Le Conseil constitutionnel vient :
- de censurer l’activation à distance d’appareils électroniques (mais d’une manière qui ne l’interdit pas totalement et, même, qui la valide pour la géolocalisation)
- d’annuler pour cause de cavalier législatif un dispositif sur les échanges entre juristes d’entreprises
- d’encadrer voire d’interdire l’usage certains dispositifs de visio-audience (ce qui n’est pas nouveau mais qui est formulé avec quelques nouveautés)…

Saisi d’une loi organique et d’une loi ordinaire relatives à la justice, le Conseil constitutionnel vient de :
- censurer des dispositions relatives à l’activation à distance d’appareils électroniques afin de capter des sons et des images,
Cette censure se fait au nom du droit au respect de la vie privée tiré de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, non pas pour le volet géolocalisation de ce texte, qui est donc validé dans son principe, mais pour « l’activation à distance d’appareils électroniques afin de capter des sons et des images sans même qu’il soit nécessaire pour les enquêteurs d’accéder physiquement à des lieux privés en vue de la mise en place de dispositifs de sonorisation et de captation » qui, lui, selon le Conseil, est de nature à porter une atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée dans la mesure où elle permet l’enregistrement, dans tout lieu où l’appareil connecté détenue par une personne privée peut se trouver, y compris des lieux d’habitation, de paroles et d’images concernant aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers. Dès lors, selon le Conseil constitutionnel, en permettant de recourir à cette activation à distance non seulement pour les infractions les plus graves mais pour l’ensemble de celles relevant de la criminalité organisée, le législateur a permis qu’il soit porté au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi. Il censure en conséquence le 46 ° du paragraphe I de l’article 6 de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, ainsi que le 47 ° du même paragraphe I, qui en est inséparable.
Mais on le voit : un cadre plus limité à certaines infractions et avec quelques garanties supplémentaires aurait des chances de passer le cap de la rue Montpensier…
- censurer comme « cavalier législatif » des dispositions introduites par amendement dans la loi ordinaire déférée, concernant les conditions dans lesquelles est assurée la confidentialité des consultations juridiques réalisées par un juriste d’entreprise.
- et de censurer (et, pour certaines dispositions, d’encadrer de réserves d’interprétation), au nom de de l’article 45 de la Constitution, plusieurs dispositions prévoyant le recours à la visioconférence dans le cadre de diverses procédures juridictionnelles.Il est à rappeler que l’histoire des censures des visio-audiences est déjà fort longue :
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• Décision 2019-802 QPC – 20 septembre 2019 – M. Abdelnour B. [Utilisation de la visioconférence sans accord du détenu dans le cadre d’audiences relatives au contentieux de la détention provisoire] – Non conformité totale ;
• décision n° 2020-836 QPC du 30 avril 2020, que nous avions commentée ici : Justice et visioconférence : décision du Conseil constitutionnel ce jour )… ;
• voir aussi dans le même sens les points 231 et suivants de la décision 2019-778 DC, 21 mars 2019 – Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.Dans sa décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 sur la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003, le Conseil constitutionnel avait validé le principe de visioconférences estimé que les conditions du recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle garantissaient de façon suffisante la tenue d’un procès juste et équitable sous certaines réserves.
Plus encore : dans une autre décision (voir les points 23 et suivants de la décision 2018-770 DC – 06 septembre 2018 – Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie)… les conditions de dignité, de respect des conditions d’un procès équitable ont été maintenues. MAIS PAS celle d’un consentement des justiciables.
voir aussi CE, ord., 10 avril 2020, n° 439883 et n°439892… puis CE, ord., 10 avril 2020, n° 439903 ; voir à ce sujet Ordonnance après ordonnance, le Conseil d’Etat valide le régime contentieux des ordonnances [suite]
Voir :
- CE, ord., 27 novembre 2020, n° 446712, 446724, 446728, 446736, 446816
- Décision n° 2020-872 QPC du 15 janvier 2021, M. Krzystof B. [Utilisation de la visioconférence sans accord des parties devant les juridictions pénales dans un contexte d’urgence sanitaire]
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Sur ce dernier point, citons le communiqué du Conseil qui est très précis :
– Par la première de ses deux décisions, le Conseil constitutionnel s’est notamment prononcé sur des dispositions de l’article 6 de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 prévoyant que, lorsque la compétence de certaines juridictions pénales spécialisées s’exerce sur le ressort de juridictions situées en outre-mer, certains interrogatoires et débats peuvent être réalisés par un moyen de communication audiovisuelle. Selon ces dispositions, lorsque la compétence de l’une de ces juridictions spécialisées s’exerce sur le ressort de plusieurs cours d’appel ou tribunaux supérieurs d’appel situés en outre-mer, les interrogatoires de première comparution et les débats relatifs au placement en détention provisoire peuvent être réalisés par un moyen de communication audiovisuelle dans le cas où la personne se trouve dans le ressort d’une juridiction ultramarine autre que celle où siège la juridiction spécialisée.
