Dégradations commises durant les manifestations des retraites : indemnisation, mode d’emploi

Crédits : photo. coll. pers. depuis mon domicile 18/10/22

Diverses communes réclament des dédommagement à l’État après trois mois de manifestations relatives aux retraites, en raison des dégâts causés au mobilier urbain, abribus ou autres poubelles. Dans le cas de la mairie de Paris (voir ici), la demande atteint les 1,6 million d’euros.
Voyons le mode d’emploi de telles demandes indemnitaires


 

Crédits : photo. coll. pers. depuis mon domicile 18/10/22

 

L’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure (CSI) dispose que :

« L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens.
« L’Etat peut également exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable, dans les conditions prévues au chapitre Ier du sous-titre II du titre III du livre III du code civil.
« Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée. »

… la notion d’attroupement concerné par ce régime pouvant donner lieu à de subtiles, trop subtiles, distinctions.

Voir : CE, 30 décembre 2016, SOCIETE GENERALI IARD et autres, n°389835 ; CE, 30 décembre 2016, Société Covea risks, n° 386536 ; CE, 11 juill. 2011, Sté Mutuelle d’assurances des collectivités locales, n°331669 ; Voir aussi CE, 23 février 1968, Epoux Lemarchand et autres, nos 72416, 72417, 7241455, au Recueil p. 132 ; CAA Lyon, 18 mai 2015, M. Bourgerol, n° 14LY00131. Pour un cas intéressant voir TA Nice, 5ème chambre, 20 décembre 2016, Fonds de Garantie des Victimes d’Actes de Terrorisme et d’Autres Infractions, n° 1501370, M. Parisot, pdt, M. Pascal, rapp., M. Taormina, rapp. publ. 

Voir  :

 

Les jurisprudences nées des dégâts causés lors du mouvement dites « des gilets jaunes » peuvent servir pour partie de référence :

 

Sources : CAA Lyon, 4ème chambre, 23 février 2023, 21LY00665Conseil d’État, 28 octobre 2022, n° 451659, aux tables du recueil Lebon ;  CE, 11 juillet 2011, SMACL, n° 331669, rec. T. p. 1142 ;  CE, 30 décembre 2016, Generali IARD et autres, n°389835 ; CAA Toulouse, 7 mars 2023, n° 21TL04565 ; TA Toulouse, 21 avril 2022, n° 1904438 ; TA Toulouse, 21 avril 2022, n° 1904448 ; TA Paris, 4 mai 2022, 1922865 3-1 2019727 3-1 ; TA Paris, 4 mai 2022, 2019729 3-1 ;  TA Rouen, 9 juin 2022, n° 1903994 TA Rouen, 9 juin 2022, n°2000752 TA Rouen, 9 juin 2022, n°2002112TA Rouen, 9 juin 2022, n°2004140TA Rouen, 9 juin 2022, n°2003010TA Rouen, 9 juin 2022, n°2100325….

 

Photo de Baudouin Wisselmann sur Unsplash ; prise à Lyon en janvier 2019 (manifestations de gilets jaunes)

 

De ces jurisprudences, retenons 4 étapes et quelques règles de prudence :

  • Etape 1 : calculer le préjudice, le faire évaluer de manière solide ; avec un contrôle juridique rigoureux à cette étape… et en prenant en compte ce qui a été, ou non, assuré. Parfois ce sera à l’assureur de suivre ce mode d’emploi.
    … en démontrant que la collectivité a tenté de protéger ses matériels (et donc n’a pas alimenté le mouvement et les casses qui en ont résulté).
  • Etape 2 : faire une demande préalable à l’Etat
  • Etape 3 : attaquer le refus explicite ou implicite de l’Etat par un recours indemnitaire (plein contentieux) à bien sécuriser en droit, naturellement
  • Etape 4 : espérer que l’Etat ne fera pas adopter en loi de finances un mécanisme spécifique d’indemnisation pour couper l’herbe sous le pied de ces recours. Mais cela semble — à ce jour — peu probable.

 

Attention :

  • la collectivité ne pourra pas agir dans les domaines où elle a été intégralement indemnisée par son assureur (à charge pour l’assureur de se retourner, lui, contre l’Etat)… ce qui lui laisse tout de même les dommages non assurés ou affectés de franchises…
  • il faut réaliser un estimatif des dépenses, solide, après expertise ou autre production de factures, mais aussi et surtout prouver le lien de cause à effet (direct et certain) entre les dommages et les dégradations commises.
    ATTENTION LES DÉGATS COMMIS PAR DES GROUPES ISOLÉS PEINENT EN GÉNÉRAL À ÊTRE INDEMNISÉS.

    ILLUSTRATIONS :

    • pour les dégradations subis par les horodateurs, recouverts de peinture ou détruits, il faut penser à produire des clichés photographiques desquels il ressort que le contenu revendicatif des messages du mouvement contre les retraites s’y trouvaient reproduits, conduisant à rejeter l’argumentation de l’Etat imputant ceci à des groupes isolés (et donc pas à des attroupements). Prouver aussi la baisse globale de recettes des horodateurs.
    • de même ne suffit-il pas de produire des devis pour prouver que des dégradations (de caméras de vidéo-protection par exemple, ou d’espaces verts) proviennent du mouvement contre les retraites. Sur ces points, penser à multiplier aussi les témoignages avec déclarations sur l’honneur ou constats d’agents assermentés.
    • etc.
  • encore faut-il après envoyer à l’Etat une demande préalable (recours administratif préalable obligatoire, ou RAPO).
  • puis il sera possible de passer à la phase contentieuse (sur l’enchaînement entre RAPO et recours, voir CE, 16 juin 2021, n° 440064 puis CE, 21 juin 2021, n°437744).

Le TA à saisir est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu où s’est produit le fait générateur du dommage (CE, 12 février 2020, n° 436603, aux tables).

Il n’est pas impossible que l’Etat, comme il a toujours bien su le faire, ne finisse par faire une loi d’indemnisation à des conditions avantageuses pour lui, afin de couper l’herbe sous le pied des plus tardifs des requérants… Mais à ce jour cela semble encore, pour l’instant, improbable. 

Précisons que les collectivités qui ont ouvertement alimenté ce mouvement auront besoin de démontrer que ce fut à tout le moins dans le calme faute d’avoir été dans la légalité

NB  voir :