Arrêtés mendicité : les maires doivent opérer de complexes découpages géographiques, temporels et techniques [suite ; nouvelle décision du TA d’Amiens cette fois]

Un nouveau cas, concernant Amiens (voir ci-après II.J.), de censure d’un arrêté anti-mendicité, par le juge des référés d’un TA vient d’être recensé. A cette occasion, nous avons tenté de brosser (en compilant et en complétant certains de nos articles antérieurs) un état du droit sur ce point, un peu plus complet que ce que nous avions pu commettre dans le passé (car certains de ces arrêtés sont légaux d’autres non, avec des frontières parfois difficiles à bien calibrer) :

  • I. Rappel des grands principes en ce domaine 
    • I.A. Calibrage temporel, géographique et technique 
    • I.B. Un mode d’emploi simple : il faut faire très limité, voire compliqué (avec un délicat calibrage au cas par cas)
    • I.C. Explication en vidéo 
  • II. Illustrations jurisprudentielles  
    • II.A. Besançon, et l’absence de liberté fondamentale fondant un droit de mendier (et proportionnalité des mesures adoptées en l’espèce)
    • II.B. Illustration bayonnaise, avec un tri par mesure 
    • II.C. Non sans quelques difficultés pour les procédures contentieuses à avoir un effet pratique, parfois, comme le démontre cet exemple tourangeot
    • II.D. Illustration messine
    • II.E. Une censure devant le TA de Montreuil 
    • II.F. La décision « Saint-Etienne », rendue par le Conseil d’Etat, véritable mètre-étalon en cette matière
    • II.G. Exemple niçois de censure ciselée 
    • II.H. Ces mesures ne sont pas à confondre avec celles relatives au chiffonnage, mais qui sont de plus en plus utilisées pour les mêmes populations 
    • II.i. Le cas angoumois (avec une censure en référé suspension) de toute station assise ou allongée entravant la circulation 
    • II.J. Amiens : nouvelle censure en référé, aux motivations singulièrement concises

Crédits photos : Beth Macdonald (Unsplash)

 

I. Rappel des grands principes en ce domaine

 

I.A. Calibrage temporel, géographique et technique

 

Un pouvoir de police (tel que l’est l’adoption d’un arrêté du maire en matière de port de masques, par exemple) Les principes, en matière de pouvoirs de police restent ceux posés par le commissaire du Gouvernement Corneille (sur CE, 10 août 1917, n° 59855) : « La liberté est la règle et la restriction de police l’exception».

Il en résulte un contrôle constant et vigilant, voire sourcilleux, du juge administratif dans le dosage des pouvoirs de police en termes :

  • de durée (CE Sect., 25 janvier 1980, n°14 260 à 14265, Rec. p. 44) ;
  • d’amplitude géographique (CE, 14 août 2012, n° 361700) ;
  • de contenu même desdites mesures (voir par exemple CE, Ass., 22 juin 1951, n° 00590 et 02551 ; CE, 10 décembre 1998, n° 107309, Rec. p. 918 ; CE, ord., 11 juin 2012, n° 360024…).
  • avec un nouveau critère, qui est celui de possibles simplifications, limitées, si cela est nécessaire pour l’intelligibilité du dispositif retenu (CE, ord. 6 septembre 2020, n°443750 (Bas-Rhin) et n°443751 (Lyon, Villeurbanne).

Autrement posé, l’arrêté est-il mesuré en termes : de durée, de zonages et d’ampleur, en raison des troubles à l’Ordre public, à la sécurité ou la salubrité publiques, supposés ou réels qu’il s’agit d’obvier .

 

Et la mendicité n’étant plus une infraction depuis 1994, et l’occupation du domaine public étant par principe libre, un arrêté anti-mendicité est illégal, sauf à être limité dans le temps, la portée et l’espace (par exemple interdiction de la mendicité dans certaines rues aux trottoirs étroits les jours de marché si les passants en viennent à aller sur la chaussée, ou autre).

