Rétroaction légitime des actes de l’administration… et action illégitime contre ceux qui luttent contre la corruption dans les élections

Hier, le Conseil d’Etat rendait un arrêt intéressant sur les questions de rétroaction des actes administratifs. Rétroactivité qui est parfois légale en droit administratif… à rebours de ce que croyait l’association Anticor, requérante.

Anticor s’était là, donc, engagée dans un combat douteux en droit, mais aussi, et surtout, douteux sur le fond… car visant à censurer des actes dont le but était justement (!) de mieux garantir l’indépendance d’une autorité administrative indépendante (la CNCCFP), autorité très importante pour garantir la sincérité de nos élections, de notre régime démocratique… et dont le contrôle sur les partis politiques et les campagnes électorales se révèle tout à fait neutre et strict. 

Bref, à flinguer à tout va, Anticor s’est tirée une balle dans le pied pour ce qui est du droit, et a confirmé qu’elle se perd en de douteux combats désormais, à rebours de sa vocation initiale. Hélas.

Anticor, autrefois association solide et sérieuse…  ose désormais tout : on ne la reconnaît plus.

 

 

Anticor, décidément, loin de ses vocations originelles, flingue en effet, dorénavant, un peu n’importe qui… pour un peu n’importe quoi.

Elle s’attaque désormais, pour des prétextes futiles, même à ceux qui comme eux luttent contre la corruption. Même à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)... juste pour un détail du régime indemnitaire des membres de cette commission, dans un cadre où justement il s’agissait de renforcer leur indépendance ! Pour un sujet qui ne porte en rien sur les questions de corruption (au contraire : plus les membres de cette commission seront correctement payés, moins ils seront corruptibles !?).

Les (nombreux) zélateurs de cette association y verront le besoin d’exterminer, non seulement ce qui entache la République (ce que nul ne conteste)… mais aussi tout ce qui pourrait être un tantinet incertain. La France connaît bien ce besoin de pureté, d’extermination de ce qui pourrait être suspect. Cela s’appelait la Loi des suspects, justement. Cela a été adopté le 17 septembre 1793,  marquant l’apogée de la Terreur (voir d’ailleurs ici pour ce qui est de l’esprit du temps en ce domaine : Les dieux ont soif… ou le mortifère retour du « tous pourris » )

Et qu’avaient à reprocher nos Fouquier-Tinville modernes à la CNCCFP ?

Ben… on va vous le dire mais on peine à le comprendre en fait. Nous avons pourtant lu la prose de cette association requérante sur ce dossier et nous invitons nos lecteurs à s’y plonger en ligne :

 

Le président de la CNCCFP était donc augmenté. Diable.

En général, ce sont

  • les pouvoirs dictatoriaux et les corrupteurs qui rêvent de voir les autorités indépendantes sans le sou, sensibles aux tentations, ou avec des postes occupés par des petits jeunes inexpérimentés et à qui on peut faire miroiter des carrières… ensuite.
  • les anti-corruption qui en général dans un monde cohérent se battent pour l’indépendance juridique et financière des autorités indépendantes, avec si possible des personnes à qui nulle carrière ultérieure ne pourra être « vendue » au point d’en faire des « vendus »… non ?

Mais bon. Passons.

Plus largement, la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 prise en application de la loi organique n° 2017-54 du même jour réorganisant les autorités administratives indépendantes en réduisant leur nombre et en renforçant et professionnalisant le fonctionnement de celles que le législateur estimait nécessaire de maintenir, notamment en les dotant d’un statut commun et en renforçant leurs structures.

A ce titre, il résulte de l’article 41 de la loi du 20 janvier 2017, modifiant l’article L. 52-14 du code électoral, que le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) exerce désormais ses fonctions à temps plein.

A titre personnel j’applaudis une telle mesure. Le contrôle des financements politiques requiert une personne bien rémunérée, indépendante et à temps plein, alliant expérience et absence de carrière ensuite à négocier. C’est juste du basique de l’indépendance de tels organes, en fait…

Anticor se contente sur son site de dire que c’est « inopportun »…  Sans plus de détails. Les bras m’en tombent. Voici qui est fort peu argumenté et voici qui nous éloigne de la rigueur de la règle de droit brandie par cette association avec vigueur.

Encore fallait-il trouver un angle d’attaque en droit public. Ou, plutôt, encore aurait-il fallu en trouver.

Premier angle : les textes réglementaires attaqués (un décret et un arrêté) avaient un effet immédiat en cours de mandat. Et pour cause, puisque la loi avait un effet immédiat. Oui mais ce serait illégal selon la requérante… parce qu’en cours de mandat. Le juriste de droit public se pince alors, puisque rien n’a jamais en droit public imposé à la norme juridique d’attendre patiemment la fin de tel ou tel mandat pour s’appliquer. Et le Conseil d’Etat sur ce point n’a pu que constater que « la seule circonstance que ce changement intervenait en cours de mandat étant sans incidence sur la légalité de ses dispositions. » Ben oui… le droit nouveau s’applique et sauf mention contraire, il s’applique sans différé. Dans certains domaines, il peut y avoir des limites à l’application de la loi nouvelle (sur des contrats, en fiscal, etc.) pour diverses raisons, mais le principe reste tout de même l’application du droit nouveau à sa date d’entrée en vigueur sans que les situations de droit public fondées sur un acte unilatéral ne puissent s’y opposer (ce qu’est la position d’un agent public hors agents contractuels, ce qu’est aussi la nomination d’une personne dans une autorité administrative indépendante…). Là.. c’est du b.a.-ba.

