Le juge administratif nous donnera-t-il notre pain quotidien ? (un point au 19/12/2023)

Le droit français sur le travail dominical des commerces s’avère assez complexe… Rappelons quatre points :

 

Le code du travail prévoit que le préfet peut, à la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture hebdomadaire au public des établissements d’une profession. Toutefois, l’arrêté préfectoral doit refléter la volonté de la majorité indiscutable des professionnels concernés.

 

Passons en revue diverses jurisprudences en ce domaine pour mesurer combien il s’agit à chaque fois d’un subtil équilibre… 

 

I. A la base, la position du Conseil constitutionnel rappelant que ce régime s’apprécie à l’aune du principe d’égalité entre établissements, en dépit de leurs différences de dimensions

 

Par sa décision 2010-89 QPC – 21 janvier 2011 – Société Chaud Colatine [sic] [Arrêté de fermeture hebdomadaire de l’établissement], le Conseil constitutionnel a validé ce régime :

« 3. Considérant que la liberté d’entreprendre découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; qu’il est toutefois loisible au législateur d’apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ;
« 
4. Considérant, en premier lieu, qu’en permettant au préfet d’imposer un jour de fermeture hebdomadaire à tous les établissements exerçant une même profession dans une même zone géographique, l’article L. 3132-29 du code du travail vise à assurer l’égalité entre les établissements d’une même profession, quelle que soit leur taille, au regard du repos hebdomadaire ; que, dès lors, il répond à un motif d’intérêt général ;
« 
5. Considérant, en second lieu, que l’arrêté préfectoral de fermeture ne peut être pris qu’en cas d’accord émanant de la majorité des organisations syndicales de salariés et des organisations d’employeurs sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés ; que cet arrêté ne peut concerner que les établissements qui exercent une même profession au sein d’une zone géographique déterminée ; qu’il appartient à l’autorité administrative compétente d’apprécier à tout moment si elle doit maintenir cette réglementation ; qu’elle est tenue d’abroger cet arrêté si la majorité des intéressés le réclame ; que, dans ces conditions, l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre par l’article L. 3132-29 du code du travail n’est pas disproportionnée à l’objectif poursuivi ;
« 
6. Considérant que la disposition contestée n’est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,»

Mais on note que l’aune sur laquelle devra se fonder le Préfet sera celle du principe d’égalité entre établissements, en dépit de leurs différences de dimensions…

 

Crédits photographiques : Conseil constitutionnel

 

II. Une vérification de ce que les signataires d’un accords dans ce cadre, sont bien majoritaires

 

Le juge s’assure en ce domaine que l’arrêté préfectoral sur les modalités de cette fermeture hebdomadaire s’est bien faite avec en accord avec une une majorité des établissements concernés sauf formalité impossible, et à charge pour l’administration de démontrer que les signataires de cet accord sont bien majoritaires.

A preuve cet arrêt du Conseil d’Etat n° 389477 du 27 juillet 2016 qui rappelle qu’au besoin une véritable instruction sur ce point doit être conduite :

« 3. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S’il peut écarter des allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve des faits qu’il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non contredites par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en oeuvre ses pouvoirs généraux d’instruction et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.»

Avec ensuite un examen in concreto détaillé. En voici, dans la même affaire, une claire illustration :

« 4. Il ressort des pièces du dossier que l’accord du 16 février 1996 a été signé par une seule organisation patronale, le syndicat patronal de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne. La fédération des pâtissiers, traiteurs, glaciers, confiseurs de Paris Ile-de-France, le comité de l’alimentation de l’Ile-de-France, regroupant les organisations professionnelles du commerce indépendant et de l’artisanat alimentaire, ainsi que, pour les stations services, le conseil national des professions de l’automobile, que le préfet des Hauts-de-Seine a consultés séparément sur cet accord, se sont déclarés favorables à son application. La SARL Ducomte produit en outre une attestation de la fédération nationale de l’épicerie, caviste et spécialiste en produits bio, représentant notamment les épiceries de moins de onze salariés, indiquant avoir toujours été favorable à la fermeture hebdomadaire prévue par cet accord. En revanche, le syndicat national des industries de la boulangerie-pâtisserie, le groupement indépendant des terminaux de cuisson et la fédération des entreprises du commerce et de la distribution, qui représente les enseignes du commerce à dominante alimentaire, ont émis un avis défavorable ou n’ont pas répondu à la consultation du préfet. Il ressort également des pièces du dossier que le préfet n’a pas consulté d’organisation représentative des établissements de restauration rapide et des commerçants ambulants ou, à défaut d’organisation représentative, n’a pas cherché à connaître l’opinion de ceux d’entre eux qui vendent du pain. Or ni le préfet en première instance, ni le ministre chargé du travail en appel, en dépit de la mesure d’instruction diligentée à cette fin, ni d’ailleurs la société appelante, n’ont produit d’éléments statistiques permettant d’apprécier le poids relatif des différentes catégories d’établissements exerçant, à titre principal ou accessoire, une activité de vente de pain à la date de l’arrêté litigieux. Dans ces conditions, et alors que la SARL La Sevinoise et l’EURL Paulantony étayaient suffisamment leur contestation sur ce point, l’accord du 16 février 1996 ne peut être regardé comme correspondant à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui exerçaient la profession à titre principal ou accessoire et dont l’établissement ou une partie de celui-ci était susceptible d’être fermé.»
( Conseil d’Etat n° 389477 du 27 juillet 2016).