Voir à ces sujets l’article d’une de nos stagiaires :

Source : Vinson Tan ( 楊 祖 武 ) sur Pixabay

 

I.B. Un mode d’emploi simple : il faut faire compliqué (et  limité)

 

L’application de ceci aux arrêtés municipaux relatifs aux questions de mendicité et/ou de présence statique, sur les trottoirs, de groupes humains, avec ou sans chiens, ne cesse donc de donner lieu à des applications délicatesAvec, pour le maire, un mode d’emploi simple : il faut faire compliqué.

Interdire de manière générale et absolue les regroupement ou la mendicité sera toujours illégal.

Réglementer ces situations sur les trottoirs étroits (pouvant poser des difficultés pour les personnes en situation de handicap, les personnes avec des poussettes pour leurs courses ou leurs enfants…), prendre en compte les jours d’école, les lieux de petite enfance, les jours de marché.. sont les seules solutions défendables pour les maires qui voudraient s’engager dans cette voie qui nécessite délicatesse et savoir-faire. 

En pratique, les arrêtés adoptés ici ou là s’avèrent fort contrastés en termes de mesure, de calibrage au cas par cas :

 

I.C. Explication en vidéo

 

Voir une vidéo (5 mn 12) concoctés par nos soins en 2021 à ce sujet (avec indication des très nombreuses jurisprudences antérieures, y compris celles admettant des « arrêtés anti-mendicité » mais dans des cadres très rigoureux dans le sens de la défense des libertés d’aller et de venir, voire de stationner sur le trottoir). Cette vidéo n’est donc pas récente, mais le mode d’emploi que j’y brosse reste totalement à jour en droit :

 

https://youtu.be/_1Hf2YnCBgw

 

Voir aussi :

 

Aussi le juge administratif a-t-il souvent eu à trier entre arrêtés excessifs ou non. Voici quelques affaires, par exemple (II).

 

 

II. Illustrations jurisprudentielles

 

II.A. Besançon, et l’absence de liberté fondamentale fondant un droit de mendier (et proportionnalité des mesures adoptées en l’espèce)

 

Par une ordonnance du 28 août 2018 (M. Guardado, req. 1801454 ; confirmée ensuite au Conseil d’Etat sur d’autres motifs), le juge des référés du tribunal administratif de Besançon avait ainsi :

  • d’une part considéré, sur le fondement du principe constitutionnel de fraternité que la liberté d’autrui est une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administratif. Il tire en cela les conséquences de la décision n° 2018-707/718 QPC du 6 juillet 2018, M. Céric H., par laquelle le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle au « principe de fraternité » d’où découle « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ».
    En revanche, et fort logiquement, il a refusé, sur la base de ce même principe de reconnaître, ainsi que le lui demandait le requérant, au nombre des libertés fondamentales le droit de mendier.
  • d’autre part, validé l’arrêté du maire de Besançon interdisant la mendicité, dans quelques rues et places du centre historique, en raison du caractère proportionné des mesures adoptées.

NB : ensuite, pour le non-lieu à statuer sur cette affaire devant le Conseil d’Etat, voir CE, 6 sept. 2018, n° 423725. 

 

II.B. Illustration bayonnaise, avec un tri par mesure

 

En voici une nouvelle illustration, bayonnaise cette fois.

A la suite de plaintes de commerçants et de riverains, au sujet des troubles causés par les effets de la mendicité dans la ville, le maire de la commune a limité l’occupation de certaines rues, places et autres dépendances du domaine public communal, et interdit les regroupements de chiens, sur un périmètre plus étendu. Il a également interdit l’entreposage et l’installation de matériel, les activités de nature personnelle et interdit la diffusion, sans autorisation préalable, de musique.

