L’article 1er de la loi du 6 fructidor de l’an II dispose qu’aucun citoyen ne peut porter un autre nom ou prénom que ceux exprimés sur son acte de naissance. L’article 2 de la même loi interdit d’ajouter un surnom à son nom propre et l’article 4 défend aux fonctionnaires publics de désigner les citoyens dans les actes autrement que par le nom de famille, les prénoms portés en l’acte de naissance.
Une exception, qui ne fait à ce jour l’objet d’aucun texte, à ces interdictions est néanmoins apparue pour les pseudonymes utilisés par les personnes exerçant une activité particulière, notamment en matière littéraire ou artistique et cherchant à dissimuler leur véritable identité.
C’est la 1ère chambre civile de la Cour de cassation qui, dans une décision du 23 février 1965, a consacré cette exception qui a été reprise dans une circulaire du ministre de l’intérieur du 10 janvier 2000 relative à l’établissement et à la délivrance des cartes nationales d’identité. La circulaire précise que ce n’est que lorsque sa notoriété est confirmée par un usage constant et ininterrompu que le pseudonyme peut être mentionné sur la carte d’identité ou le passeport.
Saisi par un particulier qui souhaitait porter sur sa carte d’identité le pseudonyme de sa mère qui exerce une profession artistique, le TA de Paris a rappelé que ce dernier ne disposait d’aucun droit à obtenir le bénéfice de cette mention. S’agissant d’une mesure prise par le préfet à titre purement gracieux le tribunal n’exerce sur la décision de refus qui lui est opposée qu’un contrôle restreint.
En l’espèce le tribunal a relevé pour rejeter la requête que le demandeur n’exerçait pas de profession particulière qui pouvait justifier la dissimulation de l’identité et le recours à un nom de scène et que le préfet n’a pas entaché sa décision de refus d’illégalité.
Le juge administratif valide ainsi la position de l’administration qui consiste à limiter l’usage des pseudonymes sur les documents officiels aux seuls cas où cette demande est justifiée par l’appartenance à une activité professionnelle justifiant le recours à un pseudonyme… confirmant la traditionnelle rigidité française sur ce point, là où d’autres Etats, nombreux, ont pour politique de laisser aux gens l’identité qu’ils veulent avoir dès lors que c’est à titre complémentaire..
NB : ce post reprend les éléments de la lettre de ce TA.
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26-01-04 C
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2016, M. D… P… S…, représenté par Me Boyer Helon, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision du 2 novembre 2015 par laquelle le préfet de police de Paris a refusé de retranscrire son pseudonyme sur sa carte nationale d’identité ensemble la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique adressé le 18 mars 2016 ;
2°) d’enjoindre au préfet de police de porter au recto de sa carte nationale d’identité son pseudonyme.
M. S… soutient que :
– la décision attaquée est entachée d’incompétence ;
– le ministre n’a pas accusé réception de sa demande en précisant le service et lapersonne chargés du traitement de sa demande, et ce en méconnaissance de l’article 5 du décret 85-1025 du 28 novembre 1983, de l’article 19 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et du décret 2001-492 du 6 juin 2001 ;
– la circulaire du 19 janvier 2000 du ministre de l’intérieur relative à la délivrance et au renouvellement de la carte nationale d’identité n’interdit pas que le pseudonyme soit porté sur le titre d’identité ;
– la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation car il a apporté devant le préfet de police la preuve de la notoriété de son pseudonyme confirmée par un usage constant et ininterrompu.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 août 2016, le préfet de police conclut au rejet de la requête en faisant valoir que :
– l’arrêté attaqué a été pris par une autorité compétente pour le faire ;
– la circonstance que les services du ministre de l’intérieur n’aient pas accusé réception de son recours hiérarchique est sans incidence sur la légalité de la décision du préfet de police du 2 novembre 2015 ; en tout état de cause la circulaire du ministre de l’intérieur en date du 28 juillet 2003 relative à l’application des dispositions de la loi DCRA du 12 avril 2000 n’imposent pas de délivrer un tel accusé dans le cas d’une demande de délivrance de carte nationale d’identité ;
– en application des dispositions de l’article 1er de la loi du 6 Fructidor de l’an II et de la circulaire du 19 janvier 2000 du ministre de l’intérieur portant instruction générale en matière de délivrance et de renouvellement de carte d’identité aucune disposition légale ou réglementaire n’encadre la possibilité de faire reproduire un pseudonyme sur un document d’identité, ce qui confère à l’autorité administrative le pouvoir d’appréciation le plus large ; en l’espèce, si M. S… justifie bien de l’ancienneté et de la continuité de l’usage de son pseudonyme il n’est pas en mesure d’apporter la preuve que cette mesure serait justifiée par une activité nécessitant son usage, notamment une activité artistique ou littéraire ;
– enfin le pseudonyme revendiqué par le requérant ne lui est pas strictement personnel puisqu’il est celui de sa mère.
