Nulle garantie particulière ne s’impose, constitutionnellement, pour prémunir les Ministères des perquisitions ou à tout le moins pour en encadrer le régime… au contraire, par exemple, de ce qui avait été jugé s’agissant des juridictions (décision 2015-506 QPC du 4 décembre 2015) : le Conseil constitutionnel s’avère donc plus protecteur, sur ce point, des juges que de l’exécutif… de la Justice que du Ministère de la Justice. Soit.
Ceci résulte d’un raisonnement qui en droit est présenté (par le communiqué de presse du Conseil) comme s’inscrivant dans une jurisprudence constante, ce qui est en partie vrai, mais pouvait donner lieu à débats.
Et qui soulève la question de savoir si la « méconnaissance » de la séparation des pouvoirs « affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ».
S’agissant de procédure pénale entre législatif (car la CJR en est en réalité l’émanation !) et exécutif, difficile de voir qu’il n’y a pas dans le même dossier une difficulté de séparation des pouvoirs (car il y a interaction entre les deux) et en même temps atteinte aux droits et libertés de la personne mise en examen !?
Le Conseil constitutionnel apporte une réponse négative à cette question et, bien au delà de l’espèce concernant l’actuel Garde des Sceaux, il n’est pas certain que l’on doive s’en réjouir.

Pourtant, dans l’affaire concernant l’actuel Garde des Sceaux, M. E. Dupond-Moretti, la plaidoirie en défense de Me Spinosi soulevait des analogies troublantes avec cette décision 2015-506 QPC entre une perquisition dans une juridiction et celle au siège du Ministère de la Justice :
« Dans les deux cas, il s’agit de dénoncer la carence des dispositions légales des perquisitions pour éviter qu’il soit porté une atteinte injustifiée :
*D’un côté, au pouvoir judiciaire […] ;
*De l’autre, au pouvoir exécutif […]
« Est-il vraiment justifiable que des magistrats, fussent-ils membres de la Cour de justice de la République, puissent saisir et prendre connaissance de documents confidentiels, indistinctement appréhendés, à défaut de tout contrôle spécifique[…]
« Mais il peut s’agir aussi, plus particulièrement, plus individuellement de projets de nomination de magistrats, de réglementation ou des circulaires sur l’organisation de tel ou tel service, voire de comptes-rendus d’action publique.
« On ne perquisitionne pas dans un ministère, en particulier celui de la Justice, sans prendre des risques, réels ou supposés, d’atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.»
Voir, pour une tribune en sens contraire : https://www.actu-juridique.fr/constitutionnel/une-qpc-fondee-sur-le-seul-principe-de-la-separation-des-pouvoirs-bizarre/…
NB : on notera que l’avocat de M. E. Dupond-Moretti a eu à batailler contre des écritures peu en sa faveur de la part du Gouvernement.
En tous cas, le Conseil constitutionnel a tranché et a estimé que le droit actuel est conforme et, donc, n’impose nulle adaptation pour être conforme aux normes constitutionnelles, séparation des pouvoirs y incluse.
La faiblesse de la requête venait selon les sages de la rue Montpensier de ce que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence (incompétence négative) ne serait pas susceptible d’être soulevée en QPC. Citons l’extrait ad hoc du communiqué de presse du conseil sur ce point :
« Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes du premier alinéa de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de ces dispositions le principe de la séparation des pouvoirs qui s’applique notamment à l’égard du Gouvernement. Il peut être invoqué devant le Conseil constitutionnel saisi en application de l’article 61 de la Constitution. Sa méconnaissance ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.»
… et là on s’étouffe un peu car tout de même dans l’affaire précitée 2015-506 QPC, le Conseil constitutionnel avait considéré que :
« s’il est loisible au législateur de permettre la saisie d’éléments couverts par le secret du délibéré, il lui appartient de prévoir les conditions et modalités selon lesquelles une telle atteinte au principe d’indépendance peut être mise en œuvre afin que celle-ci demeure proportionnée ; que les dispositions contestées se bornent à imposer à l’officier de police judiciaire de provoquer préalablement à une saisie « toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense » ; que ni ces dispositions ni aucune autre disposition n’indiquent à quelles conditions un élément couvert par le secret du délibéré peut être saisi ; qu’ainsi, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions qui affectent par elles-mêmes le principe d’indépendance des juridictions ; »
Nous étions bien dans la possibilité d’évoquer une méconnaissance du principe d’indépendance des juridictions via une QPC pour incompétence négative du législateur, n’est-ce pas ?
