Maire-info vient de faire savoir que le projet de retour de la consigne, qui semblait abandonné, semble revenir en douce, via un projet d’arrêté, actuellement en consultation publique.
Rappelons les termes de ce débat, avant que d’évoquer ce qui peut être soit un bug administratif (improbable) soit un passage en force revenant sur la parole du Ministre (ce qui est la thèse de Maire-info mais qui semble pour diverses raisons encore moins probable !?).
Il nous semble, quant à nous, qu’il s’agit sans doute, et plus simplement, du souhait de se préparer à de possibles passages à cette consigne après 2025 dans le cadre de ce qu’avait évoqué le Ministre en septembre dernier. Mais si cette hypothèse se confirme, le modus operandi et les terminologies choisies s’avèrent malencontreuses.
I. Survol rapide des étapes précédentes
I.A. Termes du débat avant la loi AGEC
Le débat sur la restauration de la consigne pour les bouteilles ne cesse de donner lieu à polémique, depuis au moins début 2019.
Certains grands acteurs, comme l’AMF ou l’ADCF (auj. Intercommunalités de France), ou la FNADE, acceptaient le débat mais tout en étant vent debout.
Mais d’autres associations, industriels et éco-organismes y voyaient l’acmé du recyclage puisque :
- celui-ci accepterait les bouteilles en plastique, ou les canettes, avec extension des consignes de tri et généralisation de la collecte fibreux/non fibreux…Au détriment, certes, des filières actuelles qui sont déjà souvent en sur-capacité… L’objectif est bien sur de mieux recycler ces produits (seulement 57% des bouteilles en plastique étaient alors collectées sans que depuis ce taux ait été bouleversé… et celui-cç varie beaucoup selon les territoires et les modes de collecte. Mais le délégué général d’Amorce a rappelé dans AEF Info que ces bouteilles ne forment qu’une petite partie des déchets (1 % des déchets ménagers…) et ne sont pas les plus difficiles à recycler (et, encore une fois, les unités de valorisation matières des OM sont en général en sur-capacité, déjà…).
- ce régime serait une vraie extension de la responsabilité élargie des producteurs (REP) au lieu du régime actuel qui fait largement financer par l’impôt local ou l’usager les coûts de valorisation et d’élimination des déchets ménagers et assimilés. Mais cet argument n’aurait de portée que s’il y a une vraie révolution dans le financement des éco-organismes et des filières de valorisation, ce qui ne sera sans doute pas le cas.
Voir le site de CITEO :
CITEO et de nombreux grands industriels ou acteurs des filières professionnelles avaient de leur côté signé une grande tribune (publiée notamment au JDD et relatée par le Figaro : voir ici et là) qui posait que :
- «La consigne pour le recyclage des emballages de boissons est nécessaire à une économie vraiment circulaire».
- «Seuls les pays ayant adopté un système de consigne pour recyclage atteignent, voire dépassent, l’objectif de 90% de collecte. En Finlande, 91% des bouteilles en plastique PET consignées sont retournées; 90% au Danemark et 97% en Allemagne. Cette réalité oblige à étudier sérieusement cette solution pour la France».
Au nombre des exemples réussis à réutiliser, il semble par exemple qu’il faille compter le remarquable bilan environnemental de la bouteille en verre consigné « 75 cl Alsace », tel que narré dans ce document (qui semble fiable mais qui n’est pas porté par une analyse d’un acteur public) :
Mais la FNADE et la fédération FEDEREC ont plutôt exprimé un mélange de prudence et de scepticisme.
L’AMF a, quant à elle, renouvelle son appel au dialogue à ce sujet mais sur fond d’inquiétude et de méfiance. Voir :
- http://www.maire-info.com/article.asp?param=23230&PARAM2=PLUS&nl=1
- voire de colère ensuite.
Idem pour l’ADCF (depuis dénommée Intercommunalités de France) :
Donc, déjà, à la base, le débat était délicat.
→ Ce débat a été vivement relancé quand un rapport confidentiel de CITEO a été diffusé en 2019 par Déchets info (accès abonnés). Voir :
… dont il ressortait :
- que le coût total de la consigne serait considérable,
- qu’il offrirait de véritables opportunités pour les metteurs en marché de boissons
- mais que son impact global environnemental ne serait pas optimal…
- et que ce projet aurait été pour l’essentiel préparé par les industriels.
De son côté, l’écho circulaire narrait le même dossier avec une approche un brin différente, intéressante à analyser. Là encore, nous conseillons vivement la lecture du lien qui suit :
Et nombre d’acteurs de vanter les mérites du régime actuel… à la condition de passer réellement à la redevance incitative (RI).
