Drones et surveillance des espaces publics : un point de la jurisprudence au 29/11/23 (nouvelle décision, du TA de Strasbourg cette fois)

L’Etat peut jouer aux drones plus aisément qu’auparavant, mais encore faut-il ne pas sous-estimer les exigences du juge sur la justification de cet outil, surtout en cas d’usage prolongé (confirmation ; contrôle des frontières).. si des dispositifs moins intrusifs s’avèrent, selon le juge, possibles.

Mais les usages ponctuels (manifestation à risque avec usage limité de cet outil) s’avèreront plus aisés à défendre en droit… comme une décision, du juge des référés du TA de Strasbourg admettant le recours aux drones pour le marché de Noël de cette ville, vient de le confirmer.  

 

 

I. Petits rappels

 

En matière d’usage des drones par les forces de l’Ordre, la saga juridique fut riche de rebondissements ces dernières années. Voir :

 

Les choses se sont un peu calmées, ou à tout le moins clarifiées, depuis :

 

Sur le cas des drones et/ou vidéo-surveillances / vidéoprotections augmentées, ou « intelligentes», voir :

 

Voyons quelques jurisprudences récentes, cela dit, pour aboutir à un paysage contrasté de la jurisprudence.

 

 

II. L’affaire de la surveillance de la frontière des Pyrénées

 

Car encore ne faut-il pas sous-estimer non plus les exigences du juge. Schématiquement : un usage ponctuel en raison d’un risque immédiat, OUI. Un usage permanent pour un risque permanent… NON sauf si on ne peut pas faire autrement. C’est ce qui a été posé par le juge des référés du TA de Pau dont l’ordonnance vient d’être confirmée par le Conseil d’Etat.

 

II.A. Position du juge des référés du TA de Pau

 

C’est la leçon à tirer d’une décision du TA de Pau. Par ordonnance du 13 juillet 2023, le juge des référés de ce tribunal, saisi par plusieurs associations de défense des droits des étrangers et des particuliers résidant sur les communes d’Hendaye et Urrugne, a en effet suspendu l’exécution de l’arrêté du 26 juin 2023 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques avait autorisé, jusqu’au 26 juillet 2023, la captation, l’enregistrement, et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs afin de prévenir les franchissements irréguliers de la frontière franco-espagnole, sur les territoires des communes d’Hendaye et Urrugne.

Le préfet peut, certes, sur le fondement des dispositions de l’article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure, autoriser les services de la police et de la gendarmerie nationale à recourir à des drones aux fins d’assurer la surveillance des frontières, en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier. Toutefois, il doit s’assurer qu’aucun moyen moins intrusif au regard du respect de la vie privée ne peut être employé.

Le juge des référés a notamment considéré que le préfet n’établissait ni être dans l’impossibilité de recourir à des moyens moins intrusifs au regard du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes, ni que l’usage de ce dispositif serait proportionné à la finalité de surveillance des frontières poursuivie, au regard notamment de la superficie de la zone géographique concernée, qui s’étend sur plus de 20 km² et recouvre une partie des territoires des communes d’Urrugne et Hendaye et de nombreuses maisons d’habitation.

Relevant par ailleurs l’existence d’une situation d’urgence au regard du nombre de personnes susceptibles de faire l’objet des mesures de surveillance en litige, et de l’atteinte que celles-ci étaient susceptibles de porter au droit au respect de la vie privée et familiale de personnes, le juge des référés a suspendu l’exécution de la décision attaquée.

Source :

TA Pau, ord., 13 juillet 2023, n°2301796 (à voir ici sur le site dudit TA)

 

 

 

II.B. confirmation au Conseil d’Etat

 

L’affaire est arrivée ensuite au Conseil d’Etat (toujours en référé liberté donc)  et, on le voit, le contrôle du juge reste poussé (sur le terrain de la proportionnalité, ce qui en ce domaine, comme pour toute mesure de police, est logique) :

 

« 6. Il résulte de l’instruction et des échanges au cours de l’audience publique que, si l’autorisation ne permet d’utiliser qu’un seul drone à la fois, son périmètre géographique, qui s’étend sur l’essentiel du territoire de la commune de Biriatou et sur une partie de ceux des communes d’Hendaye et d’Urrugne, recouvre une superficie de près de 20 km2 et comprend un grand nombre de maisons d’habitation. »

Là, déjà, cela commençait à sentir le sapin pour le drone.

