La CEDH valide des motivations laconiques et un équilibre au cas par cas lorsqu’il s’agit de refuser d’accorder l’accès à des documents touchant à la sécurité nationale.
Vladimir Šeks, ressortissant croate, est un homme politique à la retraite qui veut écrire un ouvrage et qui, à ce titre, a déposé aux archives nationales croates une demande d’accès à cinquante-six documents provenant des dossiers de la présidence de la République entre 1994 et 1999.
La présidence demanda au bureau du conseil de la sécurité nationale son avis sur la déclassification de ces documents. Ce dernier recommanda la déclassification de trente-et-un des documents demandés mais considéra que l’accès aux vingt-cinq autres documents pouvait représenter une menace pour l’indépendance, l’intégrité, la sécurité nationale et les relations internationales du pays. La présidence suivit cet avis.
Cette décision et cette procédure ont fini devant la CEDH, laquelle a validé la décision de l’Etat croate.
M. Šeks voyait dans le refus de déclassifier les documents en question une atteinte à son droit de recevoir des informations tel que garanti par l’article 10 (liberté d’expression). Il soutenait également qu’il n’avait pas bénéficié d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable).
La CEDH se dit convaincue que le requérant, en tant qu’ancien homme politique souhaitant publier un livre d’histoire, exerçait le droit de communiquer des informations sur un sujet d’intérêt public et sollicitait l’accès aux informations à cette fin.
Le Gouvernement arguait que le requérant n’avait subi aucun préjudice important (au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention) puisqu’il avait finalement pu publier son livre. La Cour rejette cette thèse, rappelant ce qui était en jeu pour le requérant – d’autres recherches et des retards dans la publication de son livre, qu’il considérait comme incomplet – ainsi que les importantes questions de principe soulevées dans cette affaire.
La CEDH estime que la manière dont les autorités internes ont examiné la demande du requérant n’a pas été fondamentalement viciée ou dépourvue des garanties procédurales appropriées. Elle estime surtout que l’équilibre fait en l’espèce était justifié en posant que dans un contexte de sécurité nationale, on ne saurait attendre des autorités compétentes une motivation aussi détaillée que, par exemple, dans des affaires civiles ou administratives ordinaires. Fournir une motivation détaillée à l’appui du refus de déclassifier certains documents secrets pourrait aisément aller à l’encontre de la finalité pour laquelle les informations ont été classées secrètes.
Prenant en considération l’étendue des garanties procédurales offertes au requérant en l’espèce, la Cour se déclare convaincue que les raisons invoquées par les autorités nationales pour refuser à l’intéressé l’accès aux documents en question étaient non seulement pertinentes mais aussi, dans les circonstances de l’espèce, suffisantes.
La Cour conclut que l’ingérence dans la liberté du requérant d’accéder aux informations était nécessaire et proportionnée au but important de la sécurité nationale et que le réexamen, interne et indépendant, de la demande de l’intéressé n’a pas outrepassé l’ample marge d’appréciation dont dispose l’État en la matière.
Source : CEDH, arrêt de chambre, 3 février 2022, Šeks c. Croatie (requête no 39325/20)