Geler le concert de Mr Freeze (Corleone) laisse le juge de glace (suite ; mise à jour au 1/3/24)

Mise à jour en raison d’une nouvelle ordonnance dans le même sens 

 

Quand il s’agit d’antisémitisme, voire de complaisance avec le IIIe Reich et autres horreurs, le rappeur Freeze Corleone n’a pas froid aux yeux.

Rappelons en ce domaine les grands principes (I) avant de voir sa cristallisation appliquée à Mister Freeze. 


 

I. Rappel des grands principes en ce domaine

 

 

« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté »… osa Saint-Just en défense d’un régime pourtant fort peu libéral.


La Justice, celle d’aujourd’hui, affirme au contraire avec constance que la liberté s’applique à tous.
La privation d’une liberté aussi importante que celle de manifester s’apprécie à l’aune, exigeante, des dangers qu’il s’agit d’obvier et des moyens dont dispose l’administration pour les limiter.

Voir par exemple encore récemment : TA Paris, ord., 7 janvier 2023, n°2300303_07012023 (voir ici notre article).

Mais attention : il n’est pas uniquement question de proportionner les mesures de police au trouble à l’ordre public qu’il s’agit d’obvier à l’aune, canonique, de l’arrêt Benjamin du Conseil d’État (19 mai 1933, n° 17413, au rec.), au terme d’un équilibre entre le risque de désordre et les moyens dont on dispose.

Il y a des cas où même si l’on dispose par exemple de trois cars de policiers, le risque de trouble à l’ordre public n’est pas l’émeute, mais la violation du droit à la dignité humaine (CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n°136727 ; pour une illustration récente d’application de ce principe mais dans un cadre juridique différent, a posteriori, voir : TA Toulouse, ord., 7 décembre 2021, n° 2106928,n° 2106915 et alii ; pour la validation — exactement pour ces motifs — par le juge d’une interdiction municipale qu’ à Vichy soit remis un prix R. Faurisson : TA Clermont-Ferrand, ord., 24 janvier 2020, n°2000155).

Les affaires « Dieudonné » (devenues plus récemment les affaires Dieudonné / Lalanne ») l’illustrent, où la légalité, ou non, d’un arrêté interdisant un spectacle s’appréciera selon deux mètres étalon très différents :

  • d’un côté il y-a-t’il un réel trouble à l’ordre public que l’on ne peut contenir avec les moyens dont on dispose (Benjamin)… ce qui sera rarement le cas
  • et d’autre part il y a-t-il une réelle quasi certitude au regard des enseignements passés que l’atteinte à la dignité de la personne humaine sera constituée ? En général les personnes bénéficient d’un pré-supposé que leurs actes à venir ne seront pas des infractions odieuses, la présomption d’innocence s’imposant, sauf dans « Minority report » (voir ici et ). Mais quand, en dépit des promesses et des condamnations, la même personne systématiquement reproduit les mêmes infractions, un tel glissement, appréhendé avec beaucoup de prudence par le juge, est possible, au point d’interdire un spectacle ou une manifestation au nom des atteintes à la dignité de la personne humaine qui ne manqueront pas de s’y produire (voir par exemple CE, ord., 9 janvier 2014, n° 374508, au recueil Lebon).

 

Mais, que l’on soit sur l’une ou l’autre (voire, souvent, les deux) de ces bases juridiques fondant un arrêté d’interdiction ou de suspension d’une manifestation ou d’un spectacle, reste que le maître-mot reste, de toute manière, la proportion.

En effet, les principes, en matière de pouvoirs de police restent ceux posés par le commissaire du Gouvernement Corneille (sur CE, 10 août 1917, n° 59855) : « La liberté est la règle et la restriction de police l’exception».
Il en résulte un contrôle constant et vigilant, voire sourcilleux, du juge administratif dans le dosage des pouvoirs de police en termes :

  • de durée (CE Sect., 25 janvier 1980, n°14 260 à 14265, Rec. p. 44) ;
  • d’amplitude géographique (CE, 14 août 2012, n° 361700) ;
  • de contenu même desdites mesures (voir par exemple CE, Ass., 22 juin 1951, n° 00590 et 02551 ; CE, 10 décembre 1998, n° 107309, Rec. p. 918 ; CE, ord., 11 juin 2012, n° 360024…).