 

 

III. le TA de Cergy-Pontoise en novembre 2018, strict défenseur de la longueur d’un jour sans pain

 

Une première affaire illustrait bien ce régime (régime sans pain naturellement), que nous avions alors commentée :

Par un nouvel arrêté du 10 septembre 2018, le préfet des Hauts-de-Seine a ordonné, dans l’ensemble du département, la fermeture au public pendant un jour par semaine des établissements dans lesquels s’effectue la vente au détail ou la distribution de pain.

Un jour long, donc, puisque sans pain (pas pu m’empêcher).

Des référés ont été présentés. En l’espèce, la question était notamment de savoir si une majorité indiscutable des professionnels de la vente de pain était favorable à une journée de fermeture hebdomadaire. Comme dans l’arrêt précité de 2016.

Par deux ordonnances du 26 novembre 2018, le juge des référés a considéré que :

  • le moyen tiré de ce que l’arrêté du préfet des Hauts-de-Seine en date du 10 septembre 2018 n’avait pas été édicté sur le fondement d’un accord d’une majorité indiscutable des professionnels concernés n’apparaissait pas de nature à faire naitre un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté… Sur ce point, détaillons :
    • l’avis de la fédération nationale de l’épicerie a été recueilli alors qu’elle ne représente pas la majorité des établissements… certes mais il fallait son avis. Le TA était donc fondé à ne pas censurer de ce fait.
    • l’avis de la chambre des métiers a été consulté alors que ce n’est pas une organisation professionnelle représentative selon les requérants.. mais rien n’interdit au préfet de consulter au delà des minima légaux. Donc pas de censure de ce fait, logiquement.
    • la fédération de l’épicerie et du commerce de proximité (FEPC), qui représente 854 établissements dans le département, n’a pas été consultée… selon les requérants. Sauf qu’elle s’est exprimée, et a spontanément fait connaitre au préfet son avis défavorable… nulle surprise donc à ne pas voir de censure de ce chef.
    • les autres fédérations aux avis défavorables (ou silencieux) n’ont pas été cités, mais ce n’est pas en soit une cause d’illégalité.
    • … reste que l’arrêté en litige n’établit pas l’existence de la majorité indiscutable des établissements concernés par la fermeture d’une journée par semaine , lequel est requis avant l’édiction de l’acte en litige. Et, là, force nous est de trouver les deux ordonnances du TA de Cergy-Pontoise un peu surprenantes au regard des formulations exigeantes, sur ce point, du Conseil d’Etat (voir arrêt précité de 2016).
  • a aussi été rejeté le second moyen relatif au vice de procédure entachant l’arrêté préfectoral, qui n’aurait pas été précédé d’un accord entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d’employeurs. Là encore, nous nous permettrons de trouver que le juge a balayé bien vite l’argument pourtant intéressant fondé sur l’article L. 3132-29 du code du travail…

 

Donc le juge ne nous donnera pas le pain de ce jour. Mais il nous donne de la lecture de sa sainte jurisprudence. Voir TA Cergy-Pontoise, 26 novembre 2018, n° 1811201 et n° 1811234 (22 esp.) :

 

 

IV. Le TA de Poitiers arrête à son tour l’invasion dominicale

 

Des arrêtés préfectoraux de 1996 pour la Charente et 2010 pour la Vienne ont prescrit la fermeture au public un jour par semaine des établissements ou parties d’établissements, quels qu’ils soient, dans lesquels s’effectue, à titre principal ou accessoire, la vente, la distribution ou la livraison de pain, emballé ou non, et, pour le département de la Charente, de pâtisseries ou de viennoiseries. Des représentants de la boulangerie industrielle et des artisans ont contesté le maintien de cette obligation de fermeture, qui ne peut être prescrite que s’il existe une adhésion majoritaire indiscutable des professionnels du secteur en ce sens. Les requérants soutenaient principalement qu’il n’avait jamais existé de majorité indiscutable en faveur de cette obligation de fermeture, et qu’en tout état de cause, il n’en existait plus compte tenu de l’évolution des modes de consommation.

