Responsabilité financière : importante décision sur la notion de préjudice financier, sur le contrôle sélectif des dépenses et sur les remises gracieuses

La réforme de la responsabilité financière des ordonnateurs et des comptables n’est pas une refonte : c’est une petite révolution dans le monde public.

Après une conception complexe entre 2018 et 2021, ce nouveau régime est, pour l’essentiel, né de la loi de finances (n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022) puis de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022.

La grande bascule aura eu lieu au premier janvier 2023, avec sans doute de nombreuses conséquences pour les comptables publics, les ordonnateurs, mais aussi pour tous les acteurs du monde public.

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Vu cette grande bascule dans deux jours, avec la disparition notamment du régime actuel de la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) des comptables public (patents ou de fait), on pourrait s’interroger sur la pertinence de s’esbaudir à la lecture d’un nouvel arrêt à ce sujet, portant notamment sur la notion de préjudice financier, d’une part, et de remise gracieuse, d’autre part.

SAUF QUE :

  • cette notion de préjudice financier significatif se retrouve, certes sous d’autres formes, dans certaines futures infractions financières sanctionnant tant les ordonnateurs que les comptables dans le nouveau régime.
  • le contrôle du comptable sur les actes de l’ordonnateur reste, quasiment inchangé (juste un peu plus de lignes de défense permettant notamment pour celui-ci de renvoyer la balle sur sa hiérarchie ou sur les actes de l’ordonnateur, et le fait que sans doute souvent désormais l’instruction se fera au moins dans un premier temps contre tant le comptable que l’ordonnateur qui là encore change la donne mais reposera en termes certes nouveau le vieux problème de l’étendue du contrôle financier du comptable sur les mandats et titres qui lui sont transmis).

 

C’est donc avec un intérêt qui ne sera pas qu’historique qu’il convient de se plonger dans la décision du Conseil d’État n° 441052, à mentionner aux tables du recueil Lebon, lue le 28 décembre 2022.

En l’espèce, un comptable public d’un établissement public médico-social départemental avait versé une indemnité de sujétion spéciale à divers personnels non médicaux titulaires de l’établissement sur le fondement des articles 1, 2 et 4 du décret n° 90-693 du 1er août 1990.

Pour retenir l’existence d’un préjudice financier au titre de la deuxième charge, résultant du paiement de cette indemnité, nonobstant le constat du service fait et de la volonté de l’ordonnateur d’exposer cette dépense, la Cour des comptes s’était fondée sur la circonstance qu’en l’absence des décisions individuelles de l’ordonnateur dont la vérification était requise par la nomenclature des pièces justificatives, le comptable public n’était pas en mesure de vérifier le respect des conditions énoncées par les dispositions du décret du 1er août 1990.

Ce raisonnement de la Cour des comptes est censuré par le Conseil d’Etat car :

  • le versement de cette indemnité était de droit pour les agents de l’établissement répondant aux conditions légales
  • il n’était pas contesté que tous les bénéficiaires de l’indemnité en litige répondaient à ces conditions.

 

L’arrêt est aussi intéressant en ce qu’il porte sur le contrôle sélectif des dépenses, qui peut permettre d’accorder une remise gracieuse totale au comptable public. Ce régime « constitue un mode dérogatoire au contrôle exhaustif des dépenses, lequel demeure dès lors applicable pour toutes les dépenses qui ne sont pas expressément mentionnées dans le plan de contrôle
Lors de sa prise de fonctions en juillet 2015, le comptable public avait établi pour le second semestre 2015 un plan de contrôle sélectif de la paye, approuvé par la direction départementale des finances publiques.

Toutefois, ce plan ne prévoyait pas les modalités de contrôle des trois indemnités constitutives des deuxième, troisième et quatrième charges retenues à son encontre. En se fondant sur l’absence de mention de ces indemnités dans le plan de 2015, pour juger qu’il appartenait au comptable public d’exercer un contrôle exhaustif sur ces indemnités et, par suite, que celui-ci ne pouvait solliciter le bénéfice d’une remise gracieuse totale des sommes mises à sa charge au titre des deuxième, troisième et quatrième charges, la Cour des comptes n’a pas commis d’erreur de droit, pose le Conseil d’Etat.

Source :

Conseil d’État, 28 décembre 2022, n° 441052, à mentionner aux tables du recueil Lebon

 

Photo : coll. pers. ; photo prise, bien naturellement, au sein du bâtiment de la Cour des comptes ; DR