Autrement posé, l’arrêté est-il mesuré en termes : de durée, de zonages et d’ampleur, en raison des troubles à l’Ordre public, à la sécurité ou la salubrité publiques, supposés ou réels qu’il s’agit d’obvier.

NB : pour des cas d’application aux dissolutions de groupements de fait, cf. notre articleDissolutions d’associations ou de groupements de faits : le Conseil d’Etat affine sa partition juridique classique, sur fond de bruits médiatiques (CE, ord., 9 novembre 2023, LES SOULEVEMENTS DE LA TERRE, EUROPE ECOLOGIE LES VERTS et autres, n° 476384 et suivants ; CE, ord., 9 novembre 2023, M. D… et autres (GALE antifas de Lyon), n°464412 ; CE, ord., 9 novembre 2023, M. A. (groupement de fait « l’Alvarium »), n°460457 ; CE, ord., 9 novembre 2023, ASSOCIATION COORDINATION CONTRE LE RACISME ET L’ISLAMOPHOBIE, n° 459704, 459737)

 

Ajoutons qu’en des temps troublés covidiens où les textes finissaient parfois par être si complexes qu’il était heureux que nous fussions confinés afin d’avoir le temps de les décortiquer… il a plu au juge d’ajouter une possibilité de modulation des découpages opérés en termes de pouvoirs de police en fonction d’un autre critère : celui de l’intelligibilité ( fin du point 6 de CE, ord., 11 janvier 2022, n°460002 ; voir aussi CE, ord., 11 janvier 2022, n°460002).

C’est dans ce cadre qu’il y quelques jours je commentais deux décisions du juge des référés du TA de Lille. Passons sur le volet ERP et municipal de ces décisions pour retenir que nous avons eu là une manifestation anti-immigrés avec soutien à aux propos du député Gérard de Fournas,  intitulée « Qu’ils retournent en Afrique ».

NB : sur cette polémique, voir : Chronique vidéo de D. Maus (échanges avec le Professeur J.-P. Camby, débat organisé et animé par Me E. Landot) – Débat juridique sur le régime disciplinaire des parlementaires (disputatio sur une damnatio…) 

Le juge a exactement appliqué le même mode d’emploi que celui de l’affaire Dieudonné de 2014. Il a en l’espèce reconnu un risque fort d’atteinte à la dignité de la personne humaine (dans la foulée de la décision concernant Dieudonné : CE, ord., 9 janvier 2014, n° 374508, au recueil Lebon op. cit. ; par extension de CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n°136727, op. cit.) au point qu’il a validé une mesure de suspension indépendamment du point de savoir si le lieu était sécurisable ou non au regard des moyens policiers disponibles (la logique de base n’est donc pas celle de l’arrêt Benjaminprécité).

Ceci dit, les deux logiques (celle de l’arrêt Benjamin et celles combinées des décisions Dieudonné  et Morsang-sur-Orge) ont en l’espèce été cumulées par le juge.

Sources :

 

 

Voir plus récemment encore une application à l’intervention d’un salafiste (confirmation de l’interdiction) :

Inversement, mais avec le même « mode d’emploi », par une ordonnance du 22 juin 2023, la juge des référés du TA de Lyon avait suspendu l’arrêté par lequel le maire de la ville de Lyon avait interdit une conférence intitulée « Palestine-Israël- colonisation/apartheid » : TA Lyon, ord., 22 juin 2023, n°2305086, 2305087, 2305101 et 2305117

Crédits : photo du palais des juridictions administratives (TA et CAA) de Lyon, L. Crance, 2022

Voir aussi sur un mode plus mineur et plus léger, au moins en textiles, qui est celui des interdictions de manifestations naturistes quand celles-ci pourraient conduire à une infraction : TA Bordeaux, ord., 10 août 2023, 2304418

 

Voir une petite vidéo faite par mes soins à ce sujet, de 8 mn 52, en mars 2023 :

https://youtu.be/Ti1DkMoR9Vc

 

 

