Ball-trap au Palais Royal.
Un mort : le drone de la police.
Mais c’est un mort vivant qui peut vite ressusciter à la faveur d’un mode d’emploi précis donné par les juges de la Haute Assemblée.
A court terme ce dispositif doit cesser d’être utilisé (sauf à rendre techniquement impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l’identification des personnes filmées).
A moyen terme, un tel contrôle ne redeviendra possible, légalement, qu’au prix de l’adoption d’un décret ou d’un arrêté, « RGPD-compatible » pris sur avis de la CNIL.
Revenons aux faits : un drone de la flotte de quinze appareils que compte la préfecture de police de Paris a quotidiennement survolé Paris pour identifier les manquements aux règles de confinement, puis de déconfinement.
Un seul drone était utilisé à la fois, avec une prise d’images de manière discontinue (deux à trois heures en moyenne par jour). Lorsque le drone survolait le site désigné, le télépilote procédait à la retransmission, en temps réel, des images au centre de commandement afin que l’opérateur qui s’y trouve pût, le cas échéant, décider de la conduite à tenir. Il pouvait également être décidé de faire usage du haut-parleur dont est doté l’appareil afin de diffuser des messages à destination des personnes présentes sur le site.
Cela dit, le détail du dispositif était moins orwellien qu’il n’y paraissait de prime abord. Citons la décision du Conseil d’Etat :
« 11. Il résulte de l’instruction que le recours à ces mesures de surveillance est seulement destiné, en l’état de la doctrine d’usage telle qu’elle a été formalisée par la fiche du 14 mai 2020 et réaffirmée à l’audience publique par les représentants de l’Etat, à donner aux forces de l’ordre chargées de faire respecter effectivement les règles de sécurité sanitaire une physionomie générale de l’affluence sur le territoire parisien en contribuant à détecter, sur des secteurs déterminés exclusivement situés sur la voie ou dans des espaces publics, les rassemblements de public contraires aux mesures de restriction en vigueur pendant la période de déconfinement. La finalité poursuivie par le dispositif litigieux n’est pas de constater les infractions ou d’identifier leur auteur mais d’informer l’état-major de la préfecture de police afin que puisse être décidé, en temps utile, le déploiement d’une unité d’intervention sur place chargée de procéder à la dispersion du rassemblement en cause ou à l’évacuation de lieux fermés au public afin de faire cesser ou de prévenir le trouble à l’ordre public que constitue la méconnaissance des règles de sécurité sanitaire.
12. Il résulte également de l’instruction qu’en l’état de la pratique actuelle formalisée par la note du 14 mai 2020, les vols sont réalisés à une hauteur de 80 à l00 mètres de façon à donner une physionomie générale de la zone surveillée, qui est filmée en utilisant un grand angle sans activation du zoom dont est doté chaque appareil. En outre, dans le cadre de cette doctrine d’usage, les drones ne sont plus équipés d’une carte mémoire de sorte qu’il n’est procédé à aucun enregistrement ni aucune conservation d’image. »
Un peu plus loin, le Conseil d’Etat précise :
« l’usage qui est fait de ces appareils, tel qu’il est prévu par la note du 14 mai 2020, ne conduit pas, en pratique, à l’identification des personnes filmées et, d’autre part, qu’en l’absence de toute conservation d’images, le visionnage en temps réel des personnes filmées fait en tout état de cause obstacle à ce qu’elles puissent être identifiées,»
Face à cette situation, saisi par la Quadrature du Net et par la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Conseil d’Etat a posé, en référé liberté :
- que la « finalité poursuivie par le dispositif litigieux, qui est, en particulier dans les circonstances actuelles, nécessaire pour la sécurité publique, est légitime ».
- qu’un « usage du dispositif de surveillance par drone effectué conformément à la doctrine d’emploi fixée par la note du 14 mai 2020 n’est pas de nature à porter, par lui-même, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées » (exit le référé liberté donc).
- certes le dispositif la base ne permet pas que le drone serve en lui même à identifier des personnes ou à sanctionner. Mais le juge relève qu’il est possible qu’il en aille autrement, qu’il n’y a pas de verrou. Citons la décision du Conseil d’Etat :
« Alors même qu’il est soutenu que les données collectées par les drones utilisés par la préfecture de police ne revêtent pas un caractère personnel dès lors, d’une part, que l’usage qui est fait de ces appareils, tel qu’il est prévu par la note du 14 mai 2020, ne conduit pas, en pratique, à l’identification des personnes filmées et, d’autre part, qu’en l’absence de toute conservation d’images, le visionnage en temps réel des personnes filmées fait en tout état de cause obstacle à ce qu’elles puissent être identifiées, il résulte de l’instruction que les appareils en cause qui sont dotés d’un zoom optique et qui peuvent voler à une distance inférieure à celle fixée par la note du 14 mai 2020 sont susceptibles de collecter des données identifiantes et ne comportent aucun dispositif technique de nature à éviter, dans tous les cas, que les informations collectées puissent conduire, au bénéfice d’un autre usage que celui actuellement pratiqué, à rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables. Dans ces conditions, les données susceptibles d’être collectées par le traitement litigieux doivent être regardées comme revêtant un caractère personnel. »
Et le Conseil d’Etat, ensuite, démontre sans surprendre que ces données personnelles donnent bien lieu à un traitement.
DONC RGPD oblige un tel dispositif n’est pas illégal dans son principe, mais il doit être autorisé :
« par arrêté du ou des ministres compétents ou par décret, selon les cas, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). »
Ce qui entraîne la censure du dispositif actuel sauf à doter les drones de dispositifs techniques de nature à rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l’identification des personnes filmées.
Voici cette décision :
CE, ord., 18 mai 2020, n°440442, 440445 :
Drones