Nombre d’acteurs pensent donc que si la consigne est remise en place, une indemnisation des collectivités pour un sur-coût de la valorisation matières (ce qui est souvent vulgarisé en « augmentation du coût du bac jaune« ) serait à prévoir. Pas sûr que le Gouvernement ne l’entende de cette oreille…
NB : sur les raisons pour lesquelles la France a abandonné la consigne au lieu de certains de nos voisins, dans le passé (et a fait le choix d’une compétence de collectivité locale avec une responsabilité seulement partielle et indirecte des producteurs…) voir :
Puis vint le rapport Vernier, globalement pro-consigne. Jacques Vernier, haut fonctionnaire et ancien maire de terrain, se rangeait en effet du côté des pro-consigne, mais avec quelques conditions :
- une consigne élevée, à au moins dix centimes… ce qui semble sage ;
- des points de collecte nombreux (certes…) ;
- une vraie responsabilité élargie des producteurs (i.e. des vraies sanctions pour les mauvais élèves au sein du monde des producteurs de déchets)
Surtout, J. Vernier avait alors voulu apaiser les acteurs publics de la valorisation matières en rappelant, comme il l’a fait à l’AFP, que :
« Du fait de la loi Grenelle I, elles [les collectivités] ne perdront rien : Citeo (l’éco-organisme chargé des déchets d’emballages) doit toujours aux collectivités 80% du coût de traitement + 20% des recettes de vente de la matière. On perdrait 60 millions d’euros de vente de matière (si bouteilles plastique et canettes sont concernées par la consigne), soit 12 millions pour les collectivités : c’est dans l’épaisseur du trait ! Et d’ailleurs l’Etat pourrait décider de les compenser. »
Une perte limitée à l’épaisseur du trait ? Ce n’est pas tout à fait ainsi que les acteurs publics vivent le dossier et les négociations vives qui s’annoncent…
Dans la foulée, le MTES avait communiqué comme suit :
I.B. Le compromis dans le cadre de la loi AGEC
Puis vint un accord dans le cadre de la loi AGEC consistant… à repousser le débat à plus tard, le temps d’apaiser les esprits et de voir si réellement les filières actuelles allaient pouvoir s’approcher des objectifs requis (et, là, on pouffe de rire car on sait tous que non, mais je ne peux le dire sous peine de fâcher certains de mes clients donc on dira que je ne l’ai pas dit. Ok ?).
Mais n’allons pas trop vite. Revenons au stade où la loi AGEC était en fin de parcours et où un accord devait être trouvé… ne serait-ce que, du côté du Gouvernement, pour éviter trop de sifflets lors du Congrès des maires de novembre 2019.
Un accord a été conclu juste avant ledit congrès des maires de France, sur les propositions notamment de l’ADCF(Interco de France), avec pour points d’accord
- report de la consigne à 2023 avec l’insertion du plastique, donc, en phase d’attente (les défenseurs de la consigne pensent en effet que seule l’insertion des bouteilles en plastique permettra de développer le geste de tri / consigne pour les bouteilles en verre).
- mais passage en 2023 à la consigne si à cette date la collecte en bacs jaunes n’améliore pas fortement son efficacité. Avec de vastes possibilités d’expérimentation dans des territoires volontaires et d’une éventuelle mise en place en 2023 après un bilan d’étape sur l’extension des consignes de tri. Nombre d’association d’élus pensent ainsi atteindre l’objectif de 90% de bouteilles en plastique collectées en 2029… ce qui est ambitieux.
Cela dit, le MTES a communiqué sur ce point d’une manière qui a fait bondir les associations d’élus conduisant à ce communiqué :
Il s’agissait, pour le MInistère, d’un dernier baroud…
De toute manière, la parole revenait au Parlement et voici l’accord alors conclu en commission mixte paritaire sur ce projet de loi AGEC.
Cela commençait par des objectifs ambitieux mais conformes à nos engagements européens avec 77 % en 2025 (plutôt atteignable) et 90 % en 2029 (plus discuté) :
A noter d’ailleurs de fortes dispositions sur la réduction à la source des emballages et bouteilles à usage unique, dans la loi. Espérons que l’astuce consistant à écrire « bouteille réutilisable » ne suffira pas à convaincre un juge). Citons cet extrait de la loi mais qui n’est pas isolé sur ce point :
Voir aussi dans le même sens :
Puis la loi (revenons à l’article 8 bis du texte issu de la commission mixte paritaire…) prévoit des bilans de l’ADEME :
Puis sur la base de ces bilans :
- « Au vu de ces bilans annuels et si les performances cibles ne sont pas atteintes, le Gouvernement définit après la publication du bilan réalisé en 2023, après évaluation des impacts économiques et environnementaux et concertation avec les parties prenantes, notamment les collectivités en charge du service public des déchets, les modalités de mise en œuvre d’un ou plusieurs dispositifs de consigne pour recyclage et réemploi. Ce bilan environnemental est rendu public.»
DONC le passage à la consigne (et c’était un des enjeux majeurs du débat) pouvait alors passer SANS NOUVELLE MODIFICATION DE LA LOI.