Puis :

« 7. Le ministre de l’intérieur et des outre-mer soutient, d’une part, que cette mesure est nécessaire au regard de la hausse du nombre de franchissements illégaux de la frontière, d’autre part, qu’il n’existe pas de mesure moins intrusive, les effectifs de fonctionnaires affectés à la lutte contre l’immigration irrégulière clandestine ayant diminué depuis le début de l’année 2023, en raison de la moindre disponibilité des unités de CRS et de gendarmes mobiles mis à disposition de la direction interdépartementale de la police de l’air et des frontières, fréquemment affectés à d’autres missions, alors qu’une partie de la zone est d’un accès difficile, les sentiers utilisés ou les chemins situés à proximité n’étant pas entièrement carrossables, et les migrants s’en éloignant parfois pour échapper aux contrôles, et enfin que la mesure, notamment la délimitation de son périmètre géographique, est proportionnée compte tenu de ces caractéristiques. Ces appréciations sont contestées par l’association Avocats pour la défense des étrangers et autres, qui produisent des séries de données recueillies par une association sur l’accueil de migrants à proximité de la zone entre mars 2021 et mai 2023 faisant apparaître une baisse des flux et l’absence d’effets saisonniers notables, ainsi que les chiffres du centre d’accueil de migrants de la mairie de Bayonne, en baisse en 2023, et des indications sur les moyens matériels et humains déployés par la police de l’air et des frontières aux principaux points de passage de la zone et sur les sentiers concernés jusqu’à la date de la décision contestée, ainsi que sur l’accessibilité de ces sentiers. Les séries de données extraites du système PAFISA, relatives à l’activité de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Hendaye, compétente dans les départements des Pyrénées-Atlantiques et des Landes, et les éléments de contexte partiels présentés par le ministre, les uns et les autres pour la première fois à l’issue de l’audience, qui font apparaître, entre le premier semestre 2022 et le premier semestre 2023, une baisse de 6 154 à 3 481 du nombre de non-admissions à la frontière, une hausse de 206 à 366 du nombre de réadmissions par les autorités espagnoles et une hausse de 539 à 817 du nombre d’étrangers en situation irrégulière interpellés, ne permettent pas, en l’état de l’instruction, de confirmer l’existence de facteurs de hausse de l’activité surveillance des frontières en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier. En outre le ministre n’apporte pas d’indication sur la part de ces flux qui se rapporte à la zone concernée par l’arrêté litigieux. En l’état de l’instruction, les données produites par l’administration sur les flux migratoires et les éléments fournis sur les caractéristiques géographiques de la zone concernée et sur les moyens qui y sont affectés à la lutte contre le franchissement irrégulier des frontières ne sont pas suffisamment circonstanciés pour justifier, sur la base d’une appréciation précise et concrète de la nécessité de la proportionnalité de la mesure, que le service ne peut employer, pour l’exercice de cette mission dans cette zone et sur toute l’étendue de son périmètre, d’autres moyens moins intrusifs au regard du respect de la vie privée que les mesures mentionnées au point 5, ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents. Par suite, c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Pau a jugé que l’association Avocats pour la défense des étrangers et autres étaient fondés à soutenir que l’arrêté contesté portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée. »

 

Quand à l’urgence, elle est presque présumée en ce domaine :

« Sur la condition d’urgence :

« 8. L’urgence de la suspension de l’arrêté contesté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit être appréciée en tenant compte non seulement de ses effets sur les intérêts défendus par les requérants de première instance mais aussi de l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public auquel elle a pour objet de contribuer. Eu égard, d’une part, au nombre de personnes susceptibles de faire l’objet des mesures de surveillance litigieuses, d’autre part, aux atteintes qu’elles sont susceptibles de porter au droit au respect de la vie privée, et alors, ainsi qu’il a été dit au point 6, qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public ne pourrait être atteint en recourant à des mesures moins intrusives au regard du droit au respect de la vie privée, ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents, la condition d’urgence doit être regardée comme remplie.»

 

Source :

CE, ord., 25 juillet 2023, n° 476151

 

 

 

 

III. Le cas des surveillances anti-rodéos urbains

 

La même jurisprudence va à l’évidence s’appliquer aux surveillances, par drone, anti-rodéos urbains.

