Compétence tourisme et intercommunalité : que reste-t-il aux communes ?

La CAA de Lyon a rendu une décision intéressante sur les compétences touristiques qui doivent être considérées comme ayant été, ou non, intercommunalisées (II). La loi engagement et proximité vient d’inventer sur ce point précis  un nouvel OVNI juridique (III). Et, déjà, la loi NOTRe était lourde d’ambiguïtés rédactionnelles (I). Cela fait trois bonnes raisons pour décortiquer ce bazar juridique… 

 

 

I. Des ambiguïtés sur la compétence transférée qui remontent à la loi NOTRe et soulèvent encore des difficultés

 

Cette loi de 2015 imposait une intercommunalisation obligatoire de la compétence « promotion du tourisme » au premier janvier 2017 pour tous les EPCI (Etablissements publics de coopération intercommunale) à fiscalité propre. Les offices actuels pouvaient, si la communauté le souhaitait, être transformés en bureaux du tourisme.

Et divers cas de non intercommunalisation ont été prévus par cette loi, complétés ensuite par la loi Montagne II puis par la loi engagement et proximité (certains cas de stations classées existantes ou en devenir ou de marques territoriales protégées ; cette dernière notion n’étant pas très stabilisée en droit). Sur ce point, voir :

Voici notre résumé graphique à ce sujet :

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… avec en sus des complexités redoutables :

  • sur les taxes de séjour
  • sur la combinaison de cela avec les nouvelles règles de classement des stations

 

Mais revenons à la question de ce qu’était déjà, ab initio, la compétence transférée.

La loi du 7 août 2015, dite loi NOTRe, dans ses articles 63 et suivants, imposait qu’au premier janvier 2017, les EPCI à fiscalité propre allaient, tous, détenir la compétence obligatoire :

« promotion du tourisme, dont la création d’offices de tourisme ; »

Et la même loi imposait le transfert à la même date, à tous les EPCI à fiscalité propre de France le transfert de toutes les zones d’activité économique, dont les zones d’activités touristiques (art. L. 5214-16, L. 5216-5 du CGCT, etc., dans leur version en vigueur au 1er janvier 2017 par modification opérée par la loi NOTRe du 7 août 2015 ; voir aussi l’article L. 134-1 du Code du tourisme).

Ces formulations étaient claires sur un point : cela inclut la promotion du tourisme mais non les sites touristiques (hors zones d’activités touristiques).

Car s’applique alors le « principe de spécialité » en vertu duquel l’EPCI ne peut pas légalement agir en dehors de son domaine de compétences, lequel est par défaut interprété de manière restrictive par le juge administratif.

Sources : art. L. 5214-16 et L. 5216-5 du CGCT ; CE, 23 octobre 1985, Commune de Blaye-les-Mines, Rec. p.297 ; CE, 19 nov. 1975, Commune de Thaon-les-Vosges, p, 577 ; CE, 10 mai 1989, District de Reims c/ commune de Saint Brice Courcelles, RFDA 1990, p, 188, concl. B. Stirn ; CE, 13 décembre 1996, Commune de Chaux-la-Lotière, req. n° 157090 ; CAA Bordeaux  28 avril 2009, Communauté  d’agglomération BAB, 08BX0062 ; Sur la possibilité d’avoir des compétences au delà des minima légaux,voir CE, 22 novembre 2002, Cnes de Beaulieu-sur-Mer et de Saint-Jean-Cap-Ferrat, n° 244138 et 244140.

Si une communauté prend donc une compétence en matière de sites touristiques, comme tant d’autres, ce sera donc alors au titre d’une compétence dite « facultative » ou « supplémentaire » (par rapport aux compétences « obligatoires » du I de l’article L. 5214-16 du CGCT pour les communautés de communes et du I de l’article L. 5216-5 de ce même code pour les communautés d’agglomération, par exemple).