Il  n’est pas rare que l’on aboutisse à des contentieux à la complexité accrue par les manoeuvres initiales des requérants (pour le tandem Dieudonné / Lalanne par exemple, lequel a souvent réservé des salles sans indiquer l’objet réel de ladite réservation, conduisant à des litiges aussi entre la structure gérant la salle et la société écran ayant loué ladite salle.. Ou donc pour Mr Freeze Corléone d’autre part, en guise de florilège de tristes clowns). Sur ce point, voir :

 

 

II. Application glaçante à Mr Freeze (C..)

 

 

La préfète du Rhône a donc interdit ce concert. En référé liberté, voici le Conseil d’Etat qui a, face à ce recours douteux, décidé de rester de glace (ah ah ; pas pu m’en empêcher. Désolé).

Le tout dans le contexte brûlant qui est le nôtre, hélas, en ce moment :

« 4. Ainsi que l’a rappelé, par l’ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif, l’exercice de la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l’exercice de la liberté de réunion. Les atteintes portées, pour des exigences d’ordre public, à l’exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées. Dans l’hypothèse où l’autorité investie du pouvoir de police administrative cherche à prévenir la commission d’infractions pénales susceptibles de constituer un trouble à l’ordre public, la nécessité de prendre des mesures de police administrative et la teneur de ces mesures s’apprécient en tenant compte du caractère suffisamment certain et de l’imminence de la commission de ces infractions, ainsi que de la nature et de la gravité des troubles à l’ordre public qui pourraient en résulter.
« 5. Il ressort des pièces de la procédure suivie devant la juge des référés du tribunal administratif que, pour interdire la tenue du concert en cause, la préfète du Rhône s’est fondée sur les motifs tirés de ce que plusieurs titres du chanteur contiennent des propos antisémites, ou témoignent d’une admiration pour le IIIème Reich ou présentent un caractère homophobe, que les paroles de chansons incitent à la haine et font l’apologie du nazisme ou du terrorisme, qu’il existe des raisons sérieuses de penser que la tenue du concert peut conduire à la commission d’infractions pénales et que les risques de troubles matériels à l’ordre public du fait de la tenue du concert à Lyon sont élevés compte tenu des tensions locales liées au retentissement des affrontements qui se déroulent au Proche-Orient depuis le 7 octobre 2023.
« 6. Pour rejeter la demande qui lui a été présentée, la juge des référés du tribunal administratif, d’une part, a retenu, en l’état de l’instruction devant elle, qu’au regard du spectacle prévu, tel qu’il a été annoncé et programmé, ne pouvait être écarté le risque sérieux que soient portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, notamment celui de dignité de la personne humaine, compte tenu des paroles de plusieurs morceaux, issus du nouvel album du chanteur daté du 11 septembre 2023, prévus pour être interprétés lors du concert en cause. Elle a relevé, en outre, compte tenu de ce qui a pu être observé lors de précédents concerts de l’intéressé à Bordeaux et Paris, que les morceaux susceptibles d’être effectivement interprétés pouvaient différer de ceux annoncés par la programmation prévue. Elle a, enfin, considéré, compte tenu des répercussions en France des événements se déroulant au Proche-Orient depuis le 7 octobre 2023, en particulier dans le département du Rhône où des actes antisémites ont été commis et où ont été constatés des mouvements organisés d’appel à la haine, que les risques de troubles à l’ordre public du fait de la tenue du concert étaient caractérisés.
« 7. Au vu des éléments dont elle disposait et qui ne sont nullement remis en cause par la requête d’appel qui se borne à réitérer l’argumentation de première instance sans apporter aucun élément nouveau, la juge des référés du tribunal administratif de Lyon a pu estimer à bon droit, compte tenu de l’ensemble des circonstances caractérisant la situation d’espèce, que la préfète du Rhône n’avait pas porté, en faisant usage de ses pouvoirs de police administrative pour interdire la tenue du concert en cause, d’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.»

 

Source :

 

Conseil d’État, 16 février 2024, n° 491848

 

Ce n’est là qu’une application parmi d’autres d’assez nombreuses décisions concernant ce refroidissant personnage. Citons une décision récente qui montre bien les deux motifs alternatifs (mais cumulés en l’espèce) pouvant justifier cette mesure restrictive des libertés de réunion, d’expression et de création artistique :

  • le risque de trouble à l’ordre public (apprécié donc à l’aune des moyens dont on dispose pour les éviter, et ce depuis l’arrêt Benjamin précité)
  • la quasi-certitude que des infractions seront commises.