Par la première de ses décisions de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que les droits de la défense sont garantis par l’article 6 de la Déclaration de 1789.
À cette aune, il relève, en premier lieu, qu’il ressort des travaux préparatoires que, en adoptant ces dispositions, le législateur a souhaité, dans certaines circonstances ne permettant pas d’exécuter les mandats d’amener devant les juridictions spécialisées, autoriser le recours à un moyen de communication audiovisuelle. Il a ainsi entendu contribuer à la bonne administration de la justice.
En deuxième lieu, il ne peut être recouru à un moyen de communication audiovisuelle pour l’interrogatoire de première comparution et le débat relatif au placement en détention provisoire que si le magistrat en charge de la procédure ou le président de la juridiction spécialisée saisie l’estime justifié. Celui-ci peut donc toujours privilégier la présentation physique de l’intéressé s’il l’estime nécessaire.
Par une première réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel juge toutefois que, eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant le magistrat ou la juridiction compétent, ces dispositions ne sauraient s’appliquer que dans des circonstances exceptionnelles. Elles doivent dès lors s’interpréter comme n’autorisant le recours à un tel moyen de communication que si est dûment caractérisée l’impossibilité de présenter physiquement la personne devant la juridiction spécialisée.
Il relève, en troisième lieu, que, dans le cas où il a été recouru à un moyen de communication audiovisuelle pour l’interrogatoire de première comparution ou le débat relatif au placement en détention provisoire, la personne mise en examen devra de nouveau être entendue par le juge d’instruction, sans recours à de tels moyens, avant l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de son interrogatoire de première comparution.
En dernier lieu, le recours à un moyen de communication audiovisuelle doit respecter les modalités prévues au sixième alinéa de l’article 706-71 du code de procédure pénale, selon lequel notamment, lorsque la personne est assistée par un avocat ou par un interprète, ceux-ci peuvent se trouver auprès de la juridiction compétente ou auprès de l’intéressé. Dans le premier cas, l’avocat doit pouvoir s’entretenir avec ce dernier, de façon confidentielle, en utilisant le moyen de communication audiovisuelle. Dans le second cas, une copie de l’intégralité du dossier doit être mise à sa disposition. La communication doit se tenir dans des conditions qui garantissent le droit pour la personne à présenter elle-même ses observations.
Par une seconde réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel énonce en outre que le recours à un moyen de communication audiovisuelle devra être subordonné à la condition que soit assurée la confidentialité des échanges, ainsi que la sécurité et la qualité de la transmission.
Sous les deux réserves d’interprétation qui viennent d’être mentionnées, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées ne méconnaissent pas les droits de la défense.
Par sa seconde décision de ce jour, le Conseil constitutionnel censure des dispositions de l’article 6 de la loi organique relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire prévoyant que, lorsque la venue dans une juridiction située en outre-mer ou en Corse d’un magistrat délégué n’est pas matériellement possible soit dans les délais prescrits par la loi ou le règlement, soit dans les délais exigés par la nature de l’affaire, ces magistrats peuvent participer à l’audience et au délibéré du tribunal depuis un point du territoire de la République relié, en direct, à la salle d’audience par un moyen de communication audiovisuelle.
Citons là encore le communiqué du Conseil :
À l’aune de l’article 6 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel juge, en des termes inédits, que la présence physique des magistrats composant la formation de jugement durant l’audience et le délibéré est une garantie légale des droits de la défense et du droit à un procès équitable.
Il relève que, en prévoyant que, lorsque les dispositifs de délégation, de suppléance et de remplacement ne sont pas applicables ou lorsque leur application n’est pas de nature à assurer la continuité du service de la justice ni le renforcement temporaire et immédiat d’une juridiction située en outre-mer ou en Corse, le magistrat délégué ou remplaçant dont la venue est matériellement impossible participe à une audience et un délibéré par un moyen de communication audiovisuelle, le législateur organique a entendu poursuivre l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice.
Il juge que, toutefois, le champ d’application de ces dispositions s’étend à l’ensemble des juridictions civiles et pénales, y compris lorsqu’il est statué à juge unique. Elles permettent donc la tenue d’audiences et de délibérés hors la présence physique de magistrats dans un grand nombre de cas. Il en va notamment ainsi devant les juridictions criminelles, correctionnelles ou spécialisées compétentes pour juger les mineurs qui peuvent prononcer des peines privatives de liberté, sans qu’aucune exception ne soit prévue.
Le Conseil constitutionnel en déduit que, dès lors, en se bornant à autoriser le recours à de tels moyens de communication au seul motif qu’un magistrat délégué ou remplaçant est dans l’impossibilité de se rendre dans la juridiction concernée, sans déterminer précisément les circonstances exceptionnelles permettant d’y recourir, les procédures concernées et les conditions permettant d’assurer la confidentialité des échanges, ainsi que la sécurité et la qualité des communications, le législateur a privé de garanties légales les exigences constitutionnelles précitées.
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