Sources : CE, S., 15 février 1975, Cne de Bordères-sur-l’E., rec. p. 178 ; CE, S., 11 décembre 1998, Angeli, rec. p. 461, pour un cas très net et aisément transposable au cas d’espèce, voir CE, 18 février 1994, UNEF, rec. T. 968… Il peut en aller différemment dans certains domaines où le droit prévoit une intangibilité du droit, par exemple au sein d’un même exercice budgétaire (voir TA Amiens, 3 mai 2019, n° 1700718 [voir ici]).  

Second angle, plus sérieux  en droit public : la rétroactivité des actes querellés. Le principe en droit public reste en effet la non-rétroactivité des actes (pour les règlements, voir CE, Ass., 25 juin 1948, Sté journal l’Aurore, rec. 289 ; E, Ass., 16 mars 1956, Garrigou, rec. p. 121 ; pour les actes administratifs individuels l’arrêt de référence est CE, S., 3 février 1956, Mme Silvestre, rec. 45 ; en matière contractuelle voir CE, 4 février 1991, Ville de Caen, rec. T. 924). Il en résulte d’ailleurs de subtiles distinctions sur les cas où cela entraîne l’illégalité totale de l’acte ou seulement son illégalité pendant la période de rétroaction (CE, S., 14 novembre 1980, Mme Montalibetrec. 426 ; CE, 9 novembre 1992, Cne de Fort du P., rec. 399 ; CE, S., 28 avril 2014, n° 357090, rec. p. 96 ; pour une application récente et assez souple, voir CE, 11 juillet 2019, EARL Plaine de Vaucouleurs, n° 422577, publié au rec.).

MAIS le Conseil d’Etat a toujours été constant à admettre :

  1. soit la rétroactivité d’un acte administratif si une disposition législative expresse le prévoit (et hors les cas où la loi ne peut elle-même rétroagir). Voir : CE, 25 février 1949, Ecole Gerson, rec. p. 426 ;  dérogation rappellée dans CE, Ass., 16 mars 1956, Garrigou, op.cit. ; CAA Paris, 30 mars 1999, Dalloz 99, IR, p. 163…)
  2. soit tout simplement dans certains cas rares où cela est « nécessaire », « indispensable », ce que le juge apprécie au cas par cas. Une affaire assez célèbre portait d’ailleurs sur un tel cas pour, justement, des rémunérations (CE, 7 février 1979, APADA, rec. p. 41). Pour un cas récent (et classique) de rétroaction légale, voir CAA Nantes, 22 septembre 2020, n° 20NT01144 (voir ici). C’est sur le point de savoir si nous sommes ou non dans un tel cas que le débat en droit, sur ce point, existait réellement.
  3. soit la rétroactivité des actes nouveaux portant sanction plus douce que précédemment (in mitius, comme en pénal ; mais avec quelques limites toutefois. Voir sur ce point par exemple CAA Lyon, 24 octobre 2019, n° 17LY01678 [voir ici])

 

En l’espèce, s’agissant des recours d’Anticor jugés hier par le Conseil d’Etat, pour citer le résumé d’Ariane qui préfigure celui des tables du rec., la Haute Assemblée a posé qu’en :

« prévoyant que ces dispositions prenaient effet à titre rétroactif, à compter du 1er janvier de l’année budgétaire en cours, le décret et l’arrêté attaqués ont entendu tirer les conséquences des modifications législatives apportées aux conditions d’exercice des fonctions de président et, par voie de conséquence, de vice-président de la Commission nationale, afin que puisse être versée aux intéressés la rémunération à laquelle ils ont droit. Le décret et l’arrêté attaqués ne méconnaissent donc pas la loi organique et la loi du 20 janvier 2017, ni le principe de non-rétroactivité des actes administratifs.»

Nous sommes donc exactement dans une combinaison des hypothèses 1. (la rétroactivité d’un acte administratif si une disposition législative expresse le prévoit (et hors les cas où la loi ne peut elle-même rétroagir) et 2. (cas rares où cela est « nécessaire », « indispensable »)…

Et en droit c’est là le seul vrai apport de cet arrêt et qui sans doute justifie la future publication de celui-ci aux futures tables du recueil Lebon. 

Et donc le Conseil d’Etat pose que le décret et l’arrêté attaqués ne méconnaissent donc pas la loi organique et la loi du 20 janvier 2017, ni le principe de non-rétroactivité des actes administratifs. A l’association requérante d’avaler la pilule.

Reste à savoir ce qu’Anticor allait faire dans cette galère, avec peu de billes en droit public, en un combat douteux…

Source : CE, 12 novembre 2020, n° 425340, à publier aux tables du recueil Lebon :

425340

 

Voir aussi :