Il n’y a pas « de violation du droit d’accès à un tribunal » pour qui n’a pas tenté d’y accéder (CEDH, 30/3/23, François Ruffin et Association Fakir c. France)

Il ne faut pas s’aventurer devant la CEDH quand on n’a pas exercé de voie de droit en France. Et il est surprenant qu’il faille le rappeler, comme a du s’y employer la Cour. 

Le requérant a du penser qu’il pouvait directement saisir la CEDH faute pour lui de pouvoir faire un contentieux… sauf qu’indirectement il le pouvait. Il ne faut donc pas saisir cette juridiction si des recours, même un peu indirects, sont possibles. 


 

L’affaire François Ruffin et Association Fakir c. France intéressera les amateurs de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) et de fiscalité.  Ainsi que les férus des relations décidément tumultueuses entre le député LFI et le groupe LVMH, le second étant ciblé par le premier.

Mais elle amusera aussi les observateurs de la vie politique nationale qui voient désormais la CEDH (Cour européenne des Droits de l’Homme) faire office de troisième mi-temps pour nos débats politiques nationaux, façon chambre d’échos médiatiques et non chambre juridictionnelle supra-étatique.

A ceux là, la CEDH vient de rappeler une règle simple : sauf cas particulier, elle ne peut être saisie que si les requérants ont épuisé les voies de droit, contentieuses, en interne… ce qui à tout le moins impose d’avoir engagé des voies des droit en interne !

Revenons aux fondamentaux :

 

En l’espèce, les requérants estimaient (entre autres moyens) que l’absence de recours disponible contre une ordonnance de validation de CJIP viole leur droit à un recours juridictionnel effectif au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

L’argument est pertinent, quoique non dénué de limites, comme le note la Cour :

« 17.  La Cour rappelle que si la Convention ne garantit pas en tant que tel un droit à faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers, le droit interne peut garantir à la victime d’une infraction le droit d’intenter une action civile pour demander réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi, en l’autorisant à se constituer partie civile à la procédure pénale. Il s’agit de l’une des voies envisageables pour assurer la réparation du préjudice dans le cadre d’une action civile (Perez c. France [GC], no 47287/99, § 70, CEDH 2004I, Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, §194, 25 juin 2019). »

« 18.  Par ailleurs, le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Cela étant, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable d’une manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, les limitations appliquées ne se concilient avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 195).»

 

Mais encore eût-il fallu agir, constate la CEDH qui  :

« 21. […] constate, en premier lieu, que la CJIP et l’ordonnance de validation de celle-ci indiquent que le requérant et la requérante, qui étaient tous deux assistés d’un avocat, n’ont pas exercé leur droit de demander réparation du préjudice résultant de l’infraction dont ils auraient été victimes (paragraphes 7 et 8 ci-dessus). Ils disposaient pourtant de ce droit avant et pendant l’audience de validation de la CJIP et n’apportent pas d’explications convaincantes sur les raisons de son non-usage.

« 22.  […] relève, en second lieu, que le droit interne prévoit expressément que l’exécution d’une CJIP ne fait pas échec au droit des victimes des manquements constatés de poursuivre la réparation de leur préjudice devant la juridiction civile (paragraphe 15 ci-dessus). Or, rien au dossier n’indique que le requérant et la requérante étaient empêchés d’exercer des recours contre les dirigeants de LVMH ou contre B.S. sur le fondement de la responsabilité civile pour obtenir une décision sur le fond de leurs prétentions civiles et une réparation. La Cour rappelle à cet égard que ce qui importe dans une affaire donnée en cas d’absence ou d’abandon des poursuites et, donc, d’obstacle à l’examen d’une constitution de partie civile intervenue dans le cadre d’une procédure pénale, c’est que le requérant dispose d’autres voies de recours pour faire valoir ses droits civils. Si tel est le cas, elle conclut à l’absence de violation du droit d’accès à un tribunal (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 198, Nikolov c. Bulgarie (déc.), no 39672/03, 28 septembre 2010).»

 

Fermez le ban. Il n’y a pas « de violation du droit d’accès à un tribunal » pour qui n’a pas tenté d’y accéder !

Le requérant a du penser qu’il pouvait directement saisir la CEDH faute pour lui de pouvoir faire un contentieux… sauf qu’indirectement il le pouvait. Il ne faut donc pas saisir cette juridiction si des recours, même un peu indirects, sont possibles. 

 

Source :

CEDH, 30 mars 2023, François RUFFIN contre la France et ASSOCIATION FAKIR contre la France, n°29854/22 et 29863/22