Par une ordonnance rendue le 22 décembre 2020, le juge des référés a rejeté partiellement les conclusions de la requête, s’agissant des restrictions d’occupation et des interdictions de regroupement de chiens posées par les articles 1 et 2 de l’arrêté. Il a, en effet, estimé que celles-ci sont justifiées par des troubles à l’ordre public, qui génèrent un sentiment d’insécurité parmi les passants et les riverains.

En revanche, il a considéré que les interdictions posées par l’article 3 de l’arrêté, relatives à l’entreposage et l’installation de matériel, aux activités personnelles et à la diffusion de musique, lesquelles ne sont assorties d’aucune amplitude horaire, présentent un caractère général et absolu, alors au demeurant que les atteintes éventuelles à l’ordre public ne sont pas établies.

Il a donc suspendu l’exécution de l’article 3 de l’arrêté du maire de Bayonne, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cet arrêté.

TA Pau, ord., 22 décembre 2020, n° 2002367 :

 

Crédits photographiques : sinzicraciun0 (Pixabay)

 

II.C. Non sans quelques difficultés pour les procédures contentieuses à avoir un effet pratique, parfois, comme le démontre cet exemple tourangeot

 

Un arrêt rendu par la CAA de Nantes en 2017 illustrait bien la question de la portée et des limites du contrôle du juge administratif en matière de pouvoirs de police administrative.

A priori, cet arrêt était classique et il confirmait :

  • que la requérante, la Ligue des droits de l’homme (LDH), association de niveau national, est recevable à agir en de tels domaines contre des actes à portée locale dès lors que cette « décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales ».
    Sur ce point, rien de neuf (voir par exemple pour le même requérant : CE, 4 novembre 2015, n° 375178).
  • qu’en matière de police administrative, les mesures prises doivent être limitées dans le temps, la portée et l’espace afin de répondre de manière proportionnée au danger qu’il s’agit d’obvier. Et la mendicité n’étant plus une infraction depuis 1994, et l’occupation du domaine public étant par principe libre, un arrêté anti-mendicité est illégal, sauf à être limité dans le temps, la portée et l’espace (par exemple interdiction de la mendicité dans certaines rues aux trottoirs étroits les jours de marché si les passants en viennent à aller sur la chaussée, ou autre).

 

Alors quoi de neuf ? Rien justement. sauf que ces annulations à répétition, mais après coup, ne sont pas de vraies sanctions.

La CAA de Nantes avait annulé cet arrêté du maire de Tours par cet arrêt n°15NT03551 en date du 7 juin 2017  :

 

Or la CAA de Nantes avait déjà annulé un même arrêté, du même maire, de même teneur, un an auparavant. Voici l’arrêt en ce sens de la même CAA de Nantes n°14NT01724, du 31 mai 2016 :

 

Et le TA d’Orléans avait refusé la suspension de ce nouvel arrêté, à chaque fois.

Et cela ne peut surprendre le praticien du contentieux, l’appréciation de l’urgence en référé suspension étant très variable d’un dossier à l ‘autre (même si souvent l’urgence est reconnue)  et le recours du référé liberté en ce domaine pouvant parfois rester incertain.

 

II.D. Illustration messine

 

Par un arrêté du 15 décembre 2020, le maire de Metz a interdit la mendicité dans certains secteurs de la commune. Saisi par la Ligue des droits de l’Homme et la Fondation Abbé Pierre, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a ordonné la suspension provisoire de l’arrêté.

Par un arrêté du 15 décembre 2020, le maire de Metz a interdit du lundi au samedi entre 9 heures et 19 heures la mendicité dans plusieurs secteurs de la commune.
La Ligue des droits de l’Homme et la Fondation Abbé Pierre ont demandé au tribunal administratif de suspendre cet arrêté dans le cadre d’un référé suspension.
Le référé suspension est une procédure qui permet à un justiciable d’obtenir dans un bref délai la suspension d’un acte administratif, en attendant que le juge se prononce définitivement sur sa légalité, lorsque deux conditions sont réunies simultanément : il faut qu’il y ait une situation d’urgence justifiant la suspension et qu’il y ait un doute sérieux sur la légalité de la décision administrative contestée.

