Jusqu’où le droit peut-il laisser l’art représenter crûment les viols pédopornographiques ?

Mise à jour au 14 avril 2023,
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Jusqu’où le droit peut-il laisser l’art représenter, crûment, un viol ? [suite et fin] 

 


 

 

Au Palais de Tokyo (bâtiment comprenant le Musée d’Art moderne de Paris et un Centre d’art contemporain), a lieu une exposition de l’artiste suisse Miriam Cahn... dont un tableau intitulé « Fuck abstraction ! ».

Il s’agit d’une représentation, crue, glaçante, d’une scène de crime pédophile dénonçant « la façon dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre et fait référence aux exactions commises dans la ville de Butcha en Ukraine lors de l’invasion russe ». On y devine, nettement, un enfant forcé de pratiquer un acte sexuel. 

Ladite image, qui depuis traîne en ligne… est à tout le moins horrible. Choquante, glaçante… C’est le but de l’artiste.

Impossible, fort heureusement, pour un être normal d’y ressentir autre chose que de la pure répulsion… mais avec le risque, hélas, qu’un malade sexuel n’y voie autre chose qu’un crime indicible.

Le juge des référés du TA de Paris vient de refuser de censurer la présence de ce tableau (ou même d’imposer une restriction aux seuls majeurs de la vue de ce tableau) dans cette exposition dans le cadre d’un référé liberté.

Voici cette décision, le communiqué du TA ainsi que quelques références jurisprudentielles.  

 


 

Le nu, le sexe, l’art et le droit peuvent s’accommoder, ensemble, d’une dose — même forte — de crudité, mais pas sans précautions :

On rappellera que :

  • l’art est libre mais que des manifestations, même culturelles ou prétendument telles, ou même des conférences avec la liberté d’expression qui en résulte, peuvent être censurées pour atteinte à la dignité humaine.
    Sources : CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n°136727 ; TA Clermont-Ferrand, ord., 24 janvier 2020, n°2000155 ; CE, ord., 9 janvier 2014, n° 374508, au recueil Lebon ;  TA Lille, ord. 24 février 2023, La Citadelle, n° 2301587 ; Conseil d’État, ord., 4 mars 2023, Imam de la Mosquée bleue de Marseille c/ Commune de Brétigny-sur-Orge, n° 471871. 
  • l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la boussole absolue des pouvoirs publics selon la convention de New-York relative aux droits de l’enfant.

C’est avec ce cadre juridique global qu’a été rejeté le recours contre le maintien du tableau en question dans une salle où même des mineurs peuvent voir cette exposition. Voici à ce sujet les données brutes que sont la décision, d’une part, et le communiqué du TA, d’autre part. 

Voici le communiqué du TA :

« La juge des référés du tribunal administratif de Paris rejette la demande de l’association « Juristes pour l’enfance » de retirer de l’exposition de l’artiste suisse Miriam Cahn présentée au Palais de Tokyo le tableau intitulé « Fuck abstraction ! ».

« L’association « Juristes pour l’enfance » a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative pour qu’il ordonne au Palais de Tokyo de retirer ce tableau de l’exposition « Ma pensée sérielle » consacrée à l’artiste Miriam Cahn ou à défaut, d’interdire aux mineurs l’accès à la salle d’exposition où figure cette œuvre. Elle soutenait que cette œuvre présentait un caractère pornographique et portait une atteinte grave et manifestement illégale à l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par le paragraphe 1 de l’article 3 de convention de New-York relative aux droits de l’enfant.
« La juge des référés du tribunal administratif de Paris a, par ordonnance du 28 mars 2023, rejeté la demande de l’association requérante.
« La juge des référés a, tout d’abord, estimé que le tableau en litige ne saurait être compris en dehors de son contexte et du travail de l’artiste Miriam Cahn qui vise à dénoncer les horreurs de la guerre, ainsi que cela est rappelé dans le document de présentation de l’évènement distribué au public. Un cartel placé près de l’œuvre précise que cette dernière traite de la façon dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre et fait référence aux exactions commises dans la ville de Butcha en Ukraine lors de l’invasion russe.
« La juge des référés a, ensuite, relevé que le Palais de Tokyo a mis en place un dispositif pour accompagner l’exposition d’une part, en exposant cette œuvre dans une salle n°3 séparée avec d’autres œuvres susceptibles de choquer le public, en plaçant à l’entrée de cette salle un panneau d’avertissement et en y disposant des cartels explicatifs de l’œuvre, d’autre part, en assurant la présence de médiateurs à disposition du public  et en sensibilisant  les agents du musée placés en permanence à l’entrée de la salle n°1, à l’entrée et au milieu de la salle n°3, à la nécessité de s’assurer que le public avait bien connaissance des avertissements et de ne pas laisser dans cette salle des mineurs non accompagnés et enfin, de placer encore un avertissement au niveau de la billetterie.
« Enfin, après avoir rappelé que depuis le 17 février 2023, l’exposition a accueilli 45 000 visiteurs sans qu’aucune difficulté n’ait jamais été constatée par le Palais de Tokyo qui n’a reçu aucune plainte ou signalement des visiteurs et n’a pas recensé de mineurs visitant seuls l’exposition, la juge des référés a considéré qu’eu égard aux mesures prises par le Palais de Tokyo, l’association Juristes pour l’enfance n’était pas fondée à soutenir que le maintien de l’œuvre en litige dans le cadre de l’exposition serait constitutif d’une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue l’intérêt supérieur de l’enfant.
« La procédure du référé liberté, prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, permet au juge d’ordonner, dans un très bref délai, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit heures

Voici cette décision :