Et le principe d’indépendance des juridictions n’existe pas sans séparation des pouvoirs ?
On nous oppose la décision n° 2016-555 QPC du 22 juillet 2016 :
« La méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. »
Donc oui la séparation des pouvoirs n’est pas en soi un principe que la Constitution garantit au sens du régime des QPC si l’on ne trouve pas que cette méconnaissance affecterait par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
Mais comment ne pas voir que les droits et libertés dans une procédure pénale ne sont pas en cause dans une perquisition ? Et que ces droits et libertés sont bafoués quand la séparation des pouvoirs ne l’est pas avec moult précautions ?
L’indépendance des juridictions serait « une droit ou une liberté que la Constitution garantit »… mais pas la séparation des pouvoirs qui , d’une part est une condition de droits et libertés que la Constitution garantit et qui d’autre part est elle-même garantie expressément par la Constitution ?
Alors au risque de violer le principe de laïcité, je dirais que sur ce point le Conseil constitutionnel est d’un jésuitisme achevé.
Bref, perquisitions dans les Ministères : c’est open bar… au contraire des perquisitions dans les juridictions mais il paraît qu’il ne faut pas faire le parallèle.
Nombre de commentateurs posent que justement le parallèle entre les deux ne peut être fait. Il est vrai que l’indépendance de l’exécutif n’existant pas en droit français au contraire du principe d’indépendance du Judiciaire… le parallèle peut vite trouver ses limites.
Mais dans les deux cas :
- il y a des petits secrets que l’on va glaner au mépris de la séparation des pouvoirs.
- il y a des jeux politiques à craindre (surtout avec ce qu’est la composition de la CJR tout de même !) visant à se faire des croche pattes entre législatif, exécutif et juridictionnel.
- le législateur a été en dessous de ses compétences, alors qu’il a très bien su fixer des garanties indispensables dans d’autres cas, pour les cabinets d’avocats par exemple.
- sont en cause des libertés publiques s’agissant :
- des informations saisies (ah oui non c’est vrai j’ai tort puisqu’il y a le secret de l’instruction. Je pouffe…)
- du droit à un procès équitable.
Surtout, s’agissant de procédure pénale entre législatif (car la CJR en est en réalité l’émanation !) et exécutif, difficile de voir qu’il n’y a pas dans le même dossier une difficulté de séparation des pouvoirs (car il y a interaction entre les deux) et en même temps atteinte aux droits et libertés de la personne mise en examen !?
C’est en cela qu’avec le même point de principe que dans la décision de 2016 il nous semble qu’une solution en l’espèce différente était possible en raison du lien inextricable entre le coeur même de la procédure et les interactions entre pouvoirs institutionnels supposés séparés.
NB : c’est là toute la différence entre cette affaire et le contrôle usuel du Parlement sur l’exécutif. Oui ce contrôle peut aller loin (exemple article 57 de la LOLF — loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances) mais tant que les parlementaires en restent à la responsabilité politique, on ne retrouve pas de risque « d’atteinte aux droits et libertés » alors que de telles atteintes sont un risque consubstantiel, par principe, à la procédure pénale. Certes dans certains Démocraties le témoignage devant une commission parlementaire peut conduire à du pénal, mais c’est alors au titre du témoignage : rien à voir avec une perquisition.
Allons au bout des choses.
La CJR est, sur 15 membres, dominée par 12 parlementaires.
En cas de tension entre le législatif et l’exécutif, surtout si le membre de l’exécutif irrite aussi le Judiciaire (toute ressemblance etc.)… il y a risque très très fort d’instrumentalisation des procédures pénales pour régler des litiges politico-institutionnels. Non ? Et de vouloir saisir des papiers pour d’autres raisons que l’instruction en cours ? Pas aujourd’hui où tout le monde est vertueux, mais demain, un jour, si des non démocrates sont au pouvoir… Et à chaque fois des libertés sont en cause en lien direct avec la procédure de perquisition et la procédure pénale.
Ce jour là il sera fort tard pour pleurer, pour regretter cette décision d’avril 2023.
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