Par une ordonnance du 02 février 2021, le juge des référés a ordonné la suspension de l’arrêté du 15 décembre 2020. Il estime notamment qu’il existe un doute sérieux sur la proportionnalité des atteintes portées par l’arrêté du 15 décembre 2020 à la liberté d’aller et venir.

 

 

II.E. Une censure devant le TA de Montreuil

 

… que voici et qui illustre plus le cas général de telles censures :

 

 

II.F. La décision « Saint-Etienne », rendue par le Conseil d’Etat, véritable mètre-étalon en cette matière

Le maire de Saint-Etienne, faisant usage de ses pouvoirs de police, a pris en 2015 un arrêté  » portant code de la tranquillité publique « . Pendant trois mois, le maire interdisait largement des regroupements d’hommes et/ou de chiens, sur un large secteur géographique, et notamment :

« la station assise ou allongée lorsqu’elle constitue une entrave à la circulation des piétons ou une utilisation des équipements collectifs de nature à empêcher ou troubler un usage partagé, le regroupement de plus de deux chiens effectuant une ou plusieurs stations couchées sur la voie publique, les regroupements de plus de trois personnes sur la voie publique occasionnant une gêne immédiate aux usagers par la diffusion de musique audible par les passants ou par l’émission d’éclats de voix »

« la consommation de boissons alcoolisées »

« la fouille des poubelles aux fins de chiffonnage et de récupération des déchets. »

Saisi par l’association Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, le TA, puis la CAA n’y ont rien vu à redire.

Tel ne fut pas le cas du Conseil d’Etat, qui a censuré cet arrêté.

 

La Haute Assemblée a estimé qu’était contraire à la liberté d’aller et de venir un arrêté municipal prohibant comme étant de nature à porter par soi-même atteinte à l’ordre public le seul fait de laisser plus de deux chiens stationner, même temporairement, sur la voie publique, ainsi que, de manière générale, le fait pour un groupe de plus de trois personnes d’émettre des bruits de conversation et de musique « audibles par les passants », sans en préciser la durée ni l’intensité.

Le Conseil d’Etat précise que les mesures ainsi édictées pour une durée de trois mois, sans aucune limitation de plage horaire et tous les jours de la semaine, dans un vaste périmètre géographique correspondant à l’ensemble du centre-ville de la commune, doivent être regardées, alors même que la commune invoque une augmentation de la délinquance et des incivilités dans son centre-ville, comme portant, du fait du caractère général et absolu des interdictions ainsi édictées, une atteinte à la liberté personnelle, en particulier à la liberté d’aller et venir, qui est disproportionnée au regard de l’objectif de sauvegarde de l’ordre public poursuivi.

 

Voici cette décision :

 

II.G. Exemple niçois de censure ciselée

 

La juge des référés du TA de Nice a en effet suspendu partiellement un arrêté portant réglementation de la mendicité sur les secteurs touristiques et à fortes fréquentations d’une grande ville touristique et sur le domaine public maritime concédé de celle-ci.

L’urgence était encore constitué, au sens du référé suspension, puisque l’arrêté était encore applicable.

Restait l’examen du doute sérieux sur la légalité, autre condition cumulative du référé suspension.