MAIS les sénateurs ont obtenu un assouplissement, non pas de l’échéance de 2023, mais sur les modalités d’appréciation des résultats obtenus avant cette échéance et sur le fait que ce sont bien les chiffres obtenus fin 2022 (pour une réforme ensuite mi 2023) qui seraient à prendre en compte, ce qui en réalité revient à tirer au maximum le calendrier tel que plus ou moins arrêté lors des accords intervenus entre acteurs en novembre 2019.
Avec des modalités alors de mise en oeuvre :
… le tout par simple décret si, donc, l’objectif 2023 n’est pas tenu :
et un régime d’expérimentations ou de mise en places à l’échelle régionale (même avant 2023 semble-t-il ) :
Cela a conduit à la loi 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (NOR : TREP1902395L), dite loi AGEC.
VOICI CE TEXTE EN PDF :
joe_20200211_0035_0001
I.C. La reculade gouvernementale du 27 septembre 2023
Les acteurs du monde des collectivités (dont Intercommunalités de France ; ex ADCF) avaient ferraillé de nouveau à ce sujet et, le 27 septembre 2023, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, lors des Assises des déchets à Nantes aujourd’hui, avait :
- annoncé le report de l’échéance prévue en ce domaine ; il n’y aura pas de consigne obligatoire en 2024 et on fera un bilan en 2025
- signalé que, si on passait, à la consigne, il serait possible que ce soit (après 2025 donc) de manière différenciée région par région
- avec même une possibilité de zonage de la tarification incitative,
Les acteurs de la filière côté collectivités s’étaient réjoui. C’est bien. Ils avaient même alors annoncé que l’on pourrait atteindre les objectifs de tri en conservant les structures et les techniques actuelles… Et dans cette atmosphère sinistre, lourde de sombres actualités, qui marque ce second semestre 2023… c’était d’un optimisme rafraichissant.
II. Retour subreptice de la consigne ou bug administratif ?
Or, voici qu’une petite bombe vient d’être identifiée par Maire info qui dans son édition de ce jour signale les faits suivants :
« Le gouvernement a présenté un projet d’arrêté au Cnen (Conseil national d’évaluation des normes) le 7 septembre. Pas de trace de la consigne dans le projet d’arrêté, qui avait alors reçu un avis favorable des représentants des élus. Puis, le projet d’arrêté a été mis en consultation publique, le 3 novembre, en même temps qu’il était envoyé aux membres de la Cifrep (Commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs). Surprise : la consigne est de retour. Dans la présentation de la consultation publique, il est clairement écrit : « [L’arrêté] prévoit également que l’éco-organisme réalise avant le 31 décembre 2024 une étude portant sur les modalités pratiques et organisationnelles permettant la mise en œuvre éventuelle d’un dispositif de consigne pour recyclage des bouteilles plastique pour boisson à usage unique. »
« Dans le projet d’arrêté lui-même, il est indiqué que cette étude « définit notamment les caractéristiques d’un maillage territorial des points de déconsignations de ces emballages et précise les investissements nécessaires à réaliser, ainsi que les modifications des soutiens financiers définis par le présent cahier des charges afin de garantir la bonne couverture des coûts des collectivités territoriales ». Voilà qui semble très précis pour un projet qui était, parait-il, abandonné.»
Bref, en loucedé et de manière opaque, revient ce projet. L’article de Maire-info mérite d’être lu en son entier, notamment pour avoir le point de vue, à peu près convergent, des associations d’élus en ce domaine :
Voir aussi ladite consultation publique sur le projet « d’arrêté portant cahier des charges des éco-organismes et des systèmes individuels de la filière à responsabilité élargie des producteurs des emballages ménagers, des imprimés papiers et des papiers à usage graphique » :
S’agit-il d’un bug administratif ? ou d’une tentative de passage en force combinée à un revirement par rapport aux paroles données ?
Difficile à dire.
Dans le sens du passage en force, notons :
- le fait que cette mention avait disparu avant que de revenir
- le précédent déjà de novembre 2019 ayant conduit les associations à devenir mettre, déjà, à l’époque, à une tentative du Ministère de revenir sur un accord conclu sur ce même point
Dans le sens d’un possible bug administratif, signalons :
- qu’à notre connaissance, ce n’est vraiment pas le genre du Ministre Béchu que d’agir ainsi
- qu’à quelques jours du Congrès des Maires ce serait d’une maladresse politique folle
- que le Gouvernement a vraiment besoin du Sénat ces temps-ci sur plusieurs dossiers centraux, Sénat qui ne manquerait pas de se cabrer si l’on roulait les associations d’élus dans la farine.
Il nous semble, quant à nous, qu’il s’agit peut-être du souhait de se préparer à de possibles passages à cette consigne après 2025 dans le cadre de ce qu’avait évoqué le Ministre, mais qu’en ce cas, le modus operandi et les terminologies choisies (sur le maillage territorial et sur la date du bilan, qui devrait en ce cas être 2025…) s’avèrent fort malencontreuses.
A suivre…
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.