Le 3 février dernier, La Quadrature du Net, La Ligue des Droits de l’Homme, la FCPE et la CGT Educ’Action des Alpes Maritimes étaient en audience devant le TA de Marseille contre la mise en place d’un système de reconnaissance faciale à l’entrée de deux lycées et ces requérants ont gagné. Détaillons ce que nous en dit ce jugement.
En 2018, un conseil régional adopte une délibération approuvant une convention tripartite d’expérimentation relative à la mise en place d’un dispositif de contrôle d’accès par comparaison faciale et de suivi de trajectoire.
I. Première leçon : le juge accepte la recevabilité (partielle) du recours contre la délibération alors même qu’il s’agissait d’approuver un contrat, ce qui n’allait pas de soi
Etrangement, les requérants avaient engagé un recours pour excès de pouvoir alors qu’ils eussent du former un recours de type « Tarn-et-Garonne ».
Compléments : ce que l’on appelle un « recours Tarn-et-Garonne », depuis l’arrêt éponyme, est le recours possible, directement, contre un contrat. Mais par voie de conséquence, symétriquement, les recours contre les actes détachables du contrats, tel celui qu’est une délibération autorisant à passer un contrat, ne sont plus recevables (sauf cas particuliers notamment pour leurs vices propres ou pour certains cas de conclusion de contrats de droit privé). Voir CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, rec. p. 70… et la nombreuse postérité de cet arrêt, souvent commenté au sein du présent blog (voir ici).
Mais, bon prince, le TA a accepté le recours contre la délibération « en ce qu’elle approuve leur contenu et autorise son président à les signer » mais non pour ce qui a trait au contrat lui-même (pour lequel un recours Tarn-et-Garonne eût du être déposé). Ce n’est pas la première fois que le juge administratif procède ainsi en distinguant dans une délibération ce qui est non détachable du contractuel (pour lequel le recours pour excès de pouvoir n’est pas possible ; seul un recours Tarn-et-Garonne l’étant) et ce qui l’est (pour lequel le recours pour excès de pouvoir l’est. Il en résulte parfois des jurisprudences fort byzantines (voir par exemple ici et CE, 23 décembre 2016, n°397096 et n°392815 [deux espèces distinctes])).
II. Deuxième leçon : la région n’est pas compétente à elle seule pour un tel dispositif selon le TA
Le TA pose ensuite qu’une :
« telle expérimentation, dont l’un des objectifs était le renforcement de la sécurité dans les établissements scolaires, relevait ainsi non des missions d’accueil, d’hébergement ou d’entretien des lycées, mais des missions d’encadrement et de surveillance des élèves. En outre, contrairement à ce qu’elle fait valoir, la région PACA ne s’est pas bornée à munir les lycées en cause des équipements de reconnaissance faciale ou même à leur proposer l’adoption d’un dispositif expérimental de reconnaissance faciale, mais a elle-même pris la décision d’initier cette expérimentation. Dès lors, en engageant cette expérimentation, alors même qu’elle s’inscrit dans les missions d’encadrement et de surveillance des élèves qui ressortissent à la compétence des chefs d’établissements, la région PACA a excédé les compétences qu’elle tient des dispositions précitées de l’article L. 214-6 du code de l’éducation, quand bien même les établissements scolaires retenus auraient eu donné leur consentement. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que la délibération litigieuse est entachée d’incompétence. »
Donc la région n’est pas à elle seule compétente : une décision conjointe des chefs d’établissements était requise… et le TA, plutôt sévère sur ce point, a estimé que le consentement donné par ceux-ci n’était pas assez formalisé pour devenir la co-décision qui s’imposait, selon le TA, en l’espèce.
III. Troisième leçon : les conditions de fond pour un tel dispositif sont à tout le moins difficiles à réunir
Sur le fond, le tribunal pose que :
- cette délibération ne respecte pas le RGPD car les élèves n’ont pas pu donner de « consentement à la collecte de données personnelles de manière libre et éclairée », du fait de la relation d’autorité qui lie les élèves à l’administration de l’établissement.
- la reconnaissance faciale est une mesure disproportionnée pour gérer les entrées et sorties d’un lycée, d’autant que des mesures alternatives bien moins attentatoires aux droits existent pour ce faire. Sur ce point, la position de la CNIL allait dans le sens des requérants.
VOICI CETTE DÉCISION :
TA Marseille, 27 février 2020, n° 1901249 (nous avons anonymisé les noms des magistrats ce que la Quadrature du Net étrangement n’avait pas fait) :