Premièrement, s’agissant de la question de savoir s’il existait initialement une majorité indiscutable en faveur de cette obligation, le tribunal a considéré que les préfets avaient réalisé une consultation suffisamment large des établissements et salariés concernés.
Si les demandeurs reprochaient aux préfets de ne pas avoir consulté les représentants des établissements et salariés de la restauration rapide, de la restauration traditionnelle, de la vente de produits surgelés, des commerces ambulants et des débits de tabac, le tribunal a considéré que les requérants n’établissaient pas l’existence d’un nombre significatif d’établissements de ces secteurs vendant directement du pain, des pâtisseries ou des viennoiseries, en dehors de la consommation sur place de ces produits.
Le tribunal a ensuite considéré que les données recueillies par les préfets faisaient apparaitre une nette majorité d’organisations du secteur de la boulangerie-pâtisserie favorables à la fermeture un jour par semaine.

Deuxièmement, s’agissant de la question de savoir s’il existe toujours aujourd’hui une majorité indiscutable en faveur de cette obligation de fermeture hebdomadaire, le tribunal a estimé que les éléments très généraux avancés par les requérants n’étaient pas suffisants pour démentir les données concrètes rassemblées par l’administration, qui ont convaincu le tribunal de l’existence actuelle d’une majorité indiscutable en faveur de la fermeture un jour par semaine.

Le tribunal a ainsi décidé que les arrêtés préfectoraux prescrivant la fermeture hebdomadaire en Charente et dans la Vienne étaient légaux depuis l’origine et qu’aucun des moyens soulevé par les requérants ne justifiait leur abrogation.

FÉDÉRATION DES ENTREPRISES DE BOULANGERIE
lien pour consulter la décision : TA86 – n°1701447 du 29 janvier 2019 (C+)

Voir aussi :

 

Voir notre commentaire alors (repris ci-dessus cela dit) :

 

 

 

V. Au tour du TA d’Amiens de nous priver de ce bon glutenpain mais en faisant appliquer les règles de concertation exigées en ce domaine (décisions du 27 décembre 2018 et, surtout, du 18 juin 2019)

 

Par un arrêté du 21 janvier 1993, le préfet de la Somme a prescrit la fermeture, un jour par semaine, des boulangeries, boulangeries-pâtisseries et points de vente de pains du département de la Somme. Par la requête n° 1803102, enregistrée le 18 octobre 2018, la SARL Emule, qui exploite sur la commune d’Abbeville un terminal de cuisson de pain à l’enseigne « La mie câline » a demandé l’annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de la Somme a rejeté sa demande présentée le 8 mars 2018 tendant à l’abrogation de cet arrêté.

Avant d’examiner les moyens soulevés par la société requérante à l’appui de ses conclusions à fins d’annulation, le tribunal administratif d’Amiens a écarté deux fins de non-recevoir soulevés par le préfet de la Somme, dont notamment celle relative à l’intérêt à agir de la requérante.

En s’appuyant sur le deuxième aliéna de l’article L. 3132-29 du code du travail, ajouté par l’article 255 de la loi du 6 août 2015, le préfet de la Somme soutenait que la société Emule n’avait pas d’intérêt à agir contre la décision refusant d’abroger l’arrêté du 21 janvier 1993. En effet, aux termes de cet aliéna, le préfet est tenu d’abroger l’arrêté de fermeture hebdomadaire de certains établissements commerciaux à la demande des organisations syndicales représentatives des salariés et des employeurs exprimant la volonté de la majorité des professionnels concernés. Ainsi, pour le préfet, seules les organisations syndicales peuvent demander l’abrogation d’un arrêté préfectoral de fermeture hebdomadaire illégal et la société Emule ne peut pas demander au tribunal l’annulation du refus opposé par le préfet à sa demande d’abrogation dés lors qu’elle n’est pas une organisation syndicale.

