– en clarifiant son champ d’intervention et en éliminant les doublons,
notamment dans les domaines où les compétences sont transférées aux
collectivités territoriales ;
– en mettant fin au processus « d’agencification » de l’État qui, compte
tenu du caractère mono-tâche et centralisé de ces agences, l’éloigne d’une
transversalité et d’une proximité des politiques publiques ;
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– en renforçant l’autorité des préfets de département sur les services
déconcentrés ;
– en faisant du corps préfectoral l’interface unique de communication
avec les élus dans le département ;
Demande que cet approfondissement de la décentralisation
s’accompagne d’un affermissement de la démocratie locale par :
– la nécessité de démocratiser les fonctions exécutives
intercommunales afin d’accroître leur légitimité et leur redevabilité, de
mieux représenter les communes et de respecter la parité ;
– plus fondamentalement, de renforcer la présence des femmes à la
tête des exécutifs locaux ;
– un accroissement des droits des élus, et notamment ceux des élus de
l’opposition ;
– une séparation stricte des fonctions « exécutives » et « législatives »
locales ;
– différents dispositifs de participation citoyenne pour contribuer à
l’acceptabilité des projets locaux (comme, par exemple, les jurys citoyens
non décisionnels, les conférences de consensus, les budgets
participatifs…) ;
– une meilleure association des conseils de développement ;
Considère qu’une avancée de la décentralisation nécessite une
réaffirmation de la place des élus pour aboutir à une démocratisation des
fonctions électives locales. Cette évolution passe par :
– la mise en place au sein du code général des collectivités
territoriales (CGCT) d’une partie spécifique dédiée au statut de l’élu ;
– la possibilité pour certains élus d’exercer leur fonction de manière
exclusive à plein temps ou à temps partiel, en fonction de la taille de la
collectivité, en devenant agent civique territorial ;
– la limitation nécessaire dans ce système du cumul dans le temps à
trois mandats exécutifs dans la même fonction (à part dans les communes
de moins de 1 000 habitants), cette règle constituant un levier majeur pour
accélérer le renouvellement de la classe politique et la féminisation des
assemblées ;
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– une valorisation de l’expérience élective dans le parcours
professionnel individuel (qu’il s’agisse d’une possibilité de diplôme et/ou
d’une validation des acquis de l’expérience) ;
Enfin, appelle à renforcer les moyens d’information et d’évaluation du
Sénat pour contribuer à l’amélioration de la production normative relative
aux collectivités territoriales et à l’articulation de leurs rapports avec
l’État :
– en joignant l’avis du Conseil consultatif d’évaluation des normes aux
projets de loi relatifs aux collectivités territoriales et à leurs groupements ;
– en créant une commission sénatoriale d’évaluation des lois relatives
à l’organisation territoriale en vue d’en mesurer leur impact et notamment
leur congruence avec une offre équitable de service public sur les
territoires. Cette commission doit pouvoir recourir à des expertises
indépendantes auprès de la recherche publique ou faire appel à des
institutions ou organismes publics existants (Conseil d’État, Cour des
comptes, France Stratégie…).
Délibéré en séance publique, à Paris, le 25 juin 2020.
Le Président,
Signé : Gérard LARCHER