Marchés de substitution : le cocontractant initial est fort tardif à s’interroger, au moment où il doit payer, sur le point de savoir si le nouveau contrat a été régulièrement passé ou si les prestations ont été bien exécutées… sans avoir réagi avant, demandé des documents en temps et en heure, contesté la passation quand il le pouvait…
On savait déjà (I.) que la possibilité de marchés de substitution existait, pour la personne publique, même dans le silence du contrat (règle d’ordre public)… avec insertion des malfaçons, dans ce marché de substitution. Mais avec un droit, pour le cocontractant initial, de suivre les opérations exécutées dans le cadre du marché de substitution.
II. On vient d’apprendre qu’en pareil cas, bien sûr, l’administration devait notifier le marché de substitution au cocontractant initial. Mais qu’ensuite, la communication des pièces prouvant la réalité des prestations effectuées dans le cadre du marché de substitution ne s’impose au profit du cocontractant initial que si celui-ci en fait la demande expresse (une contestation des sommes mises à sa charge ne valant pas une telle demande). De plus, le cocontractant initial n’est pas fondé à soulever des moyens relatifs à la passation de ce marché de substitution au stade de sa contestation des sommes mises in fine à sa charge (II.).
I. On savait déjà que la possibilité de marchés de substitution existait, pour la personne publique, même dans le silence du contrat (règle d’ordre public)… avec insertion des malfaçons, dans ce marché de substitution. Mais avec un droit, pour le cocontractant initial, de suivre les opérations exécutées dans le cadre du marché de substitution.
Tout acheteur public ayant vainement mis en demeure son cocontractant d’exécuter les prestations du contrat a la possibilité de recourir à des marchés de substitution aux frais et risques de son cocontractant… vient de rappeler le Conseil d’Etat.
Mais avec d’intéressantes précisions ou, parfois, confirmations.
Déjà, en 2020, le Conseil d’Etat :
- confirmait que cette possibilité s’impose même dans le silence du contrat et sans qu’il faille au préalable résilier ledit contrat.
La règle selon laquelle, même dans le silence du contrat, l’acheteur public peut recourir à des marchés de substitution aux frais et risques de son cocontractant revêt le caractère d’une règle d’ordre public.
(voir aussi CE, Assemblée, 9 novembre 2016, Société Fosmax LNG, n° 388806, rec. p. 466). - rappellait que le cocontractant initial a le droit de suivre les opérations exécutées dans le cadre du marché de substitution.En effet, il est loisible au titulaire du marché, de contester la conclusion, par le pouvoir adjudicateur, de marchés de substitution et celui-ci doit être mis à même de suivre les opérations exécutées par le titulaire de ces marchés, afin de pouvoir veiller à la sauvegarde de ses intérêts.
(voir déjà CE, 9 juin 2017, Société Entreprise Morillon Corvol Courbot, n° 399382, rec. T. p. 677 ; CE, Section, 28 janvier 1977, Ministre de l’économie c/ Société Heurtey, n° 99449, rec. p. 50). - posait que si le marché de substitution n’a pas permis de réaliser avec succès les prestations attendues… cela ne dispense pas pour autant le cocontractant initial d’en supporter la charge (ce qui est tout de même sévère)… et qu’il peut en résulter même parfois une résiliation aux torts exclusifs du titulaire du contrat en cas de faute d’une gravité suffisante, alors même que des pénalités ont été prononcées pour les retards pendant la période d’exécution du contratLe Conseil d’Etat précise que même si le marché ne contient aucune clause à cet effet et, s’il contient de telles clauses, quelles que soient les hypothèses dans lesquelles elle prévoient qu’une résiliation aux torts exclusifs du titulaire est possible, il est toujours possible, pour le pouvoir adjudicateur, de prononcer une telle résiliation lorsque le titulaire du marché a commis une faute d’une gravité suffisante.
Il ajoute que la circonstance que, pendant la période où le marché est exécuté, des retards ont fait l’objet de pénalités ne fait pas obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur prononce en définitive la résiliation du marché aux torts exclusifs de son titulaire, les pénalités ne pouvant alors porter sur la période postérieure à la date de la résiliation.
(voir aussi : CE, 26 février 2014, Société Environnement services et communauté d’agglomération du pays ajaccien, n°s 365546 365551, rec. T. pp. 750-830 ; CE, 21 mars 1986, Meyrignac, n° 46973, rec. T. p. 611).
Source : CE, 18 décembre 2020, n° 433386, à publier aux tables du recueil Lebon :
http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-12-18/433386
Voir mon article publié alors :
Puis, dans un arrêt n° 437148 du 27 avril 2021, le Conseil d’Etat précisait que la possibilité pour l’acheteur public de recourir à un marché de substitution en cas de défaillance de son cocontractant s’étendait à l’inclusion (dans le marché de substitution donc) de la reprise des malfaçons sur des parties du marché déjà exécutées.
