Le Conseil d’État rejette pour l’essentiel les recours contre le décret d’application de la loi sur l’ouverture des commerces le dimanche (alors que le TA de Strasbourg s’est prononcé, lui, il y a un mois, sur ce même thème mais à l’aune du droit local).
La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité, et l’égalité des chances économiques a créé un régime de dérogation au repos qui s’applique dans trois types de zones géographiques :
– les « zones touristiques internationales », délimitées par les ministres chargés du travail, du tourisme et du commerce, compte tenu du rayonnement international de ces zones, de l’affluence exceptionnelle de touristes résidant hors de France et de l’importance de leurs achats (article L. 3132-24 du code du travail) ;
– les « zones touristiques », délimitées par le préfet de région, caractérisées par une affluence particulièrement importante de touristes (article L. 3132-25 du code du travail) ;
– et les « zones commerciales », également délimitées par le préfet de région, caractérisées par une offre commerciale et une demande potentielles particulièrement importantes, le cas échéant en tenant compte de la proximité d’une zone frontalière (article L. 3125-25-1 du code du travail).
Dans ces zones, le code du travail autorise les « établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et services », c’est-à-dire les commerces, à donner le repos hebdomadaire à tout ou partie de leur personnel par roulement, à condition que ces établissements soient couverts par un accord prévoyant une compensation, par des contreparties salariales accordées aux salariés privés de repos dominical, des engagements pris en faveur de l’emploi de certains publics en difficulté ou handicapés ou encore des mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés privés du repos dominical, afin de tenir compte du caractère dérogatoire du travail accompli le dimanche par les salariés.
Par le décret n° 2015-1173 du 23 septembre 2015, le Premier ministre a précisé les critères de délimitation de ces trois zones.
La Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services, d’une part, et la Fédération des employés et cadres Force ouvrière ainsi que le syndicat des employés du commerce et de l’industrie UNSA, l’Union syndicale CGT, le Syndicat SUD commerces et service et l’Union départementale CFTC de Paris, d’autre part, ont saisi le Conseil d’État de demandes tendant à l’annulation de ce décret.
Une large part de leurs critiques était fondée sur la violation, par le pouvoir réglementaire, des articles 6 et 7 de la convention internationale du travail n° 106 concernant le repos hebdomadaire dans le commerce et les bureaux adoptée à Genève le 26 juin 1957, qui impose aux Etats qui l’ont ratifiée d’organiser une période de repos hebdomadaire qui coïncide avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du pays ou de la région et encadre les dérogations qui peuvent être faites à ce principe selon les critères suivants, « compte tenu de toute considération sociale ou économique pertinente » :
– la nature du travail accompli ;
– la nature des services fournis par l’établissement ;
– l’importance de la population à desservir ;
– le nombre des personnes employées.
Par une décision rendue hier, le Conseil d’État rejette l’essentiel de ces demandes d’annulation.
En premier lieu, toutes les critiques relatives à la procédure d’adoption du décret sont écartées.
La décision relève en deuxième lieu que les régimes dérogatoires ne peuvent pas être mis en œuvre sans que soit prise en compte la situation des salariés, qui doivent donner leur accord écrit à leur employeur pour travailler le dimanche et qui bénéficient de diverses compensations et contreparties (point 8).
Sont ensuite écartées les critiques dirigées contre les critères fixés par le décret du 23 septembre 2015 pour la délimitation des zones touristiques internationales et des zones touristiques. Pour ces deux types de zones, le Conseil d’État juge que les critères fixés par le décret attaqué correspondent à la prise en compte de considérations économiques et sociales pertinentes au sens de la convention internationale du travail n° 106 et qu’ils permettent de vérifier que la mise en œuvre d’un régime de repos hebdomadaire dérogatoire dans ces zones est justifiée.
S’agissant des zones commerciales, l’article R. 3132-20-1 du code du travail issu du décret attaqué a prévu qu’elles doivent répondre aux critères suivants :
1°) Constituer un ensemble commercial d’une surface de vente totale supérieure à 20 000 m² ;
2°) Avoir un nombre annuel de clients supérieur à 2 millions ou être situées dans une unité urbaine comptant une population supérieure à 100 000 habitants ;
3°) Etre dotées des infrastructures adaptées et accessibles par les moyens de transport individuels et collectifs.
Dans les zones situées à moins de 30 km d’une zone frontalière, certains de ces seuils sont abaissés.
Le Conseil d’État relève que les critères ainsi fixés permettent au nouveau régime de s’appliquer dans 61 unités urbaines, rassemblant près de trente millions d’habitants. Or les justifications apportées par le Premier ministre en défense, tirées de ce que ce régime répond aux nouvelles pratiques des consommateurs dans les grandes unités urbaines, soucieux de pouvoir étaler leur achats tant sur le samedi que le dimanche compte tenu notamment de l’importance des temps de déplacement durant la semaine, ne permettaient pas d’établir l’existence d’un tel besoin dans l’ensemble des unités urbaines comptant une population supérieure à 100 000 habitants, seuil fixé par le décret attaqué. Le Conseil d’État en déduit qu’une dérogation aussi large au repos dominical n’est pas, au regard des pièces du dossier, justifiée par l’importance de la population à desservir et répondant à des considérations sociales ou économiques pertinentes au sens de la convention internationale du travail n° 106 (point 12).
En conséquence, faute de justifications suffisantes apportées au seuil de 100 000 habitants en cas de zone commerciale située dans une unité urbaine, le Conseil d’État annule le décret, mais uniquement sur ce point. Les autres critères permettant aux préfets de région de définir les zones commerciales restent en vigueur.
Voici cette décision CE, 28 juillet 2017, Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services et autres, n° 394732 et 394735 :
CE cce dim 201707
Voir aussi sur le présent blog :
Sur le cas particulier alsacien et mosellan, où s’applique le droit local plutôt strict (et fondé sur les branches d’activité et non uniquement les zones ou les surfaces), voir un jugement récent et assez sévères : TA Strasbourg, 14 juin 2017, SAS SUPERMARCHÉS MATCH, n° 1700380 :
Voir précédemment TA Strasbourg, 4 février 2015, Société JSRE, n°1402449 :