Toutefois, le tribunal a écarté cette fin de non-recevoir. En effet, il a estimé qu’en modifiant l’article L. 3132-29 du code de travail, le législateur n’a pas entendu déroger aux principe général du droit dégagé par la jurisprudence Alitalia et aux dispositions de l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration. Aux termes de ce principe et de cet article, tout intéressé peut demander à l’administration d’abroger un règlement illégal et contester l’éventuel refus de faire droit à cette demande devant le juge de l’excès de pouvoir. Aussi, dès lors que la société Emule est soumise aux dispositions de l’arrêté de fermeture hebdomadaire du 21 janvier 1993, elle a intérêt à contester le refus d’abrogation de cet arrêté.

Ayant écarté les fins de non-recevoir opposées par le préfet de la Somme, le tribunal a ensuite examiné les moyens d’annulation soulevés par la société Emule.

La société Emule soutenait notamment que le préfet avait méconnu les dispositions de l’article L. 221-17 du code du travail, reprises depuis à l’article L. 3132-29 précité du même code, dès lors qu’il n’existait pas d’accord syndical.

Aux termes de cet article, la fermeture au public des établissements d’une profession ne peut légalement être ordonnée sur la base d’un accord syndical que dans la mesure où cet accord correspond pour la profession à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire et dont l’établissement ou partie de celui-ci est susceptible d’être fermé. Ces mêmes dispositions impliquent que cet accord résulte d’échanges et de discussions menées simultanément et collectivement entre ces différents organismes et non de simples avis recueillis séparément auprès de chacun d’entre eux.

Or si avant d’édicter l’arrêté du 21 janvier 1993, le préfet a recueilli séparément les avis des membres de la commission tripartite de la boulangerie, aucun accord syndical n’a été formalisé. Par suite, le tribunal a annulé la décision par laquelle le préfet de la Somme a refusé de procéder à l’abrogation de son arrêté du 21 janvier 1993 prescrivant la fermeture, un jour par semaine, des boulangeries, boulangeries-pâtisseries et points de vente de pains du département de la Somme et lui a fait injonction dans un délai de trois mois d’abroger cet arrêté.

 

A comparer avec TA Amiens, 27 décembre 2018, n ° 1602430 que voici :

 

VOICI cette décision TA Amiens, 18 juin 2019, n° 1803102 :

 

 

VI. Nîmes, ou la censure des cas où le Préfet n’arrive pas à prouver l’existence de cette majorité

 

Le préfet du Gard et le préfet de Vaucluse ont été saisis par des organismes professionnels de demandes tendant à l’abrogation des arrêtés préfectoraux relatifs à la fermeture hebdomadaire des commerces vendant ou distribuant du pain et des viennoiseries. Ces arrêtés préfectoraux, édictés le 8 novembre 1990 pour le département du Gard et le 10 août 2007 pour le département de Vaucluse, ont été pris sur la base des dispositions figurant aujourd’hui au premier alinéa de l’article L. 3132-29 du code du travail, selon lesquelles : « « Lorsqu’un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d’employeurs d’une profession et d’une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos ».

Contestant le refus opposé à leur demande, les organismes concernés ont saisi la juridiction administrative en invoquant notamment les dispositions du second alinéa de l’article L. 3132-29 du code du travail, qui prévoient l’abrogation de l’arrêté portant fermeture des établissements à la demande des organisations du secteur exprimant la volonté de la majorité des membres de la profession de la zone géographique considérée.

Après avoir constaté que, malgré les mesures d’instruction diligentées dans chacune des deux instances, n’avaient pas été produits d’éléments statistiques et objectifs de nature à démontrer l’existence, à la date de ses jugements, d’une majorité indiscutable des membres de la profession favorable au maintien de l’obligation de fermeture hebdomadaire, le tribunal administratif de Nîmes a annulé les décisions de refus en litige.

Soucieux de l’effet utile de l’annulation prononcée dans ces affaires pour un motif concernant le bien-fondé des refus litigieux, le tribunal a ordonné aux préfets d’abroger les arrêtés en cause dans un délai de deux mois.

 

Voir :

Tribunal Administratif de Nîmes – coll. pers. – 2021

 

VII. A Poitiers, bis repetita avec une forte exigence en termes de « majorité indiscutable »

 

Puis le TA de Poitiers a eu, de nouveau, à trancher un litige en matière de pain.

Classiquement, le préfet de la Charente-Maritime avait en 1997 imposé chaque semaine une journée entière de fermeture des boulangeries et des points de vente de pain dans ce département, soit le dimanche, soit un autre jour de la semaine au choix des intéressés.