L’arrêté est ainsi résumé par l’ordonnance du TA et, tel qu’ainsi décrit, il semble d’un niveau de détail et de complexité de nature à en sécuriser le contenu :

« 7. Par arrêté en date du 13 juin 2022, le maire de la commune de XXX a interdit, pour chaque jour de la période comprise entre la publication dudit arrêté et le 30 septembre 2022 inclus, de 9 heures à 14 heures et de 16 heures à 19 heures, en l’article premier dudit arrêté, d’une part, la mendicité sur les secteurs touristiques et à forte fréquentation de la ville de XXX ainsi que sur le domaine public maritime concédé, lorsqu’elle trouble la tranquillité et la sûreté des personnes, entrave leur passage ou gêne la commodité de la circulation notamment aux abords des caisses de parkings, qu’ils soient en ouvrage ou en surface, ou aux abords des distributeurs automatiques de billets, au niveau des stations de tramways et de leurs abords et, d’autre part, la mendicité lorsqu’elle entrave le passage des personnes ou gêne la commodité de la circulation aux abords des commerces de proximité, notamment les supérettes inclus dans un périmètre compris entre l’avenue Désambrois, le boulevard Rimbaldi, l’avenue Thiers, l’avenue Georges Clémenceau (partie comprise entre l’avenue Thiers et la rue Alphonse Karr), la rue Alphonse Karr, la rue de la Liberté et rue Hôtel des Postes jusqu’au boulevard Carabacel dans son prolongement de l’avenue Désambrois, décrit sur le plan annexé, et sur le boulevard Gambetta dans sa totalité. Le maire de la ville de XXX a également interdit, pour les mêmes périodes et tranches horaires, en l’article 2 de l’arrêté susmentionné, la mendicité, lorsqu’elle occasionne une gêne pour la circulation routière et constitue un danger pour la sécurité routière aux abords des carrefours situés aux principales entrées et sorties de la ville, permettant d’accéder aux secteurs touristiques et à forte fréquentation de la ville de Nice ainsi que sur le domaine public maritime concédé, interdiction concernant les abords des secteurs ci-après tel que figuré sur le plan annexé : entre l’avenue Giscard d’Estaing et le boulevard du Mercantour, aux abords de l’autopont du Centre administratif départemental des Alpes-Maritimes, le carrefour du boulevard du Mercantour avec le chemin des arboras, accès de la voie Mathis (notamment sortie Grinda), avenue Edouard Grinda. Le maire de la ville de XXX a également interdit, pour les mêmes périodes et tranches horaires, en l’article 3 de l’arrêté susmentionné, la mendicité sur les secteurs touristiques et à forte fréquentation de la ville de Nice ainsi que sur le domaine public maritime concédé, lorsqu’elle implique des canidés non tenus en laisse ou non muselés. Le maire de la ville de XXX a également interdit, pour les mêmes périodes et tranches horaires, en l’article 4 de l’arrêté susmentionné, la mendicité agressive ou pratiquée en groupe, lorsqu’elle trouble la tranquillité et la sûreté des personnes, entrave leur passage aux entrées et sorties des lieux publics ou gêne la commodité de la circulation des personnes notamment aux abords des édifices religieux, des places et voies publiques, sur une partie du territoire de la ville de XXX ci-après définie : les places et parvis Garibaldi, Rossetti, Magenta, Général de Gaulle, Ile de beauté, Masséna, gare Sncf Nice Thiers ; la place et le parvis de la gare du Sud de l’avenue Malausséna dans sa partie située entre la place de Gaulle et la rue Thivin – l’allée Seguin – la rue Binet dans sa partie entre les rues Seguin et Pasqua – place de la gare du Sud ; les parvis des édifices religieux (cathédrale Sainte-Réparate) ; le quai Rauba Capeu, le quai des Etats-Unis, la Promenade des Anglais (dans la partie comprise entre l’avenue Max Gallo et la rue du Congrès), le vieux XXX dans sa partie située entre la place Garibaldi, la rue des ponchettes, la rue Bosio et le Boulevard Jean Jaurès ; le secteur du carré d’Or partie comprise par les rues de la Liberté, Buffa (portion comprise entre la rue du Congrès et la rue de la Liberté ), la rue du Congrès (portion entre la rue Buffa et la rue de France), la rue de France (portion entre la rue du Congrès et l’avenue de Suède), l’avenue de Suède et l’avenue de Verdun (portion entre la rue de Suède et la Place Masséna) ainsi que le jardin Alziari de Malaussène et ses abords directs ; le boulevard du Mercantour sous et aux abords directs de l’autopont situé au niveau de l’intersection avec la digue des Français ainsi que le carrefour du boulevard du Mercantour avec le chemin des arboras, tel que figurant sur le plan annexé. Un plan global de situation ainsi que des plans détaillés sont annexés à l’arrêté en litige afin de délimiter le périmètre concerné par l’interdiction. »

