Tant qu’une procédure de préemption n’est pas achevée, chacun des protagonistes peut renoncer à poursuivre l’opération.
Comme le rappelle l’article L. 213-7 du Code de l’urbanisme, le vendeur peut renoncer à vendre et, de son côté, la commune qui a exercé son droit de préemption peut renoncer à poursuivre la procédure tant qu’aucun accord sur le prix n’a été trouvé. Et si le prix a été fixé par le juge de l’expropriation, la commune peut renoncer à l’acquisition dans les deux mois qui suivent le jour où la décision du juge est devenue définitive.
Dans ce cas de figure, la décision de la commune de renoncer finalement à l’exercice de son droit de préemption est parfaitement légale. Mais elle n’est pas forcément sans conséquences pour les finances de la commune, comme l’illustre une décision du Conseil d’Etat rendue le 13 juin 2022 à propos d’un litige opposant la commune de Saverne à une société immobilière.
En 2012, la commune de Saverne décide de préempter un immeuble aménagé en hôtel, mais à un prix inférieur à celui indiqué dans la déclaration d’intention d’aliéner.
Le juge de l’expropriation est donc saisi pour fixer le prix d’acquisition de l’immeuble par la commune. Neuf mois plus tard, il rend sa décision et fixe un prix d’acquisition qui n’est guère très éloigné de celui indiqué dans la déclaration d’intention d’aliéner. Comme le lui permet l’article L. 213-7 du Code de l’urbanisme, la commune décide alors de renoncer à l’acquisition de l’immeuble.
Mais durant la période qui sépare la décision de préemption de celle où finalement la commune renonce à l’acquisition, le bien a été squatté et des dégradations ont été commises.
Du coup, lorsque la société propriétaire remet en vente le bien après la renonciation de la commune, elle ne peut céder celui-ci qu’à un prix nettement inférieur par rapport à celui envisagé en 2012.
Pour le Conseil d’Etat, ces circonstances particulières suffisent pour engager la responsabilité sans faute de la commune (il ne faut pas oublier en effet que la commune n’a pu commettre aucune faute puisque sa renonciation à poursuivre la procédure de préemption était parfaitement légale), celle-ci devant indemniser le préjudice anormal et spécial subi par le propriétaire de l’immeuble :
“Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Immotour a acquis en 2011, à Saverne, un ancien hôtel pour un montant de 1 000 000 d’euros. Le 3 juillet 2012, après avoir conclu une promesse de vente au prix de 1 095 000 euros, la société Immotour a adressé à la commune de Saverne une déclaration d’intention d’aliéner ce bien immobilier. Par une décision du 28 août 2012, le maire de Saverne a décidé d’exercer le droit de préemption urbain sur ce bien au prix de 800 000 euros. En février 2013, l’occupation illégale de l’immeuble par des tiers a entraîné des dégradations. Par un jugement du 17 mai 2013, le juge de l’expropriation, saisi par les parties, a fixé le prix de ce bien, après une visite des lieux le 22 mars 2013, à 915 573,90 euros, ce prix tenant compte notamment du très mauvais état des cuisines, des dégradations causées par un dégât des eaux ayant eu lieu le 22 novembre 2011, de l’absence d’exploitation du fonds de commerce ainsi que des travaux d’accessibilité à réaliser en vue d’une réouverture au public mais également de la situation de l’immeuble, de l’état général des équipements sanitaires et des nombreux meubles vendus avec l’hôtel, pour l’essentiel en bon état. La commune de Saverne a alors décidé, le 17 juillet 2013, de renoncer à l’acquisition de l’immeuble. De nouvelles dégradations consécutives à la présence d’occupants illégaux et le pillage du mobilier ont eu lieu entre juillet et août 2013. Une adjudication infructueuse de l’hôtel a eu lieu le 16 mai 2014 pour un montant de 500 000 euros. La société Immotour a ensuite cédé son bien pour un montant de 400 000 euros le 7 août 2014.
3. Dans ces conditions, la société Immotour a subi, du fait des décisions de préemption et de renonciation de la commune de Saverne, un préjudice grave, qui a revêtu un caractère spécial et doit être regardé comme excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter des vendeurs de terrains situés en zone urbaine, sans que d’autres circonstances, notamment le fait que la société n’ait mis en place un dispositif de gardiennage de l’immeuble qu’à compter de septembre 2013, soient de nature, dans les circonstances particulières de l’espèce, à écarter totalement la responsabilité de la commune”
Au final, la commune de Saverne est condamnée à indemniser le propriétaire de l’immeuble à hauteur de 150 000 €, alors même qu’elle n’a commis aucune illégalité…
La décision de préempter un bien ne doit donc pas être prise à la légère car, même s’il est toujours possible de revenir en arrière tant que la procédure n’est pas terminée, un tel revirement peut dans certains cas être coûteux pour la collectivité.
Ref. : CE, 13 juin 2022, Société Immotour, req., n° 437160. Pour lire l’arrêt, cliquer ici