Avant l’ordonnance, n° 476151, précitée, du Conseil d’Etat, le juge des référés du TA de Toulouse avait rejeté la demande de suspension de l’exécution de l’arrêté du 16 mai 2023 du préfet de la Haute-Garonne autorisant la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de drones lors de la survenue de rodéos urbains.

Un drone pouvait donc selon le juge toulousain jouer au cow-boy au dessus d’un rodéo urbain. Voici cette décision : TA Toulouse, ord., 24 mai 2023, n° 2302868.

Reste que :

  • ceci s’apprécie au cas par cas, à l’aune :
    • des dangers qu’il s’agit d’obvier
    • de la densité urbaine en cause (habitations)
    • de l’existence ou non de moyens moins intrusifs
  • ladite décision n° 476151 précitée est un petit tour de vis supplémentaire restreignant l’usage de cet outil, qui conduira sans doute les juges à plus de réserve face à celui-ci, par rapport aux ordonnances, assez nombreuses et conduisant rarement à la censure, du premier semestre 2023 dont deux ont été précitées.

 

A preuve cette ordonnance intéressante rendue par le juge des référés du TA de Nantes.

Par arrêté du 21 juillet 2023, le préfet de la Loire-Atlantique a autorisé la captation, l’enregistrement et la transmission d’images via un drone « au titre de la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés en raison de leurs caractéristiques ou de faits qui s’y sont déroulés » pour la période du 24 juillet 2023 au 6 août 2023 inclus, sur tout le territoire de la commune de Rezé.

Des requérants ont attaqué cet arrêté en référé liberté.

La condition d’urgence a été considérée comme remplie :

« eu égard, d’une part, au nombre de personnes susceptibles de faire l’objet des mesures de surveillance litigieuses, d’autre part, aux atteintes qu’elles sont susceptibles de porter au droit au respect de la vie privée, et alors […] qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public ne pourrait être atteint en recourant à des mesures moins intrusives au regard du droit au respect de la vie privée, ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents […] »

Sur la condition « tenant à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale », le juge des référés de ce TA , le juge pose que  :

« 5. D’abord, il résulte de l’instruction et des échanges au cours de l’audience publique que, si l’autorisation en litige ne permettrait, selon le préfet de la Loire-Atlantique, d’utiliser qu’un seul drone à la fois, son périmètre géographique, qui s’étend sur l’essentiel du territoire de la commune de Rezé recouvre une superficie de près de 14 km2 et comprend un grand nombre de maisons d’habitation. S’il a été indiqué dans les écritures du préfet et à l’audience, par le conseil de la préfecture sans que ceci ne soit corroboré par le moindre élément tangible, que le drone ne serait utilisé que si des ” rodéos urbains ” étaient en cours, pendant une courte durée, cela ne ressort pas de l’arrêté qui se borne à indiquer dans son article 1er le recours au drone du ” lundi 24 juillet 23023 au dimanche 6 août inclus “. Aucune autre pièce du dossier ne vient l’établir ni même en donner le moindre commencement d’explication.
« 6. Ensuite, le préfet de la Loire-Atlantique soutient que cette mesure est nécessaire au regard de la hausse du nombre de ” rodéos urbains ” sur la commune de Rezé et qu’il n’existe pas de mesure moins intrusive. Ces éléments sont avancés de manière vague dans l’arrêté en cause et ne sont étayés par aucune donnée chiffrée ou statistique, ni par aucun travail de documentation qui permettraient au juge d’apprécier la réalité de ce phénomène, son ampleur, ses caractéristiques, les dommages aux biens et aux personnes qui ont pu être causés par le passé. Le préfet de la Loire-Atlantique se bornant, pour justifier de cette nécessité, à produire un article du journal Ouest-France évoquant un ” rodéo urbain ” sur la commune de Rezé au mois de juillet 2023. De la même façon, alors que ce point est contesté par les requérants, il n’est apporté aucun élément dans l’arrêté attaqué, ni même à l’audience, sur les raisons qui permettraient de comprendre pourquoi les techniques de vidéo-surveillance en œuvre à Rezé, la présence des forces de l’ordre, ne permettraient pas d’empêcher les rodéos urbains ou au moins, puisque c’est l’objectif avancé à l’audience du recours au drone, empêcheraient l’interpellation des pratiquants de ces rodéos par les moyens déjà en place sur la commune de Rezé. L’article du journal Ouest-France mentionné précédemment produit par le préfet laissant d’ailleurs apparaître que l’interpellation du contrevenant au code de la route, lors de ce ” rodéo urbain “, s’est faite sans l’intervention d’un drone. Egalement, il convient de relever que si le préfet de la Loire-Atlantique a indiqué comment le drone pourrait permettre aux forces de l’ordre de réguler la circulation des autres automobilistes pendant un ” rodéo urbain “, aucune information n’a pu être donnée sur la vitesse avec laquelle le drone pourrait être mobilisé par les forces de l’ordre à cette fin, et donc la pertinence de son utilisation dans ce cadre, la durée pendant laquelle il pourrait être utilisé, quels seraient ses avantages du recours à celui-ci, en quoi il permettrait une meilleure garantie de l’ordre publique par rapport aux moyens existants.
« 7. Enfin, l’arrêté en cause indique également de manière tautologique que ” les lieux surveillés sont strictement limité au secteur lié à l’opération et à ses abords “. Comme cela ressort de la carte produite en annexe de l’arrêté, toute la ville de Rezé sera possiblement sous surveillance du drone sans que la moindre explication ne soit donnée sur les raisons de la taille de la zone à surveiller, alors pourtant que l’arrêté mentionne que des ” rodéos urbains ” sont amenés à se produire uniquement sur le secteur Rezé-Château.
« 8. En l’état de l’instruction, les données produites par l’administration sur les ” rodéos urbains ” à Rezé et les éléments fournis sur, les caractéristiques géographiques de la zone concernée et sur les moyens qui sont affectés à la lutte contre ceux-ci ne sont pas suffisamment circonstanciés pour justifier, sur la base d’une appréciation précise et concrète de la nécessité de la proportionnalité de la mesure. Aucun élément, comme il été dit ne permet de comprendre pourquoi le service ne peut employer, pour l’exercice de cette mission dans cette zone et sur toute l’étendue de son périmètre, d’autres moyens moins intrusifs au regard du respect de la vie privée que les moyens habituellement mis en œuvre pour lutter contre ces ” rodéos urbains “, comme les caméras de vidéo-surveillance ou que l’utilisation de ces autres moyens seraient susceptibles d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents. »

