Neutralité de la salle de vote : jusqu’où le légendaire pragmatisme du juge va-t-il ?

Il est de jurisprudence constante que la neutralité, certes obligatoire, de la salle accueillant le bureau de vote est appréhendée avec pragmatisme par le juge électoral. Mais ce pragmatisme peut aller assez loin comme une décision vient de le démontrer.

En voici une intéressante confirmation :

 « une affiche mentionnant la récompense « Fleur d’Or » attribuée à la commune et la statuette remise à cette occasion en octobre 2019 ont été installées en évidence à l’intérieur de la salle accueillant le bureau de vote, à la vue des électeurs. Toutefois, à supposer même que la présence de ces objets puisse être considérée comme une propagande illicite, il ne résulte pas de l’instruction que cette irrégularité aurait, dans les circonstances de l’espèce, été de nature à altérer la sincérité du scrutin eu égard, d’une part, à la circonstance que la population était largement informée de ce que la commune avait obtenu en 2019 ce prix qui récompense les villages fleuris et s’inscrit dans le cadre d’une politique globale et ancienne du village et, d’autre part, à l’écart important de voix entre M. G… A…, premier candidat non élu, et M. F… A…, dernier candidat élu. »

Que l’on compare cette éventuelle altération de la sincérité du scrutin avec la différence de voix, certes. Mais que cela puisse ne pas être même une altération de le sincérité du scrutin peut surprendre.

Cela dit, cette jurisprudence, certes à apprécier au cas par cas, reste assez constante (CE, 22 février 2002, n° 236225 ; voir aussi pour les abords du bureau de vote CE, 25 septembre 1995, n° 163241)

Les cas où cette neutralité est jugée comme violée (et ensuite on regarde l’écart de voix…) tiennent soit aux attitudes des élus (voir CE, 8 mars 2002, n° 236291 ; TA Caen, 4 février 2016, n° 15023831 ; pour une interview donnée dans le bureau de vote voir par exemple TA Montpellier, 22 mars 2010, n° 1000342) soit aux cas caricaturaux (CE, 15 novembre 2004, n° 273938 [un magnifique arrêt « Flosse »] ; TA Limoges, 1er juin 1989 ; Élections municipales de Pageas,  JCP G n° 47, 102938 ; pour un cas spécifique de présence dans le bureau de vote de la photographie de l’ancien maire de la commune, décédé, dont la candidate élue est la veuve,  voir CE 29 novembre 2004, n° 267109).

VOICI CETTE DECISION :

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE

N°2000646

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M. G… A… ___________

M. Jean-Paul Wyss Président-rapporteur ___________

M. Deschamps Rapporteur public ___________

Audience du 11 juin 2020 Lecture du 24 juin 2020

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28-04-05-01-03 C

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne

(1ère chambre)

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Vu la procédure suivante :

Par une protestation et des mémoires, enregistrés le 19 mars 2020, le 2 avril 2020, le 3 avril 2020, le 17 avril 2020, le 21 avril 2020, le 28 mai 2020 et le 2 juin 2020, M. G… A… demande au tribunal d’annuler les résultats des opérations électorales qui se sont déroulées le 15mars 2020 pour le renouvellement des conseillers municipaux dans la communed’Haussimont et de mettre à la charge de M. D… I… une somme de 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l’installation ostensible dans le bureau de vote d’une affiche et d’une statuette relative à un prix obtenu par l’ancienne équipe municipale a été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Par un mémoire enregistré le 12 avril 2020, M. Z… S… conclut au rejet de la protestation.

Par un mémoire enregistré le 13 avril 2020, M. M… B… conclut au rejet de la protestation.

Par un mémoire enregistré le 14 avril 2020, M. X…, conclut au rejet de la protestation. Par un mémoire enregistré le 14 avril 2020, Mme I…, conclut au rejet de la protestation.

N° 2000646 2

Par un mémoire enregistré le 14 avril 2020, Mme J… K… épouse H…, conclut au rejet de la protestation.

Par un mémoire enregistré le 14 avril 2020, M. U… P… conclut au rejet de la protestation.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 avril 2020, M. D… I… conclut au rejet de la protestation.

Par un mémoire enregistré le 6 mai 2020, M. D… I…, représenté par Me Malblanc conclut au rejet de la protestation et demande qu’une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. A… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A… a présenté d’autres mémoires enregistrés les 28 mai et 4 juin 2020, non communiqués.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code électoral ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Wyss,
– les conclusions de M. Deschamps , rapporteur public,
– et les observations de M. G… A…, et de Me Malblanc, représentant M. D… I….

Considérant ce qui suit :

1. M. G… A…, candidat non élu, demande au tribunal d’annuler les résultats des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour le renouvellement des conseillers municipaux dans la commune d’Haussimont.

2. Il est constant qu’une affiche mentionnant la récompense « Fleur d’Or » attribuée à la commune et la statuette remise à cette occasion en octobre 2019 ont été installées en évidence à l’intérieur de la salle accueillant le bureau de vote, à la vue des électeurs. Toutefois, à supposer même que la présence de ces objets puisse être considérée comme une propagande illicite, il ne résulte pas de l’instruction que cette irrégularité aurait, dans les circonstances de l’espèce, été de nature à altérer la sincérité du scrutin eu égard, d’une part, à la circonstance que la population était largement informée de ce que la commune avait obtenu en 2019 ce prix qui récompense les villages fleuris et s’inscrit dans le cadre d’une politique globale et ancienne du village et, d’autre part, à l’écart important de voix entre M. G… A…, premier candidat non élu, et M. F… A…, dernier candidat élu.

3. Il résulte de ce qui précède que la protestation de M. A… doit être rejetée.

N° 2000646 3

4. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de M. I…, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. I… sur le même fondement.

DE CI DE :

Article 1er : La protestation de M. A… est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. I… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. G… A…, à M. U… P…, à M. D… I…, à M. M… B…, à M. Q… X…, à Mme Y… I…, à M. Z… L…, à M. O… T…, à Mme E… N…, à M. R… V…, à Mme J… K… épouse H…, à M. F… A….

Copie en sera adressée au préfet de la Marne et à la commune d’Haussimont. Délibéré après l’audience du 11 juin 2020, à laquelle siégeaient :

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M. Wyss, président,
Mme Bourguet-Chassagnon, premier conseiller, Mme Jurin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 24 juin 2020. Le président-rapporteur,

Signé J.-P. Wyss

L’assesseur le plus ancien dans l’ordre du tableau

Signé
M. Bourguet-Chassagnon

Le greffier, Signé

E. MOREUL