Une construction réalisée en violation du cahier des charges d’un lotissement est-elle nécessairement vouée à la démolition ?

Même si l’article L. 442-9 du Code de l’urbanisme a posé le principe selon lequel les règles d’urbanisme figurant dans le cahier des charges d’un lotissement de plus de dix ans étaient devenues caduques, ce document reste applicable dans les relations qu’entretiennent les co-lotis entre eux (v. sur ce point : https://blog.landot-avocats.net/2018/09/11/le-cahier-des-charges-dun-lotissement-reste-encore-vivant-meme-apres-la-loi-alur/). 

Par voie de conséquence, une construction réalisée en méconnaissance des stipulations du cahier des charges du lotissement est irrégulière et expose son auteur à être poursuivi par les autres co-lotis ou l’ASL devant le juge civil.

Si l’absence de respect du cahier des charges est avérée, quelle conséquence le juge civil doit-il tirer ?

Doit-il nécessairement ordonner la démolition de la construction au motif qu’elle n’est pas conforme aux exigences du cahier des charges du lotissement ?

Pas forcément vient de préciser la Cour de cassation.

Dans une décision rendu le 13 juillet 2022, la 3ème Chambre civile a considéré que la démolition pouvait apparaître comme une sanction disproportionnée si la construction, bien qu’irrégulière par rapport au cahier des charges du lotissement, n’était pas préjudiciable pour ceux qui avaient saisi le juge civil.

Pour la Cour de cassation, le juge du fond peut en effet refuser d’ordonner la démolition d’un telle construction s’il considère que cette mesure, compte tenu de sa radicalité, est excessive par rapport aux intérêts lésés :

La cour d’appel a constaté que, si la construction violait l’article 8 du cahier des charges du lotissement, dès lors qu’elle n’était pas implantée dans un carré de trente mètres sur trente mètres, le cahier des charges, qui n’avait pas prohibé les constructions collectives, autorisait la construction d’un édifice important sur le lot acquis par la SCI et que la construction réalisée, située à l’arrière de la villa de M. et Mme [U], n’occultait pas la vue dont ils bénéficiaient, l’expert étant d’avis qu’il n’en résultait pas une situation objectivement préjudiciable mais seulement un ressenti négatif pour M. et Mme [U] en raison de la présence, en amont de leur propriété, d’un ensemble de sept logements se substituant à une ancienne villa.

Ayant retenu qu’il était totalement disproportionné de demander la démolition d’un immeuble d’habitation collective dans l’unique but d’éviter aux propriétaires d’une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l’immeuble avait été construit dans l’esprit du règlement du lotissement et n’occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d’appel, qui a fait ressortir l’existence d’une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d’exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l’allocation de dommages-intérêts.

Dès lors, si une construction méconnait certaines obligations du cahier des charges d’un lotissement mais que cela ne cause pas aux autres co-lotis d’importants préjudices, ceux-ci pourront demander des dommages et intérêts, mais pas la démolition de l’ouvrage.

A l’instar des ouvrages publics, l’ouvrage privé mal planté dans un lotissement n’est donc pas forcément voué à la démolition.

Ref. : Cass., 3ème, 13 juillet 2022, Pourvoi n° 21-16407. Pour lire l’arrêt, cliquer ici