Indemnisations à la suite du mouvement des Gilets jaunes : réparation des déprédations, oui ; des pertes d’exploitation à la suite des blocages routiers, non

L’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure (CSI) dispose que :

« L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens.
« L’Etat peut également exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable, dans les conditions prévues au chapitre Ier du sous-titre II du titre III du livre III du code civil.
« Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée. »

… la notion d’attroupement concerné par ce régime pouvant donner lieu à de subtiles, trop subtiles, distinctions.

Voir : CE, 30 décembre 2016, SOCIETE GENERALI IARD et autres, n°389835 ; CE, 30 décembre 2016, Société Covea risks, n° 386536 ; CE, 11 juill. 2011, Sté Mutuelle d’assurances des collectivités locales, n°331669 ; Voir aussi CE, 23 février 1968, Epoux Lemarchand et autres, nos 72416, 72417, 7241455, au Recueil p. 132 ; CAA Lyon, 18 mai 2015, M. Bourgerol, n° 14LY00131. Pour un cas intéressant voir TA Nice, 5ème chambre, 20 décembre 2016, Fonds de Garantie des Victimes d’Actes de Terrorisme et d’Autres Infractions, n° 1501370, M. Parisot, pdt, M. Pascal, rapp., M. Taormina, rapp. publ. 

Voir  :

Avec une application pour le cas des gilets jaunes :

 

Ce cadre juridique a bien sûr été utilisé à la suite des déprédations commises par certains des gilets jaunes qui ont, un peu partout sur le territoire national, commis de fortes dégradations au détriment des bâtiments publics, des voiries, du mobilier urbain… C’est un fait, quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir, par ailleurs, au sujet de ce mouvement.

De nombreux TA et CAA ont donc, non sans quelques subtilités, reconnus ces fautes et indemnisés les victimes aux frais, au moins partiels, de l’Etat.

VOIR LES JURISPRUDENCES CITÉES ET LA VIDÉO FAITE ICI :

Récemment, la CAA de Lyon s’est jointe à ce concert de jurisprudences (indemnisation d’un gestionnaire de mobilier urbain en l’espèce) :

Mais encore faut-il que des gilets jaunes aient commis des déprédations. Une simple perte d’exploitation, sauf si elle a pris des dimensions anormales et spéciales (par rapport aux autres entreprises) ne sera pas indemnisée par l’Etat. Telle est la leçon d’une intéressante décision de la CAA de Toulouse.

Des actions de blocage et de filtrage de la circulation ont été menées entre le 20 novembre et le 19 décembre 2018 au niveau des ronds-points desservant la zone industrielle de Saint-Césaire à Nîmes, où est implantée une usine de la société LIB Industries, par des manifestants, revêtus de gilets jaunes. Ces actions, qui se sont succédées pendant une durée d’un mois, s’inscrivaient dans le cadre du mouvement national des gilets jaunes.

Elles ont certes constitué des délits d’entrave à la circulation réprimés par l’article L. 412-1 du code de la route et ont été concertées et préméditées.

Par conséquent, les préjudices qui ont résulté pour la société LIB Industries de ces opérations ne peuvent être considérés comme imputables à un attroupement ou à un rassemblement au sens des dispositions précitées de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et ne sauraient donc engager la responsabilité de l’État sur ce fondement.

Ce n’est pas tant que le préjudice subi par cette entreprise n’était pas assez « anormal » et « spécial » pour être indemnisé. C’est surtout que le cadre juridique propre aux attroupements cessait d’être applicable.

Il y a six mois, par exemple, le Conseil d’Etat rendait  une nouvelle décision qui confirmait l’appréciation très stricte du juge administratif, revenant à exclure du régime attroupement ou rassemblement au sens de l’article L. 211-10 du CSI les actes délictuels organisés à l’avance pour bloquer des routes ou des autoroutes.

Source : Conseil d’État, 28 octobre 2022, n° 451659, aux tables du recueil Lebon

Ceci confirmait d’autres décisions antérieures :

Ceci dit, tout ceci doit être manié avec prudence, car une analyse au cas par cas s’impose…

Voici cette nouvelle décision de la CAA de Toulouse :

 

CAA Toulouse, 7 mars 2023, n° 21TL04565

 

Photo de Baudouin Wisselmann sur Unsplash ; prise à Lyon en janvier 2019 (manifestations de gilets jaunes)