La CEDH refuse dans un cas particulier de censurer le régime français de prescription en injure ou diffamation. Ce qui ne veut pas dire que ce sera le cas pour d’autres requérants, d’autres affaires…
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Un magistrat administratif a déposé plainte (avec constitution de partie civile) pour diffamation contre un ancien membre de l’Assemblée de la Polynésie française, au titre de propos tenus en séance.
Or la prescription en matière de délit de presse, comme l’injure ou la diffamation, une action est à conduire tous les trois mois, y compris au fil de l’instruction. Sinon l’affaire est prescrite.
NB : sous réserve de l’existence de certains délais spécifiques…
De plus, si la plainte initiale n’est pas assez précise, au point de devoir être rejetée… alors le temps que cela soit tranché là encore le délai de recours de trois mois est expiré.
Les avocats expérimentés le savent et :
- rédigent des plaintes très précises ab initio
- puis au fil de la procédure, font un acte, même idiot, de procédure tous les deux mois et demie…. pour le cas où le procureur omettrait de le faire.
Les requérants individuels et les procureurs distraits ou mal organisés (ou incompétents mais cette hypothèse est théorique)… oublient de le faire et se font avoir.
Le requérant magistrat administratif, meilleur publiciste que pénaliste (mais qui avait eu l’intelligence de saisir un pénaliste), s’est quant à lui fait avoir. Nous voyons cela tout le temps.
Seule possibilité pour le magistrat courroucé et diffamé : aller jusqu’à la CEDH pour tenter d’obtenir la censure de ces règles de prescription propres au droit de la presse français et, objectivement inutilement rigides et piégeuses.
Mais ces règles de prescription viennent d’être soumises à la censure de la CEDH… qui a décidé de ne pas les étriller. Au motif qu’après tout le requérant peut se débrouiller et gérer cela :
« le droit interne lui imposait de surveiller le déroulement de la procédure et de veiller à ce que son action en justice, toujours pendante, échappe à la prescription (paragraphe 22 ci-dessus). Or, la décision de renvoi du 9 octobre 2014 a été prononcée contradictoirement, de sorte que le requérant pouvait effectivement faire citer son contradicteur à l’une des audiences de la cour d’appel pour interrompre la prescription. Les juridictions internes ont donc pu considérer que celui-ci avait manqué à son devoir de surveillance sans que cette conclusion puisse passer pour arbitraire ou déraisonnable.»
Et donc qu’en l’espèce le requérant n’a pas eu à gérer une contrainte procédurale excessive au regard de la CEDH :
« 44. La Cour en conclut que la cour d’appel de Papeete et le requérant ont tous deux contribué à l’acquisition de la prescription. En pareilles circonstances, pour déterminer si le requérant a dû supporter une charge procédurale excessive, la Cour doit tenir compte de toutes les circonstances de l’affaire, considérée dans son ensemble, en recherchant en particulier i) si le requérant était assisté d’un avocat et s’il a agi avec la diligence requise, ii) si les erreurs commises auraient pu être évitées dès le début, iii) et si les erreurs sont principalement ou objectivement imputables au requérant ou aux autorités compétentes (Zubac, précité, §§ 91-95).
45. À cet égard, la Cour constate en premier lieu que le requérant a été assisté par un avocat spécialisé en droit pénal devant la cour d’appel et qu’il est lui‑même un professionnel du droit. Elle estime donc qu’il ne pouvait ignorer l’étendue de ses obligations procédurales. La Cour remarque que le requérant est à l’origine des poursuites pénales engagées à l’encontre de M. Tuheiava, et elle admet que cette circonstance peut lui conférer une responsabilité particulière dans la conduite de l’instance.
46. En deuxième lieu, elle observe que l’avocat du requérant aurait pu présenter des observations sur la demande de renvoi présentée par le prévenu à l’audience du 9 octobre 2014 ou interpeller la juridiction sur le problème lié à la fixation par les juges d’une date d’audience entraînant prescription. Or, il ne résulte pas des documents produits devant la Cour qu’il ait fait usage de cette faculté. Au contraire, le requérant reconnaît dans ses observations que son avocat s’est « [laissé] surprendre par la prescription ».
47. En troisième lieu, la Cour souligne que le requérant a eu connaissance de la date de renvoi dès le 9 octobre 2014 et qu’il a disposé d’un délai de trois mois pour faire délivrer aux parties une citation à comparaître à une autre audience. Elle considère que cette formalité procédurale, bien qu’étant nécessairement de nature à générer un coût supplémentaire pour le requérant, était simple et accessible. À cet égard, la Cour rappelle que droits procéduraux et obligations procédurales vont normalement de pair et que les parties sont tenues d’accomplir avec diligence les actes de procédure relatifs à leur affaire (Zubac, précité, § 93, et, par exemple, Clinique Sainte Marie, décision précitée).
48. Dans ces conditions, et en dépit de la négligence dont la cour d’appel de Papeete a fait preuve en matière d’audiencement, la Cour juge que le requérant n’a pas eu à supporter une charge procédurale excessive.»
MAIS on le voit : nous avons là une appréciation au cas par cas. Avec un requérant accompagné d’un avocat pénaliste (lequel doit être en train de contacter son assureur…) et avec une procédure qui en droit français permet en effet au requérant diligent de suspendre cette prescription… le requérant a été débouté. Soit.
Une autre affaire avec un requérant non accompagné d’un avocat et avec une prescription qui par exemple constituée au fil de la procédure par négligence certes du requérant, mais aussi du juge, il n’est pas certain que la CEDH trancherait dans le même sens.
Il est donc excessif d’écrire que la CEDH valide le régime français. Dans un cas particulier, il a refusé de le censurer. Nuance.
Voici cette décision :
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