Marchés publics : pas d’AMM… pas d’offre recevable… et pas de contrat licite.

Illicéité du contrat : le Conseil d’Etat fournit un exemple intéressant  d’un marché public illicite (de démoustication) car portant sur un produit dépourvu d’autorisation de mise sur le marché (AMM) à la date d’examen des offres (les régularisations a postériori n’étant pas possibles).
Il est à rappeler que l’illicéité du contrat entraîne de nombreuses conséquences (annulation du contrat, certes, mais aussi mode d’indemnisation spécifique, impossibilité d’utiliser les procédure en reprise des relations contractuelles dites Béziers I, obligation d’accepter les demandes des résiliation du contrat…). 

Le contenu d’un contrat ne présente un caractère illicite que si l’objet même du contrat, tel qu’il a été formulé par la personne publique contractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu’il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu’en s’engageant pour un tel objet le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement.
Source : CE, 9 novembre 2018, Société Cerba et Caisse nationale d’assurance maladie, n°s 420654 420663, rec. p. 407.

Récemment, d’ailleurs, le juge ( CE, 8 mars 2023, SIPPEREC, req. n°464619, mentionné au tables du recueil Lebon), a reconnu la possibilité pour la personne publique, lorsqu’une clause du contrat est affectée d’une irrégularité tenant au caractère illicite de son contenu et à condition qu’elle soit divisible du reste du contrat, y apporter de manière unilatérale les modifications permettant de remédier à cette irrégularité.

Voir : Une clause illicite peut-elle être modifiée unilatéralement par la personne publique ? 

NB : sur une illégalité ne donnant pas un caractère illicite au contrat en entier, voir CE, 10 juillet 2020, n° 434353 (voir ici cette décision et notre article ; voir aussi ici une vidéo). Voir aussi : certains vices du contrat sont trop graves pour que le litige puisse encore être tranché sur le terrain contractuel (CAA Versailles, 28 septembre 2017, n° 16VE02808 et 16VE02809 ; voir aussi et surtout les trois arrêts récents du 10 juillet 2020 et d’autres du 27 mars 2020 (voir : Un contrat administratif illégal peut-il, à ce titre, être résilié unilatéralement ? Avec quelles indemnisations ? Et que se passe-t-il si la nullité d’un contrat résulte de pratiques anticoncurrentielles de son cocontractant ? ). 

 

Une telle illicéité permet l’annulation du contrat même dans le cadre, comme en l’espèce, d’un recours Tarn-et-Garonne (CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, rec. p. 70 ; voir ici divers articles à ce sujet).

Mais cette notion reste très restreinte. Selon la Haute Assemblée, le contrat n’est illicite que :

« si l’objet même du contrat, tel qu’il a été formulé par la personne publique contractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu’il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu’en s’engageant pour un tel objet, le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement ; »
CE, 9 novembre 2018, Société Cerba, Caisse nationale d’assurance maladie, n°s 420654 et 420663

La liste des illicéités en droit administratif a donné lieu à d’innombrables gloses.

NB : sur ce point, voir par exemple la synthèse de qualité du fasc. 742 du JurisClasseur Administratif par M. François Brenet, mise jour de juin 2022 par M. Mathias Amilhat, n° 35 et suiv.  ; voir aussi par exemple H. Hoepffner, Droit des contrats administratifs : Dalloz 2016, p. 323 et suiv.  

Citons les conclusions de M. Nicolas LABRUNE, Rapporteur public, qui explique fort clairement les raisons de cette restriction :

« La limitation des cas d’illicéité du contenu du contrat aux cas les plus graves est à la mesure des effets de ce vice, qui est d’ordre public, et entraîne non seulement l’annulation du contrat mais fait également obstacle à ce que le juge ordonne la reprise des relations contractuelles (CE, 1er octobre 2013, Sté Espace Habitat construction, n° 349099, aux Tables pp. 695-696-700), impose en principe à la personne publique cocontractante de faire droit à une demande de résiliation du contrat (CE Section, 3 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche, n° 398445, au Recueil p. 209) […] »

 

Dans cette nouvelle affaire, justement, nous sommes nettement dans un tel cas. Et l’illustration en est intéressante car le Conseil d’Etat vient en effet de poser qu’est illicite le contrat dont l’objet même est la fourniture d’un produit dépourvu de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) exigée par les dispositions qui lui sont applicables, ce qui constitue un vice de nature à justifier l’annulation du contrat.

NB : attention à ne pas confondre avec le fait que les certifications des agents, pour l’usage de certains produits, elles, peuvent sans doute attendre la phase d’exécution du marché sauf mention contraire du DCE : CE, 18 février 2022, Toulouse Métropole, n° 457578

En l’espèce, la commune de Hyères a lancé un appel d’offre pour la fourniture d’un produit larvicide destiné à la lutte contre les moustiques. Elle a retenu l’offre de la société CERA pour un produit et informé la société Bergon du rejet de son offre qui, elle, était fondée sur un autre produit.

Très classiquement, l’article 7 du règlement de la consultation prévoyait que les produits devaient répondre aux normes de sécurité et normes en vigueur. Mais l’acheteur public aurait-il omis cette mention que le résultat eût sans doute été le même.

Le régime de mise sur le marché est très strict en droit français comme en droit européen (cf notamment l’article 17 du règlement [UE] 528/2012 du 22 mai 2012 ; avec des subtilités selon les dates de présentation des produits).

Or, le juge a estimé que la substance active de ce produit n’avait pas été autorisée avant cette date, et donc que ce produit ne pouvait bénéficier, à la date de présentation de son offre, d’un des régimes transitoires en droit. Bref, pas d’AMM… pas d’offre recevable… et pas de contrat licite.

Il est intéressant de noter que le Conseil d’Etat signale que ceci s’apprécie donc « à la date de l’instruction de l’offre », et que la circonstance que la société a fini par fournir une justification de dépôt de demande d’autorisation de mise sur le marché de ce produit et une attestation sur l’honneur d’enregistrement et d’autorisation du produit… ne sauraient valoir autorisation de mise sur le marché.

Et il s’agit bien d’une illicéité, frappant l’entier contrat en l’espèce :

« 12. En cinquième lieu, le contenu d’un contrat ne présente un caractère illicite que si l’objet même du contrat, tel qu’il a été formulé par la personne publique contractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu’il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu’en s’engageant pour un tel objet, le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement. En jugeant que le défaut d’autorisation de mise sur le marché d’un produit dont la fourniture constituait l’objet même du contrat litigieux entachait d’illicéité le contenu de ce contrat et qu’un tel vice était de nature à justifier son annulation, la cour n’a pas commis d’erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. »

 

Source :

Conseil d’État, 5 avril 2023, n° 459834 et 459865,  aux tables du recueil Lebon

Voir les conclusions de M. Nicolas LABRUNE, Rapporteur public :