Il est à retenir, donc, que le Préfet aurait donc du pour sauver de la censure son arrêté :

  • trouver plus de preuves des risques
  • démontrer la dangerosité réelle des solutions alternatives (le problème étant que ce n’est pas la surveillance qui est dangereuse pour les agents, mais l’interpellation, le plus souvent, en pratique)
  • sans doute limiter plus géographiquement son arrêté (quitte à en prendre un autre si les lieux où se pratiquent les rodéos urbains se déplacent)
  • être plus précis sur l’objet de ladite surveillance dans cet arrêté 

 

Ces leçons seront importantes pour les arrêtés à venir et pour les futurs contentieux…

Source :

TA Nantes, ord., 2 août 2023, 2310969

 

NB : une solution pour faire peur aux amateurs de rodéos urbains, le drone de poursuite (façon Scooby-doo) en lieu et place du drone de surveillance :

 

IV. Le cas des manifestations ou des lieux propices à celles-ci

 

Les manifestations, plus ponctuelles, donnent à l’évidence lieu à une plus grande compréhension du juge, au moins du premier degré. Ainsi a-t-on appris :

  • que l’usage de drones était validé par le juge pour sécuriser le sommet « Choose France » du lundi 15 mai 2023. Voir :
  • que le juge des référé du TA de Strasbourg validait aussi le recours à cet outil dans la perspective de la manifestation «contre la loi retraites» prévue à Strasbourg le jour même, à savoir le mardi 06 juin 2023 (nous avons l’information, mais pas l’ordonnance).

 

 

Le TA de Toulouse (toujours lui), a de nouveau eu à connaître d’un tel contentieux. Il s’agit cette fois de la surveillance du chantier de l’autoroute A69.

 

Les deux arrêtés préfectoraux ont été pris sur le fondement des articles L. 242-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, qui autorisent, sous certaines conditions, la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs aux fins d’assurer, notamment, la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, en raison de leurs caractéristiques ou des faits qui s’y sont déjà déroulés, à des risques d’agression ou de vol ainsi que la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu’ils sont particulièrement exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation.

Les requérants ont attaqué un arrêté qui avait été entièrement exécuté, ce qui a entraîné le rejet, faute d’urgence, de leur requête. Certes.

