Souriez, vous êtes filmé depuis le ciel ! [avis rendu par le CE]

Il y a 6 mois, le Conseil d’Etat faisait du ball-trap avec les drones de la Police (CE, ord., 18 mai 2020, n°440442, 440445 ;  voir ici).

En fait, ces questions ne portent pas que sur les drones, même si ceux-ci alimentent le plus, par leur nouveauté et leur commodité d’usage, les débats. Voir :

 

En effet, les avions ou les hélicoptères peuvent aussi prendre des photos ou des films depuis les airs. Surtout, la question n’est pas uniquement celle du lieu depuis lequel films et photos sont pris (quoiqu’il y ait un lien fort entre netteté de l’image — et donc identification possible des individus — et hauteur de la prise de vue)… il y a aussi celle de la captation, avec ou sans conservation, avec ou sans identification possible des individus, comme l’a démontré l’arrêt précité du 18 mai 2020, ou plus récemment, dans un autre domaine proche, celui des caméras thermiques ou intelligentes. Voir celui de la reconnaissance faciale. Voir :

 

Et le sujet est relancé par la proposition de loi « sécurité globale », fortement soutenue par le Ministère de l’Intérieur, et qui contient quelques dispositions à ce sujet. Voir :

 

C’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat a rendu le 20 septembre dernier, un avis non contentieux (section de l’Intérieur) n° 401 214, « relatif à l’usage de dispositifs aéroportés de captation d’images par les autorités publiques ».

Le Gouvernement a décidé de rendre public cet avis. Le voici :

Avis_Dronesdesurveillance

 

Le Conseil d’Etat pose que la captation d’images par des caméras aéroportées doit être regardée comme un traitement de données à caractère personnel au sens du RGPD (règlement général de protection des données), de la directive du 27 avril 2016 et, par suite, de la loi du 6 janvier 1978.

Les données ainsi captées sont des données personnelles si les personnes sont identifiables et à ce stade « il convient de prendre en considération l’ensemble des moyens raisonnablement susceptibles d’être utilisés par le responsable du traitement ou par toute autre personne pour identifier la personne physique directement ou indirectement » ainsi que « l’ensemble des facteurs objectifs, tels que le coût de l’identification et le temps nécessaire à celle-ci, en tenant compte des technologies disponibles au moment du traitement et de l’évolution de celles-ci ».

Ce point n’est pas nouveau mais la suite est plus importante avec une sorte de présomption de caractère de données personnelles :

« Eu égard notamment aux technologies actuellement disponibles et à leur évolution et aux moyens matériels dont disposent les autorités publiques, le Conseil d’État estime que les images de personnes captées au moyen de caméras aéroportées par ces autorités dans le cadre de missions de sécurité publique ou de sécurité civile doivent, en principe, être regardées comme des données personnelles et que, par suite, la collecte et l’utilisation de ces images sont soumises au respect des textes rappelés ci-dessus. Il pourrait toutefois en aller autrement en cas d’emploi dans des conditions particulières excluant l’existence de possibilités raisonnables d’identifier des personnes, ou dans l’hypothèse où seraient mis en œuvre des dispositifs techniques empêchant l’identification.

En vertu de l’article 31 de la loi du 6 janvier 1978, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l’État qui, notamment, intéressent la sécurité publique ou ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales doivent être autorisés, après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, soit par arrêté du ou des ministres compétents, soit, s’ils portent sur des données mentionnées au I de l’article 6, par décret en Conseil d’État. Ces données sont celles qui révèlent, notamment, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale d’une personne physique. L’emploi de caméras dans des conditions où elles sont susceptibles de collecter de telles données, en particulier lors de manifestations sur la voie publique, exige, par suite, un décret en Conseil d’État.

Au regard de son impact sur les libertés et les droits garantis, la mise en œuvre du traitement ne pourra d’abord s’envisager, avant même la rédaction de l’acte l’autorisant qu’au terme d’une analyse d’impact, qui devra identifier précisément les risques et dangers de la mise en œuvre du traitement font courir, et apprécier les manières d’y remédier. Au-delà des règles traditionnellement reprises par l’acte d’autorisation (finalités, informations recueillies, durées de conservation, personnes accédant au traitement et destinataires des données, droits des personnes concernées, …) l’analyse devra aussi formuler les bases nécessaires à la définition notamment de méthodes d’emplois, de règles de sécurisation des matériels et des données, de certification et de contrôle des matériels, de formation des personnels.

4. Cependant, l’intervention d’un acte réglementaire autorisant le traitement des données personnelles collectées par une caméra aéroportée employée dans des missions de police générale ou à des fins de police judiciaire ne peut fournir une base légale suffisante à la captation d’images voire de sons par les autorités publiques au moyen de ce procédé.

Celui-ci est en effet susceptible, par le survol rapproché et mobile de lieux publics ou de lieux privés qu’il permet, de porter atteinte à la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui implique le respect de la vie privée. Il est par suite de nature à affecter les garanties apportées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Le procédé peut, par ailleurs, être utilisé aux fins de recueillir des preuves à l’appui de poursuites judiciaires et se rattache alors à la procédure pénale. A ce double titre, cette captation relève de matières réservées au législateur par l’article 34 de la Constitution, celui-ci pouvant seul, en en fixant les éléments principaux, définir les conditions permettant d’assurer la conciliation entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public, comme il l’a fait pour la vidéoprotection et les caméras individuelles. Le Conseil d’État estime donc qu’il est nécessaire de fixer un cadre législatif d’utilisation des caméras aéroportées par les forces de sécurité et les services de secours.

5. Il appartiendra à la loi de définir les finalités justifiant l’emploi de caméras aéroportées et les garanties propres à assurer son caractère proportionné et adapté au regard des objectifs poursuivis. Il lui incombera de préciser et d’encadrer leurs usages de manière à limiter les atteintes portées au respect de la vie privée. La loi devra désigner les autorités publiques et les personnes susceptibles d’avoir recours à cette technique de surveillance, comme les modalités de conservation et de destruction des enregistrements, lorsqu’ils seront autorisés.

En l’absence de recueil du consentement des personnes filmées, il importe également que la loi prévoie les modalités de leur information. La mise en œuvre de technologies associées, permettant d’augmenter les potentialités des caméras aéroportées, si elle est autorisée, devra faire l’objet de dispositions spécifiques fixant les garanties nécessaires.

6. Dès lors que la loi aura, parmi les finalités assignées au recours de caméras aéroportées, retenu celle de la recherche des auteurs d’infractions, les images filmées dans le cadre d’une opération de police administrative dans des lieux publics pourront être versées dans la procédure pénale si des poursuites judiciaires sont engagées à la suite de l’opération de police.

Si cette technique est utilisée dans le cadre d’une procédure déjà engagée pour constituer des preuves d’une infraction en permettant une identification des personnes, les dispositions du code de procédure pénale, telles qu’interprétées par la Cour de cassation (Crim., 11 décembre 2018, n°18-82.365, Crim.18 juin 2019, n°18-86-421), imposent que cette utilisation fasse l’objet d’une autorisation, le cas échéant orale, du magistrat compétent et soit limitée à une courte durée. La prolongation de la mesure doit être autorisée par un juge qui en contrôle l’exécution.

La captation d’images d’un lieu privé par une caméra aéroportée à des fins judiciaires doit être expressément autorisée par le législateur. Il lui appartient de définir le champ des infractions pour lesquelles le recours à cette technologie est regardé comme justifié et proportionné ainsi que les garanties procédurales permettant d’éviter qu’il soit porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée des personnes concernées. […] »