Une commune peut-elle préempter un terrain faisant l’objet d’un bail à construction ?

Prévu par les articles L. 251-1 et s. du Code de la construction et de l’habitation, le bail à construction désigne le contrat de location d’un terrain où le preneur s’engage à édifier une construction et à entretenir celle-ci pendant une période donnée.

Il n’est pas rare qu’un tel contrat contienne également des clauses comportant une promesse de vente du terrain consentie par le bailleur au profit du preneur, ce dernier pouvant lever l’option pendant une certaine durée.

Du coup, lorsque l’option est levée par le locataire, la commune peut-elle exercer son droit de préemption sur la parcelle en vue de réaliser un projet d’aménagement ?

Pas toujours vient de répondre le Conseil d’Etat dans une décision rendue le 19 avril dernier.

Tout d’abord, cette décision pose un principe simple, selon lequel l’existence d’un bail à construction grévant la parcelle visée dans la déclaration d’intention d’aliéner ne constitue pas en elle-même un obstacle à l’exercice du droit de préemption :

ll résulte de ces dispositions que la circonstance qu’une parcelle soit grevée d’un bail à construction, qui ne figure pas au nombre des exemptions prévues à l’article L. 213-1 du code de l’urbanisme, ne fait pas, par elle-même, obstacle à l’exercice du droit de préemption lorsqu’elle fait l’objet d’une aliénation soumise au droit de préemption en vertu de cet article.”

Là où les choses se compliquent, c’est lorsque la vente de la parcelle a lieu parce que le preneur a décidé de lever l’option prévue dans le bail à construction.

Dans cette hypothèse, si la commune acquiert la parcelle en conséquence de l’exercice de son droit de préemption, elle se substitue au bailleur et est alors tenue d’exécuter les clauses du bail à construction…dont celle qui l’oblige à céder au preneur le terrain.

Cette obligation de vendre le terrain s’oppose ainsi à toute réalisation par la commune d’un projet d’aménagement sur celui-ci.

C’est pourquoi, dans ce cas de figure, le Conseil d’Etat estime que la commune ne peut pas exercer son droit de préemption :

“Toutefois, lorsque la préemption est exercée à l’occasion de la levée, par le preneur, de l’option stipulée au contrat d’un bail à construction lui permettant d’accepter la promesse de vente consentie par le bailleur sur les parcelles données à bail, elle a pour effet de transmettre à l’autorité qui préempte ces parcelles la qualité de bailleur et, ce faisant, les obligations attachées à cette qualité, parmi lesquelles celle d’exécuter cette promesse de vente.

Il résulte de l’instruction que les sociétés SEETA et Port Inland ont manifesté, avant le 14 mars 2020, leur intention d’acquérir les parcelles en cause. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la décision de préemption de la commune, prise à l’occasion de l’aliénation réalisée en exécution de cette stipulation des contrats de baux à construction, dès lors qu’elle emportait nécessairement, pour celle-ci, l’obligation de céder aux sociétés SEETA et Port Inland les parcelles visées par la déclaration d’intention d’aliéner, ne pouvait permettre de satisfaire à la nécessité, résultant de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme, d’être exercée en vue de la réalisation d’une action ou opération d’aménagement ou, comme elle le mentionnait en l’espèce dans ses motifs, de la constitution d’une réserve foncière pour la réalisation d’une telle action ou opération.Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de préemption du 20 janvier 2020 méconnaît les dispositions du code de l’urbanisme relatives au droit de préemption sur lesquelles elle se fonde est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision”.

Cet arrêt précise donc que si le droit de préemption des communes doit être exercé afin de réaliser une action ou opération d’aménagement, il ne peut être mis en oeuvre que si celle-ci est possible, ce qui n’est pas toujours le cas.

Ref. : CE, 19 avril 2022, Commune de Mandelieu-la-Napoule, req., n° 442150. Pour lire l’arrêt, cliquer ici