On le voit, les juristes qui s’étaient attelés à cette tâche semblent avoir pris soin de bien respecter les règles imposant une étroite proportionnalité entre risques, libertés et interdictions imposées par la jurisprudence assez constante du Conseil d’Etat.

De fait, de tout ceci, seul l’article 3 a entraîné les foudres du juge des référés. Qu’à eu à reprocher à cette disposition ce Zeus vengeur de nos libertés, censeur des pouvoirs de police des maires ?

D’avoir été pour cette partie là trop étendu, trop peu conditionné à des conditions particulières de dangerosité ou de difficultés. Hélas, le traditionnel laconisme (normal pour un Dieu grec me direz vous) du juge administratif nous conduit cependant à ne pas savoir précisément ce qui en l’espèce a fauté pour ce maire :

« 8. Le moyen tiré de ce que l’article 3 dudit arrêté, dès lors qu’il ne conditionne pas l’interdiction qu’il comporte, pour chaque jour de la période comprise entre la publication dudit arrêté et le 30 septembre 2022 inclus, de 9 heures à 14 heures et de 16 heures à 19 heures, sur les secteurs touristiques et à forte fréquentation de la ville de Nice ainsi que sur le domaine public maritime concédé, de la mendicité lorsqu’elle implique des canidés non tenus en laisse ou non muselés, à des atteintes à la tranquillité, à la sécurité ou à la sûreté publique, porte à la liberté d’aller et venir une atteinte disproportionnée par rapport au but poursuivi est, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.»

 

 

Voir sur le site dudit TA : Voir ici le commentaire fait par ledit TA sur son propre site, ainsi qu’un accès à cette même ordonnance

 

II.H. Ces mesures ne sont pas à confondre avec celles relatives au chiffonnage, mais qui sont de plus en plus utilisées pour les mêmes populations

 

Le maire d’une commune peut interdire le chiffonnage des poubelles comme il l’a été jugé

 

Voici, avec l’autorisation de LEXBASE, un commentaire d’arrêt en PDF à ce sujet (MAIS SANS LES GRAPHIQUES) :

Pour une version avec graphiques, voir :

 

Le sujet est différent, mais les populations sont les mêmes et ces mesures tendent à être de plus en plus combinées.

 

Source photo : Shane Rounce (Unsplash.com)

 

II.i. Le cas angoumois (avec une censure en référé suspension) de toute station assise ou allongée entravant la circulation

 

Par un arrêté du 11 juillet 2023, le maire d’Angoulême a interdit dans cinq secteurs du territoire communal, d’une part, toute occupation abusive et prolongée des espaces publics de nature à porter atteinte à la tranquillité publique et au bon ordre public, et d’autre part, « la station assise ou allongée lorsqu’elle constitue une entrave à la circulation des piétons et à l’accès aux immeubles riverains des voies publiques, ainsi que la station debout lorsqu’elle entrave manifestement la circulation des personnes, la commodité de passage, la sureté des voies et espaces publics ». Ces interdictions sont applicables tout au long de l’année de 10 heures à 21 heures en automne et en hiver et jusqu’à 2 heures du matin au printemps et en été.

La Ligue des droits de l’homme, au soutien de laquelle sont intervenues notamment la Fondation Abbé-Pierre et la Fédération nationale Droit au logement, a demandé au juge des référés de suspendre l’exécution de cet arrêté.