Source : TA Toulouse, ord., 5 septembre 2023, n° 2305274

Mais l’autre recours portait, lui, sur un arrêté en cours d’exécution.

Et le juge des référés a néanmoins rejeté ce recours car :

  • la circonstance que l’arrêté aurait été insuffisamment motivé, qu’il n’aurait pas précisé les critères autorisant l’enregistrement des images captées ou qu’aucune doctrine d’emploi n’aurait préalablement été transmise à la Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL), n’est pas de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
  • compte tenu des dégradations, actes de sabotage, vols et menaces portés à l’encontre du chantier et des ouvriers, et alors que des individus qui tentaient de s’installer dans les arbres devant être abattus ont été interpellés les jours précédents, c’est sans erreur d’appréciation que l’administration a considéré qu’il existait un risque sérieux d’atteinte à la sécurité des personnes et des biens pendant la période considérée de réalisation des travaux justifiant le recours à la captation d’images par des aéronefs.
  • le groupement départemental de gendarmerie du Tarn ne dispose pas des effectifs suffisants pour assurer la protection, de jour comme de nuit, des différentes zones de chantier de l’autoroute A69, dont le tracé s’étend sur plus de 50 kilomètres.
  • le recours aux drones a été limité dans le temps et dans l’espace, et n’a pas pour objet une surveillance permanente mais seulement ponctuelle, à la demande des forces de l’ordre.

Dans ces conditions, l’autorisation accordée n’a pas été regardée comme manifestement disproportionnée. Et cette ordonnance illustre de manière claire les périls, les difficultés matérielles et l’encadrement strict de l’usage de ces outils qui peuvent permettre d’en sécuriser la légalité, pour l’Etat.

Source :

TA Toulouse, ord., 5 septembre 2023, n° 2305272

 

 

 

V. Le cas du marché de Noël de Strasbourg

 

Nb : ce qui suit reprend largement des éléments du Communiqué de presse dudit TA. 

Le marché de Noël de Strasbourg, dit Christkindelsmärik, se tient depuis plusieurs siècles dans cette ville qui se décrit comme la « capitale de Noël ».

Organisée chaque année pendant une période de plusieurs semaines précédant la fête chrétienne de Noël, cette manifestation s’étend sur une grande partie du centre-ville de Strasbourg et engendre une affluence attendue entre 2 et 3 millions de visiteurs venant du monde entier.

Dans un contexte d’attentats terroristes ayant déjà frappé la ville de Strasbourg en période de marché de Noël (un attentat déjoué en 2000, un attentat en 2018 ayant causé la mort de cinq personnes, arrestation en 2019 de deux individus faisant l’apologie du terrorisme), et du récent relèvement du niveau de risque terroriste sur l’ensemble du territoire national, la préfète du Bas-Rhin a autorisé les forces de l’ordre à recourir à la surveillance par drone, par un arrêté du 15 novembre 2023.

Saisi en urgence par des particuliers, dont des avocats exerçant leur profession dans le périmètre concerné par l’arrêté préfectoral, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de suspension de cet arrêté.

Il a estimé que, compte-tenu également de l’ampleur de la zone à sécuriser, de l’affluence attendue et de la configuration particulière des lieux comprenant de nombreuses rues étroites, ces circonstances justifiaient un déploiement particulier de forces de sécurité, complété par l’utilisation de deux drones, qui permettront de déceler plus rapidement les mouvements anormaux de foule et d’orienter les interventions des forces de l’ordre de manière plus rapide et pertinente dans un souci de meilleure protection des visiteurs du marché.

Le juge a également souligné, en réponse aux craintes soulevées par les requérants de détournement des images enregistrées, qu’en dehors de ces objectifs de maintien de l’ordre, l’utilisation des images à d’autres fins était strictement prohibée, à l’exception de la découverte, de manière fortuite, d’une infraction pénale dont la gravité imposerait un signalement au procureur de la République.

Le juge a enfin considéré que les modalités technique d’emploi des drones n’étaient pas disproportionnées à l’objectif poursuivi de sécurité publique. Notamment, compte tenu du fait que les drones voleront entre une hauteur de 120 et 300 mètres, sans possibilité de visualiser et d’identifier les visages en raison de la pixellisation des images, le juge n’a pas retenu d’atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée ou… moyen plus nouveau, au secret couvrant la profession d’avocat.

Voici cette décision :

TA de Strasbourg, ord., 23 novembre 2023, n°2308339