 

Citons une ordonnance récente du juge des référés du TA de Nantes qui mérite d’être amplement citée en raison de la démonstration, claire, faite par le juge et des faits, forts sombres, commis par le requérant en question :

« 3. Il résulte des termes de l’arrêté attaqué que, pour prononcer l’interdiction en litige, le préfet de la Loire-Atlantique s’est fondé sur ce que les textes du rappeur Freeze Corleone contenaient des références ouvertement antisémites, ouvertement haineuses envers la communauté juive, empreints d’une apologie du IIIème Reich et d’une complaisance à l’égard du terrorisme. Le préfet s’est également fondé sur la circonstance que les chansons qu’il interprétera seront les mêmes que celles qui étaient programmées lors de son concert du 1er décembre 2023 dans lesquelles ont été relevés des références antisémites et faisant l’apologie du nazisme. Le préfet de la Loire-Atlantique a également relevé la sortie, le 8 février 2024, d’une nouvelle chanson intitulée « Haaland », associée à une apologie du terrorisme et en particulier de l’attaque terroriste survenue à Nice le 14 juillet 2016, compte tenu des paroles suivantes : « Burberry comme un grand-père anglais. J’arrive dans l’rap comme un camion qui bombarde à fond sur la… », faisant, selon le préfet, implicitement référence à la Promenade des Anglais de Nice, sur laquelle l’attentat a été réalisélaquelle chanson fait l’objet d’une enquête, ouverte par le parquet de Nice, pour apologie du terrorisme. Le préfet de la Loire-Atlantique a, en conséquence, estimé que, eu égard à ces différents éléments et à la circonstance que les forces de l’ordre sont déjà fortement mobilisées par le placement du pays depuis le 15 janvier 2024 en « sécurité renforcée- risque attentat », l’interdiction de ce spectacle constituait la seule mesure de nature à assurer le maintien de l’ordre public.

