Une région ultramarine peut-elle financer, seule, sans l’Etat ou en sus de celui-ci mais par un dispositif à part, la « continuité territoriale » ?

Réponse NON, comme le Conseil d’Etat vient encore de le confirmer. 


 

La continuité territoriale vise à renforcer la cohésion entre différents territoires d’un même État, en compensant les handicaps liés à leur éloignement, un enclavement ou un accès difficile. Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne et les pays et territoires d’outre-mer des États membres de l’Union européenne peuvent bénéficier de ces dispositions.

Ce régime a été réformé à plusieurs reprises :

Voir aussi :

 

La région de La Réunion a mis en place depuis longtemps, comme d’autres, un dispositif de « continuité territoriale » institué par le conseil régional de la Réunion visant à faciliter les déplacements entre l’île et la métropole et consistant en l’attribution, sous condition de ressources, d’aides finançant une partie des frais de passage aérien.

Mme B… A… épouse C… a demandé au tribunal administratif de La Réunion d’annuler la décision du 28 septembre 2018 par laquelle le président du conseil régional de La Réunion avait rejeté sa demande de remboursement de billets d’avion présentée au titre de l’aide à la continuité territoriale instituée par ladite région.

Par un jugement n° 1800904 du 29 août 2019, le tribunal administratif de La Réunion a fait droit à cette demande.

La région avait contesté ce jugement, ce qui d’ailleurs avait conduit le Conseil d’Etat a trancher une question, consistant à savoir si de tels contentieux :

  • relèvent des litiges relatifs « aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale » au sens de l’article R. 811-1 du code de justice administrative (CJA)… auquel cas les tribunaux administratifs statuent en dernier ressort en ce domaine
  • ou s’ils n’en relèvent pas… auquel cas après un jugement de TA, il est possible de former appel devant une CAA.

La réponse du Conseil d’Etat avait été de poser que de tels litiges, eu égard à l’objet de cette aide, ne relèvent pas des litiges relatifs « aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale » . Il y a bien compétence du juge d’appel le cas échéant.

Source : Conseil d’État, 15 juillet 2020, n° 436276, aux tables du recueil Lebon ( voir  ici cette décision et l’article que nous avions alors publié).

Venons en maintenant au fond du dossier, qui a donc du être tranché en appel par la CAA de Bordeaux.

Or, cette dernière a tranché dans le sens de l’incompétence, ratione materiæ, de la région de La Réunion pour instaurer de manière autonome un dispositif d’aide à la continuité territoriale consistant en l’attribution d’aides finançant une partie des frais de déplacements aériens entre l’île et la métropole.

En vertu des articles L.1803-1 et suivants du code des transports, l’aide à la continuité territoriale relève en effet d’une politique nationale de continuité territoriale, fondée sur les principes d’égalité des droits, de solidarité nationale et d’unité de la République, confiée à l’Agence De l’Outre-mer pour la Mobilité (LADOM), établissement public administratif de l’Etat.

La région de la Réunion ne tient ni de ces dispositions ni d’aucune des dispositions du code général des collectivités territoriales définissant ses attributions le pouvoir d’instaurer de manière autonome une telle aide.

Il s’ensuit, selon cette CAA, que le président du conseil régional de la Réunion était, à la date de la décision contestée, en situation de compétence liée pour refuser de faire bénéficier le demandeur du dispositif d’aide à la continuité territoriale illégalement institué par la région (ce qui conduit donc à l’annulation du jugement du TA).

 

Source :

CAA Bordeaux, 21 décembre 2022, n°20BX02224, C+

Or, voici que le Conseil d’Etat a confirmé cette position (pour une autre affaire — d’ailleurs postérieure — mais dans le cadre d’une même série de litiges, autour du même cadre juridique, des mêmes délibérations, de la même région…).

En l’espèce, Mme A… D… avait demandé au tribunal administratif de La Réunion d’annuler la décision du 16 avril 2019 par laquelle le président du conseil régional de La Réunion avait rejeté sa demande de remboursement de billets d’avion présentée pour le compte de deux de ses enfants au titre de l’aide à la continuité territoriale instituée par la région.

Par un jugement n° 1900905 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de La Réunion a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 20BX02733 du 21 décembre 2022, la CAA de Bordeaux avait annulé ce jugement, le même jour donc que l’affaire précitée.

Le Conseil d’Etat confirme :

«  qu’il incombe à l’Etat de conduire, au niveau national, une politique ayant pour objet de rapprocher les conditions d’accès des résidents d’outre-mer aux services publics de transport de celles des personnes résidant en France métropolitaine, dont le financement est assuré par un fonds de continuité territoriale géré par l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, et ce par le biais d’aides accordées sous condition de ressources, notamment d’une aide destinée à financer une partie de leurs titres de transport entre leur collectivité de résidence et le territoire métropolitain

Et que :

« ni les dispositions législatives citées aux points précédents ni aucune autre ni aucun principe ne confèrent de compétence à la région de La Réunion, contrairement à ce qui est soutenu par la requérante, pour instaurer elle-même une aide à la continuité territoriale dans l’hypothèse où elle constaterait une carence de l’Etat en la matière. »

Donc c’est bien à tort qu’à une certaine période la région de La Réunion s’était cru compétente pour instaurer un régime… et c’est à raison qu’ensuite elle a refusé de mettre en oeuvre un tel régime alternatif à celui de l’Etat.

Et donc :

« c’est sans commettre d’erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que le conseil régional de La Réunion n’avait pas compétence pour décider, ainsi qu’il l’a fait par sa délibération du 12 décembre 2017, d’instituer pour l’année 2018 un dispositif régional d’aide à la continuité territoriale consistant en l’attribution, sous condition de ressources, d’aides finançant une partie des frais de passage aérien, ce dont elle a déduit que les moyens invoqués par la requérante à l’encontre de la décision du président du conseil régional de La Réunion lui refusant le bénéfice de cette aide étaient inopérants

Source :

Conseil d’État, 1er février 2024, n° 471539

 

NB : il est à noter que la région Réunion a corrigé le tir dès avant la décision de la CAA. Voir :