Pour justifier au cas d’espèce les restrictions apportées par son arrêté à la liberté d’aller et venir et à la liberté de réunion, le maire d’Angoulême a fait valoir que des groupes d’individus, immobiles ou peu mobiles, accompagnés ou non d’animaux, présentent un comportement générateur de nuisances, que ces nuisances font l’objet de nombreuses plaintes et pétitions de riverains et commerçants auprès de la mairie ou de la police municipale et que cette dernière constate quotidiennement leur réalité par des mains courantes.

La juge des référés a estimé d’une part, qu’il ressortait des pièces du dossier, et en particulier du contenu des nombreuses mains courantes produites, que les troubles à la tranquillité et au bon ordre publics étaient établis dans trois des secteurs, dont le centre-ville, mais qu’en revanche, ces mêmes troubles ne l’étaient pas dans les deux autres secteurs, dont celui de la gare SNCF, et que, par suite, dans ces deux secteurs, les mesures édictées n’étaient pas nécessaires.

La juge des référés a estimé d’autre part, que l’interdiction visant « la station assise ou allongée lorsqu’elle constitue une entrave à la circulation des piétons et à l’accès aux immeubles riverains des voies publiques, ainsi que la station debout lorsqu’elle entrave manifestement la circulation des personnes, la commodité de passage, la sureté dans les voies et espaces publics » présentait un caractère trop général et insuffisamment précis et, par suite, portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir et à la liberté de réunion au regard de l’objectif de sauvegarde de l’ordre public poursuivi.

Eu égard à la situation d’urgence créée par la limitation substantielle et durable à la liberté d’utiliser et d’occuper l’espace public apportée par l’arrêté contesté, la juge des référé en a suspendu partiellement l’exécution dans l’attente de la décision qui sera rendue au fond, limitant ainsi provisoirement son champ d’application comme sa portée.

Source :

 

II.J. Amiens : nouvelle censure en référé, aux motivations singulièrement concises

 

Par un arrêté du 25 avril 2024, la maire d’Amiens a interdit la mendicité dans plusieurs rues et places du centre-ville du mardi au samedi entre 8h et 20h, pour la période du 1er mai au 31 août 2024.

La Ligue des droits de l’homme, l’association Maraudes citoyennes amiénoises et l’association Solam-solidarité amiénoise ont saisi le tribunal administratif d’Amiens en référé afin d’obtenir la suspension de cet arrêté. L’association Barreau des rues est également intervenue en soutien des associations requérantes.

 

Pour prendre l’arrêté contesté, la maire d’Amiens avait relevé que la mendicité de manière continue et statique aux abords des commerces était de nature à causer des troubles à l’ordre public, occasionnant des plaintes régulières de la part des commerces et l’intervention de la police.

L’urgence étant constituée selon le juge, restait (en référé suspension), pour les requérants, à démontrer le douteux sérieux quant à la légalité de cet arrêté.

Ceux-ci contestaient la matérialité des faits sur lesquels reposait l’arrêté de la maire d’Amiens et soutenaient que l’interdiction de la mendicité n’était ni nécessaire ni proportionnée à l’objectif de maintien de l’ordre.

Le juge des référés a fait droit à cette argumentation d’une manière singulièrement concise :

« 10. En l’état de l’instruction, compte tenu des éléments produits à l’instance de référé, les moyens tirés de ce que l’arrêté contesté est fondé sur des faits de troubles à l’ordre public liés à l’exercice de la mendicité qui ne sont pas matériellement établis, et de ce que cet arrêté n’est ni nécessaire ni proportionné aux atteintes portées à la liberté d’aller et venir et à celle d’utiliser le domaine public, sont de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.»

Cette ordonnance peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat, mais le contrôle en cassation sur les éléments de fait en cause étant limité,

 

Source :

TA Amiens, juge des référés, 16 mai 2024, Ligue des Droits de l’Homme, n° 2401685, 16052024