Destruction d’espèces protégées ou de leur habitat : les conditions fixées par le code de l’environnement sont bien cumulatives (mais qui en doutait ?)

En matière d’espèces protégées, le principe est celui de l’interdiction de toute destruction desdites espèces ou de leur habitat (art. L.411-1 du code de l’environnement), sous réserve des dérogations à ce principe (art. L. 411-2 de ce même code).

Schématiquement, une telle dérogation suppose que soient réunies trois conditions (cumulatives, donc) :

  1. il n’y a pas de solution alternative satisfaisante
  2. il n’en résulte pas une nuisance « maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle »
  3. le projet conduisant à cette destruction sert lui-même un des motifs limitativement énumérés par la loi, à savoir (conditions alternatives, cette fois) :
    • protéger la faune et de la flore sauvages et la conservation des habitats naturels ;
    • prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ; 
    • s’inscrire dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;
    • agir à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ;
    • permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié de certains spécimens.

 

 

 

Dans ce cadre, des décisions intéressantes avaient été rendues, notamment au premier degré de juridiction. Citons par exemple :

  • Le TA de Montpellier avait ainsi validé les arrêtés déclarant d’intérêt général et autorisant la réalisation de travaux de protection du littoral de Vias Ouest et dérogeant aux interdictions relatives aux espèces de flore et de faune sauvage protégées. TA Montpellier, 31 mai 2016, Association de défense environnementale et des intérêts des habitants de Vias et a., n°s 1400486, 1500823 (2 esp.). Voir ici :
  • ce même TA de Montpellier avait eu à connaître d’un recours formé contre le projet de réalisation d’un four solaire thermodynamique expérimental dans une commune des Pyrénées-Orientales. L’acte querellé était une décision portant autorisation unique au titre de la loi sur l’eau et dérogation à l’interdiction d’atteinte aux espèces protégées. La question se posait de savoir quelles mesures, quelles réflexions ou scénarios complexes il fallait avoir échafaudé pour démontrer que, non, d’où que l’on regarde, la moins mauvaise solution était de demander une dérogation au principe d’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées.Le tribunal a estimé que ces dispositions, compte tenu de leur rédaction, n’exigeaient pas que le bénéficiaire de la dérogation doive justifier des recherches qu’il a effectuées pour trouver une autre solution satisfaisante, ce qui n’allait pas nécessairement de soi…

    Voir d’ailleurs sol. contr. CAA Marseille, 12 juin 2015, Association de défense du terrain des Nouradons et autres, n° 14MA03066 ; CAA Bordeaux, 13 juillet 2017, SAS PCE et SNC F. T. O, n° 16BX01364).

    TA Montpellier, 28 novembre 2017, FEDERATION POUR LES ESPACES NATURELS ET L’ENVIRONNEMENT DES PYRENEES- ORIENTALES, n° 1601676 :

 

Dans ce cadre, le Conseil d’Etat vient de rendre l’arrêt que voici :

Conseil d’État, 6ème et 5ème chambres réunies, 25/05/2018, 413267

 

Dont il ressort, pour citer le futur résumé des tables, qu’il résulte de ce régime ( 1° et 2° du I de l’article L. 411-1 du code de l’environnement ainsi que du 4° du I de l’article L. 411-2 du même code) :

« qu’un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur »

 

On l’a vu ci-avant : l’intérêt public majeur n’est qu’une des hypothèses de dérogations prévues par la loi.

Que faire en présence d’un tel intérêt ? Comment l’apprécier ? S’agissant en l’espèce de la réalisation… d’un centre commercial.

Et le CE de poursuivre, et c’est là l’apport essentiel :

« En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle…»

 

Donc il y a bien une appréciation cumulative des conditions 1, 2 et 3 évoquées ci-avant. Cela ressortait nettement du texte, mais cela va mieux en le disant.

 

Et le CE de poursuivre de manière intéressante sur la fonction du juge en référé en ce domaine :

« Dans le cadre de son appréciation globale de l’urgence au vu de la situation d’espèce, le juge des référés peut, sans commettre d’erreur de droit, tenir compte, en complément des risques induits pour des espèces protégées et de l’imminence de la réalisation de travaux, de la circonstance que les sociétés bénéficiaires de l’arrêté en cause avaient fait l’objet d’une procédure de manquement et d’une mise en demeure du fait des conditions d’exécution d’une précédente dérogation prise en application des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement et que les mesures d’évitement, de réduction et de compensation prévues par la dérogation litigieuse pourraient également ne pas être respectées par les sociétés requérantes. »

N.B.: sur ce point, voir aussi CE, 3 octobre 2003, n° 256336, rec. T. p. 921.  

 

 

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