Saisi par une société contestant cette réglementation, le tribunal a relevé que si cet arrêté a été pris avec l’assentiment de six organisations professionnelles formalisé dans un accord le 4 juin 1997, dont quatre sont à l’évidence représentatives des professionnels faisant métier de fabriquer et, ou, de vendre du pain, d’une part, cet accord, auquel d’autres organisations professionnelles n’étaient pas parties, ne reflétait pas la volonté d’une majorité indiscutable de l’ensemble des professionnels du secteur d’activité concerné, et d’autre part, l’existence d’une telle volonté majoritaire n’est pas davantage acquise de manière indiscutable pour la période actuelle.

Par suite, le tribunal, qui devait apprécier la légalité du refus du préfet d’abroger son arrêté du 23 septembre 1997, non seulement au regard de la situation existant à la date de cet arrêté, mais également au regard des circonstances postérieures à celui-ci, a annulé ce refus.

Cependant, il s’est borné ensuite à enjoindre au préfet de procéder dans un délai de six mois à un nouvel examen de la demande d’abrogation après avoir constaté l’existence ou non d’une majorité indiscutable en faveur de la mesure de fermeture contestée.

TA Poitiers, 6 juin 2023, n° 2102053

 

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VIII. Devant le Conseil d’Etat, en octobre 2013 puis en décembre 2023 : censure d’une distinction opérée entre boulangeries selon leurs activités.. avec des questions délicates en réalité sur les pâtisseries

 

Le  Conseil d’Etat a eu à rappeler que si le préfet peut, dans ce cadre, imposer, en cas d’accord entre syndicats d’employeurs et de travailleurs, un jour de fermeture hebdomadaire à tous les établissements exerçant une même profession dans une même zone géographique (art. L. 221-17, devenu l’art. L. 3132-29 du code du travail), c’est afin de préserver la concurrence entre ces établissements.

NB : voir la décision, précitée en I., ons. const., 21 janvier 2011, n° 2010-89 QPC. Cf. aussi par analogie CE, Sect., 18 décembre 1964, Ministre contre Union pharmaceutique de sociétés mutualistes des Alpes-Maritimes, n° 61295, rec. p. 652. 

A cette aune là, le préfet doit fonder son arrêté sur le respect du principe d’égalité, l’essence de ce régime étant de rétablir en droit (et commercialement) l’égalité entre petites structure artisanales et grandes structures pouvant ouvrir tous  les jours.

Cela conduira à ce que rarement des différences de situation pourront donner lieu à différence de traitement… ce que le Conseil d’Etat a eu à rappeler à dix ans d’écart en 2013 puis en 2023 :

  • dans les Bouches-du-Rhône, avait été ordonnée la fermeture hebdomadaire de tous les établissements et annexes d’établissements du département dont la vente au détail de pain et viennoiseries constitue l’activité unique ou l’une des deux activités principales… les établissements ou annexes d’établissement ayant pour activité accessoire la vente au détail de pain et viennoiseries (supermarchés par exemple…) n’entrant pas dans les prévisions de l’arrêté litigieux « alors qu’il est constant qu’ils se trouvent placés, sur ce marché, en concurrence directe avec les établissements concernés par l’obligation de fermeture hebdomadaire et que cette obligation, si elle leur était étendue, ne concernerait que la partie de ces établissements ayant cette activité ». Le juge a censuré (bien sûr !) cette différence de traitement qui ne reposait sur « aucun élément de nature à [la] justifier […] au regard de l’objectif de préservation des conditions du libre jeu de la concurrence entre établissements exerçant une même profession»
    CE, 23 octobre 2013, Fédération des entreprises de boulangeries et pâtisseries françaises et autres, n° 352561, rec. T. p. 860.
  • Bis repetita dix ans après, mais avec un arrêté plus subtil. Ce dernier imposait aux seules boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche de fermer leur rayon pâtisserie, le même jour que celui choisi pour leur rayon pain, cependant que les autres établissements qui commercialisent de la pâtisserie fraîche, à titre principal (pâtissiers qui ne sont pas boulangers) ou à titre accessoire (traiteurs, supermarchés…) n’étaient pas contraints de fermer leur rayon pâtisserie un jour par semaine.
    Cet arrêté, selon le Conseil d’Etat, engendre lui-aussi  des distorsions de concurrence entre les boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche, d’une part, et les autres établissements commercialisant de la pâtisserie fraîche, à titre principal ou à titre accessoire, d’autre part, dès lors que ces établissements commercialisent les mêmes articles et se trouvent placés en concurrence directe sur un même marché.
    CE, 15 décembre 2023, n
    ° 468710, aux tables du recueil Lebon