Les communes ont l’habitude des jumelages, des chartes amicales et autres mains tendues par delà des frontières dans un cadre juridique peu contraignant.
Mais il est des limites à ne pas franchir. Notamment, deux TA ont eu en quelques mois à traiter d’une question : une commune peut-elle, légalement, signer une « charte d’amitié », en réalité très politique, avec une commune du Haut-Karabagh, territoire dont on rappellera qu’il est disputé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ?
Rappelons le droit d’une manière générale en ce domaine (I) avant d’étudier les réponses données par le TA de Cergy-Pontoise en mai 2019 (II) et par le TA de Lyon en septembre 2019 (III).
I. Rappel général du droit entre neutralité et intérêt public local
Il est à rappeler qu’en droit la commune doit toujours conserver une certaine distance face aux conflits politiques internationaux ou face aux débats politiques qui ne peuvent se rattacher directement aux compétences communales. Le Conseil d’Etat a toujours censuré des actes (subventions ou actes symboliques) qui allaient trop loin en ce sens :
- pour le Nicaragua : CE, 23 octobre 1989, com. de Pierrefitte, com. de Saint-Ouen, com. de Romainville, rec. 209 ; DA 1989 n° 622 ;
- pour la guerre d’Espagne : CE, 16 juillet 1941, Syndicat de défense des contribuables de Goussainville, rec. p. 133
- pour une immixtion dans le débat sur l’école publique v/ l’école privée : CE, 6 mai 1996, Préfet des Pyrénées-Atlantiques, n° 165054).
- pour un soutien aux associations d’élus liées à un courant politique donné : CE, 21 juillet 1995, Commune de Saint-Germain-du-Puy, n° 157.503 ; CE, 21 juin 1995, Commune de Saint-Germain-du-Puy, n° 157.502 ;
- pour un soutien (illégal) à des grévistes quand en revanche le soutien aux familles, lui, est possible : CE, 11 octobre 1989, Commune de Gardanne et autres, rec. p. 188; CE, 12 octobre 1990, Cne de Champigny-sur-Marne, rec. tables p. 607…
- pour une illégalité de la nomination comme citoyen d’honneur d’une personne condamnée pour meurtres à la réclusion criminelle à perpétuité en Israël (CAA Versailles, 19/07/2016, 15VE02895 ; voir à ce sujet : Non la commune n’est pas totalement libre de choisir qui elle veut comme citoyen d’honneur).
- sur l’appel (illégal) au boycott d’un pays :
- CEDH, 16 juillet 2009, Willem c. France, n° 10883/05).
- Restauration scolaire : peut-on refuser de servir des produits des colonies dans territoires occupés en 1967 ?
- Pour un cas de dénomination, illégale, de rue, voir :
II. L’affaire jugée par le TA de Cergy Pontoise
Le préfet du Val-d’Oise a déféré au tribunal la charte d’amitié signée le 22 octobre 2018 par les maires d’Arnouville et de Cheker, ville située dans le Haut-Karabagh.
Par un jugement en date du 29 mai 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cette charte d’amitié.
Il a tout d’abord considéré que la juridiction administrative était compétente pour connaître de ce litige, dès lors que la charte d’amitié, qui avait pour objet le rapprochement entre une collectivité territoriale et une entité rattachée à un Etat non reconnu par le gouvernement français, constitue un acte administratif (c’est peu contestable sauf à inventer qu’une commune peut commettre un « acte de Gouvernement » 😁).
Puis, le tribunal a estimé que cette charte faisait partie des actes susceptibles d’être déférés par le préfet et qu’elle faisait grief compte tenu des engagements réciproques qu’elle comporte pour les signataires (jurisprudence constante là encore).
Enfin, concernant sa légalité, la charte d’amitié doit être regardée comme portant sur une affaire relative à la politique internationale de la France et à son intervention dans un conflit de portée internationale, compétence qui relève exclusivement de l’Etat, en vertu de l’article 52 de la Constitution.
Citons le TA :
« 8. La charte d’amitié précitée, qui a été signée par le maire d’Arnouville avec une entité rattachée à un Etat non reconnu par le gouvernement français, doit être regardée comme portant sur une affaire relevant de la politique internationale de la France et de son intervention dans un conflit de portée internationale, qui relève de la compétence exclusive de l’Etat. Par suite, elle excède les compétences du maire d’Arnouville qui n’a, au surplus, pas été autorisé à la signer par le conseil municipal alors qu’elle n’intervient, en tout état de cause, pas dans un domaine d’attributions qu’il exerce au nom de la commune en application des articles L. 2122-21 et suivants du code général des collectivités territoriales. La charte d’amitié déférée est donc entachée d’illégalité.
Le tribunal a donc, sans surprise, jugé qu’elle était, pour ce motif, entachée d’illégalité par le jugement que voici :
TA Cergy-Pontoise 29 mai 2019 1902445
III. Le nouveau jugement rendu ce jour par le TA de Lyon
Très logiquement, le TA de Lyon parvient à la même conclusion pour les même motifs juridiques, à quelques intéressants bémols près.
Le tribunal considère que ces chartes d’amitié, qui prévoient que soit recherché un développement des relations entre les deux villes signataires, constituent des actions de coopération. Elles ne peuvent donc qu’être conclues dans le respect des engagements internationaux de la France.
Les juges relèvent que la France, s’est engagée, dans le cadre du « groupe de Minsk », créé par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe le 23 mars 1995, à ne pas reconnaitre la République du Haut-Karabagh, dont le statut international n’est pas établi, en l’attente du règlement du conflit (point qui n’était pas abordé exactement de la même manière par le TA de Cergy-Pontoise).
Ils en déduisent que cet engagement impose une obligation de neutralité de la part des autorités françaises dans ce conflit et, qu’en conséquence, les maires des communes françaises ont signé ces chartes d’amitié en méconnaissance des engagements internationaux de la France.
Voir TA de Lyon, 19 septembre 2019, n° 1901999 et n° 1808761 (2 espèces différentes) :
1808761-1901999
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