« 4. En l’espèce, au regard du concert prévu, tel qu’il a été annoncé et programmé, les allégations du requérant selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles contenus dans de précédents titres ne seraient pas prononcés lors de ce concert ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes fondamentaux, notamment de dignité de la personne humaine, au regard des paroles composant à tout le moins les morceaux qui sont, d’après le programme, expressément annoncés comme étant joués, tels que « J’préfère être accusé d’antisémitisme que de viol comme Gérald Darmanin » (chanson intitulée « Shavkat »), « Faut brûler tous les pédocriminels comme Polanski et Jack Lang » (chanson intitulée « Amérique du Sud »), « peine de mort pour Pierre Palmade, si possible avec des techniques qui viennent d’Allemagne ou de chez Mohammed ben Salmane »… « dans le complot comme Jacques Attali » (chanson intitulée « Tse Chi lop »), « J’arrive raciste comme quatre aryens » (chanson intitulée L’homme méthode) ou « Tout est nazi, tout est allemand » (chanson intitulée Voldemort), ou qui évoquent ses sympathies complotistes, comme dans les paroles : « Ça fait longtemps qu’j’suis dans l’complot comme CNN et CBS. J’enchaîne les tueries et les exterminations » (chanson intitulée Eclipse) ou qui font l’apologie du terrorisme, notamment l’attaque du 11 septembre 2011 comme dans les paroles : « j’arrive dans l’rap jeu comme le vol 93 aux Twin Towers » (chanson intitulée Jour de Plus), ce qui est pénalement répréhensible en application de l’article 421-2-5 du code pénal, l’ensemble de ces textes étant principalement issus de son dernier album ADC daté du 11 septembre 2023. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. Diakhate apparaît sur le dernier album du rappeur Kalash Criminel intitulé « Bon courage » paru le 23 février 2024, dont le titre : « Encore les problèmes », composé par 4 auteurs parmi lesquels figure le requérant, comporte lui aussi des paroles empreintes de références au IIIe Reich et de goûts partagés avec Hitler.
« 5. Si le requérant se prévaut d’un constat effectué par un commissaire de justice attestant qu’il n’y a eu, lors des concerts de Bordeaux et de Paris, qui se sont respectivement tenus les 12 et 25 novembre 2023, « aucune infraction susceptible de porter atteinte au respect de la dignité humaine », et fait valoir qu’un précédent signalement effectué à raison des paroles de certaines chansons a fait l’objet d’un classement sans suite, ces seuls éléments ne sont pas de nature à attester de ce qu’aucun propos répréhensible n’a été prononcé ou ne le sera pas lors du concert organisé le 28 février 2024, au vu de l’adhésion des participants aux propos de l’artiste, en dépit de la circonstance qu’aucun incident n’a été à déplorer. De même, si le requérant fait valoir, qu’il ne chantera pas le titre Haaland et s’engage à retirer tout titre de sa prestation du 28 février 2024 que la justice vaudrait lui signaler, il ressort des termes mêmes de l’arrêté en litige, qui ne sont pas contestés par le requérant, qu’alors qu’il s’était engagé devant le Conseil d’Etat à n’interpréter, lors du concert prévu à Rennes le 18 mars 2023, que des chansons ne comportant pas de propos à caractère antisémite, qu’il n’a pas respecté son engagement.
« 6. Dans ces conditions, le risque sérieux que soient tenus des propos de nature à porter de graves atteintes au respect des valeurs et principes fondamentaux, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est constitué, alors même qu’il s’inscrit dans un contexte tendu à l’égard de la communauté juive en France, dont le préfet démontre la réalité sur le plan local en faisant état, d’une part, de 9 actes antisémites ou appelant à la haine ayant fait l’objet d’un signalement au titre de l’article 40 du code pénal en Loire-Atlantique depuis les évènements du 7 octobre 2023 et, d’autre part, d’un contexte local nantais qui n’échappe pas à la résurgence de groupes extrémistes, soit néo-nazi soit anti-fascistes se réunissant régulièrement et encore très récemment, constitutif d’un facteur supplémentaire de vives tensions que les propos du requérant sont susceptibles d’exacerber. Le préfet soutient, par ailleurs, sans être contesté sur ce point, que les forces de l’ordre sont particulièrement mobilisées, dans le cadre du placement du pays depuis le 15 janvier 2024 en « sécurité renforcée-risque attentat » ainsi qu’en raison de la multiplication des missions de sécurisation de quartiers nantais confrontés au trafic de stupéfiant.
« 7. Dans ces conditions, en se fondant sur le motif tiré de ce que la tenue du concert litigieux ferait naître un risque avéré de commission d’une infraction susceptible de porter atteinte au respect de la dignité humaine et de caractériser un trouble à l’ordre public dans un contexte prégnant de tensions et de sécurité renforcée, le préfet de la Loire-Atlantique n’a pas commis, dans l’exercice de ses pouvoirs de police administrative, d’illégalité grave et manifeste.»

Source :

 

TA Nantes, ord., 28 février 2024, n° 2402938

 

Cette ordonnance fait suite à une autre, quelques jours auparavant, devant juge des référés du TA de Lille.

Avec un raisonnement proche, surtout (et c’est logique) focalisé sur l’autre base juridique, à savoir la commission très probable d’infractions : ce juge a rejeté cette demande en relevant, en particulier, que plusieurs titres que Freeze Corleone devait interpréter lors de son concert comportent des appels à la violence qui sont de nature à inciter à la haine ou à la discrimination contre des personnes nommément identifiées et des groupes de personnes. Il a également constaté que, si Freeze Corleone s’engageait à ne pas chanter sur scène ses morceaux les plus violents, l’intéressé n’a, dans le passé, pas respecté des promesses similaires faites devant le juge administratif à l’occasion de précédentes interdictions de ses concerts.

Dans ces conditions, le risque de troubles à l’ordre public est suffisamment établi pour que l’interdiction prononcée par le préfet du Nord ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression de Freeze Corleone, à sa liberté d’entreprendre ainsi qu’à la liberté de réunion.

 

TA Lille, 15 férier 2024, n°2401563

 

 

 

 

 

Voir aussi :