Vu :
– lecodecivil,
– laloidu6fructidoranII,
– le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d’identitémodifié,
– la circulaire n° INTD0000001C du 10 janvier 2000 du ministre de l’intérieur relative àla délivrance et au renouvellement de la carte nationale d’identité instituée par le décret n° 55- 1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d’identité modifié,
– lecodedejusticeadministrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience.Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 11 mai 2017 : – le rapport de M. Bretéché,
– et les conclusions de Mme Salzmann, rapporteur public,
– les parties n’étant ni présentes ni représentées.Sur les conclusions à fin d’annulation :
1. Considérant, en premier lieu, que, par arrêté du 21 octobre 2015, régulièrement publié au bulletin municipal officiel de la ville de Paris le 30 octobre 2015, le préfet de police a donné à M. Julien Borne-Santoni, adjoint au chef du 2ème bureau de la sous-direction de la citoyenneté et des libertés publiques de la préfecture de police de Paris, délégation à effet de signer, notamment, les décisions relatives à la délivrance des cartes nationales d’identité ; qu’il suit de là que le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué aurait été pris par une autorité incompétente manque en fait et doit être écarté ;
2. Considérant, en deuxième lieu, qu’à la supposer établie, la circonstance que le ministre de l’intérieur – qui au surplus n’était pas saisi d’un recours administratif préalable obligatoire – n’a pas accusé réception du recours hiérarchique que M. S… a déposé devant lui, est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; que ce moyen, inopérant, doit donc être écarté comme tel ;
3. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II : « Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance : ceux qui les auraient quittés seront tenus de les reprendre » ; qu’aux termes de l’article 2 de la même loi : « Il est également défendu d’ajouter aucun surnom à son nom propre, à moins qu’il n’ait servi jusqu’ici à distinguer les membres d’une même famille, sans rappeler des qualifications féodales ou nobiliaires. » ; qu’aux termes de l’article 4 de la même loi : « Il est expressément défendu à tous fonctionnaires publics de désigner les citoyens dans les actes autrement que par le nom de famille, les prénoms portés en l’acte de naissance (…), ni d’en exprimer d’autres dans les expéditions et extraits qu’ils délivreront à l’avenir. » et qu’aux termes de l’article 1 du décret n°55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d’identité modifié : « (…) La carte nationale d’identité mentionne : 1° Le nom de famille, les prénoms, la date et le lieu de naissance, le sexe, la taille, la nationalité, le domicile ou la résidence de l’intéressé ou, le cas échéant, sa commune de rattachement, et, si celui-ci le demande, le nom dont l’usage est autorisé par la loi ; 2° L’autorité de délivrance du document, la date de celle-ci, sa durée de validité avec indication de sa limite de validité, le nom et la signature de l’autorité qui a délivré la carte ; 3° Le numéro de la carte. Elle comporte également la photographie et la signature du titulaire. » ;
4. Considérant qu’il ne résulte ni des dispositions précitées ni d’aucune disposition législative ou réglementaire applicables que M. S… disposerait d’un droit à ce que soit mentionné sur sa carte nationale d’identité, à côté de son nom d’état civil, un pseudonyme ; que le préfet de police dispose toutefois en la matière de la faculté d’accéder, à titre purement gracieux, à une telle demande ; que, pour refuser à M. S… la demande qui lui avait été présentée, le préfet de police s’est appuyé sur la circulaire susvisée du ministre de l’intérieur du 10 janvier 2000 relative à l’établissement et à la délivrance des cartes nationales d’identité ; que cette circulaire, reprenant les termes de la décision de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 23 février 1965, définit le pseudonyme comme « un nom de fantaisie librement choisi pour masquer son identité quand la personne veut masquer sa véritable identité dans l’exercice d’une activité particulière, notamment en matière littéraire ou artistique » , précise que ce n’est que dans le cas où le demandeur justifie exercer une telle profession que le recours à un pseudonyme est justifié et qu’il « peut être porté sur la carte nationale d’identité si sa notoriété est confirmée par un usage constant et ininterrompu » ; qu’en l’espèce M. S… souhaite voir porter sur sa carte nationale d’identité le pseudonyme de sa mère, qui exerce une profession artistique, sous lequel il est connu dans ses acticités de la vie courante depuis sa naissance ; que, toutefois, il ne justifie ni même n’allègue exercer une telle profession ou activité ; que le préfet de police n’a commis ni erreur de droit en faisant usage de ces critères ni erreur manifeste d’appréciation en les appliquant à la situation de M. S…; qu’enfin, si le requérant fait état des difficultés qu’il rencontrerait dans le cadre de démarches administratives celles-ci résultent de son choix délibéré d’employer son seul pseudonyme sans mentionner son état civil officiel et sont sans lien avec la décision litigieuse ;
5. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. S… n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du 2 novembre 2015 par laquelle le préfet de police de Paris a refusé de retranscrire son pseudonyme sur sa carte nationale d’identité ensemble la
décision implicite de rejet de son recours hiérarchique adressé le 18 mars 2016 ; que les conclusions présentées en ce sens ne peuvent dès lors qu’être rejetées ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
6. Considérant que le présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d’annulation, n’implique aucune mesure d’injonction ; que les conclusions présentées à cette fin doivent, dès lors, être rejetées ;
DECIDE:
Article 1er : La requête de M. D… P… S… est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. D… P… S… et au préfet de police.
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