Voir une courte vidéo de 3 mn 25 à ce sujet qu’Evangelia Karamitrou et moi avions faite alors :
Voir aussi l’article d’E. Karamitrou à ce propos :
II. On vient d’apprendre qu’en pareil cas, bien sûr, l’administration devait notifier le marché de substitution au cocontractant initial. Mais qu’ensuite, la communication des pièces prouvant la réalité des prestations effectuées dans le cadre du marché de substitution ne s’impose au profit du cocontractant initial que si celui-ci en fait la demande expresse (une contestation des sommes mises à sa charge ne valant pas une telle demande). De plus, le cocontractant initial n’est pas fondé à soulever des moyens relatifs à la passation de ce marché de substitution au stade de sa contestation des sommes mises in fine à sa charge.
Or, le Conseil d’Etat vient d’affiner son propos en ce domaine. Il :
- confirme qu’il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que l’administration contractante peut, après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de poursuivre l’exécution des prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, décider de confier l’achèvement des prestations à une autre entreprise aux frais et risques de son cocontractant.
- rappelle que le cocontractant défaillant doit être mis à même de suivre l’exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de lui permettre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts, les montants découlant des surcoûts supportés par l’administration en raison de l’achèvement des prestations par un nouvel entrepreneur étant à sa charge.
- en déduit que naturellement en pareil cas l’administration doit dans tous les cas notifier le marché de substitution au titulaire du marché résilié,
- mais que l’administration n’est tenue de lui communiquer les pièces justifiant de la réalité des prestations effectuées en exécution du nouveau contrat qu’à la condition d’être saisie d’une demande en ce sens.
- pose donc que le cocontractant défaillant de l’administration ne saurait utilement soutenir, à l’appui de sa demande contestant le montant du marché de substitution, que ce marché aurait été attribué en méconnaissance du principe d’égalité de traitement entre les candidats à un contrat de la commande publique.
En l’espèce, la société Iveco France était fournisseur, dans le cadre d’un marché public (pour la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense — Simmad) de véhicules de dégivrage et d’antigivrage pour aéronefs.
La Simmad avait résilié le marché aux torts de cette société et avait notifié à la société Iveco France deux décomptes provisoires mettant à sa charge le coût des dépenses supplémentaires résultant de la passation d’un marché de substitution ayant le même objet que le marché initial.
La CAA avait estimé que la Simmad n’avait pas mis la société Iveco France à même de suivre l’exécution du marché de substitution et que « la société avait entendu vérifier la réalité des prestations exécutées en contestant par des mémoires en réclamation les deux décomptes provisoires qui lui avaient été adressés ». Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement en posant que la CAA aurait du à ce stade « rechercher si la société avait saisi la Simmad d’une demande de communication de pièces justifiant de la réalité des prestations », la contestation des décomptes n’étant pas assimilable à une telle demande.
Ensuite, le Conseil d’Etat règle ainsi l’affaire sur le fond (nous en étions tout de même à un second pourvoi en cassation) :
« 8. En premier lieu, il résulte de l’instruction et il n’est pas contesté que la Simmad a notifié le marché de substitution à la société Iveco France. Si cette société a fait valoir, dans les mémoires en réclamation qu’elle a présentés les 23 mai 2013 et 16 janvier 2015 à l’encontre des décomptes provisoires du marché résilié communiqués par la Simmad, que ces décomptes étaient irréguliers, elle n’a pas saisi la Simmad d’une demande tendant à la production de pièces démontrant la réalité des prestations effectuées par le titulaire du marché de substitution. Par suite, la société Iveco France n’est pas fondée à soutenir que, faute de lui avoir adressé de telles pièces, la Simmad ne l’aurait pas mise à même de suivre l’exécution du marché de substitution.
« 9. En deuxième lieu, la société Iveco France ne saurait utilement soutenir, à l’appui de sa demande contestant le montant du marché de substitution, que ce marché aurait été attribué en méconnaissance du principe d’égalité de traitement entre les candidats à un contrat de la commande publique.
« 10. En dernier lieu, la société Iveco France s’étant engagée, par le marché résilié, à exécuter tant sa tranche ferme que ses tranches conditionnelles, le surcoût du marché de substitution comprenant des prestations effectuées en exécution des tranches conditionnelles doit, contrairement à ce qu’elle soutient, être également mis à sa charge.
« 11. Il résulte de ce qui précède que la société Iveco France n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par les jugements attaqués des 2 mai 2016 et 3 juin 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à ce que le solde du marché, fixé au montant de 2 096 488,72 euros, soit ramené à la somme de 57 204,08 euros. »
Source :
Conseil d’État, 5 avril 2023, n° 463554, aux tables du recueil Lebon
Voir les conclusions de M. Nicolas LABRUNE, Rapporteur public :
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