N’étaient donc pas intercommunalisées sauf choix volontaire (et ce en dépit de certaines analyses de la FNOT), les compétences suivantes :

  • fêtes, cérémonies,
  • foire et congrès,
  • gestion des sites,
  • la création et la commercialisation de produits touristiques (avec un débat juridique délicat dans ce dernier cas, les solutions retenues pouvant être sécurisées par des conventions).

SURTOUT, on notera que la définition du CGCT sur la promotion du tourisme est ambiguë car elle ne recoupe qu’une partie des compétences d’un office de tourisme au sens des dispositions du Code du tourisme.

En effet, la formulation de la loi est « « promotion du tourisme, dont la création d’offices de tourisme »… alors que ladite promotion du tourisme n’est qu’une des tâches dévolue aux offices !? Il suffit pour s’en convaincre de lire l’article L. 133-3 du Code du tourisme.

Avec parfois des acteurs de terrains se lançant sur de très incertaines distinctions entre la notion de promotion du tourisme et la notion de promotion touristique.

Raison de plus pour bien préciser les compétences dévolues dans les statuts de l’intercommunalité au delà de la compétence « promotion du tourisme » et de l’outil qu’est l’office de tourisme.

Ce qui, au minimum, se trouvait intercommunalisé de par cette loi de 2015, sauf dérogation légale, porte donc sur les tâches suivantes :

  • accueil/information,
  • coordination des socio-professionnels et des partenaires, observatoire,
  • communication, promotion, marque territoriale…
  • politique touristique de la collectivité.

Voir notamment l’article L. 134-2 du Code du tourisme.

Les offices pouvaient donc, si la communauté en décide ainsi (cela ne semblait pas s’appliquer en cas de métropole) transformer les offices communaux concernés en bureau d’information touristique (BIT ; qui sont des établissements secondaires au sens du droit privé, en droit du travail notamment… en pratique « commerciale », à chacun de trouver les formulations qui conviennent pour ces « bureaux »).

Il importe de rappeler que de toute manière un office peut toujours créer, ou supprimer, de tels BIT indépendamment de cette phase de transfert de compétences (plus précisément, la création de ces BIT relèvera de la communauté ou de l’office lui-même selon la forme juridique souhaitée ; voir l’article L. 133-3-1 du Code du tourisme) avec selon les structurations juridiques des offices, une grande variété in fine de montages à adapter sur mesure au cas par cas avec beaucoup de doigté juridique et diplomatique, en fonction des besoins du territoire. Parfois, des bureaux d’information ponctuels, « hors les murs », peuvent être des solutions adaptées (avec une présence limitée à certaines périodes, certains événements).

Il importait aussi de prendre en considération que les « zones d’activité touristiques » (ZAT) seront, toutes, intercommunalisées au premier janvier 2017 en application de la loi NOTRe du 7 août 2015 (voir les formulations des articles L. 5214-16 et L. 5216-5 du CGCT telles qu’elles seront en vigueur au premier janvier 2017). Sauf que nul ne sait ce qu’est une ZAT en tant que sous catégorie des zones d’activité économique (ZAE).

La Fédération nationale « Offices de tourisme de France » avait, sur ce point, une lecture fort ambitieuse de ce transfert mais rien n’est moins sûr.

Le droit n’est d’ailleurs toujours pas stabilisé à ce sujet. Voir directement ou par analogie :

 

Un conseil s’imposait donc et demeure opérationnel :

  • si une ZAT est à l’évidence à intercommunaliser, il importe de la transférer… quitte à rediscuter des modalités de gestion de cette zone via des conventions entre communes et communauté (art. L. 5214-16-1, L. 5216-7-1 et 5215-27 du CGCT)
  • si un doute subsiste :
    • et qu’on ne souhaite pas l’intercommunaliser, alors autant conclure une convention (idem : des articles L. 5214-16-1, L. 5216-7-1 et 5215-27 du CGCT) pour coordonner les actions de la commune et de la communauté, afin d’avoir une ligne de défense en cas de litige.
    • mais si on souhaite intercommunaliser cette ZAT, alors autant la mentionner dans les statuts quitte à risquer le ridicule d’un doublon, toujours moins nocif que celui d’une illégalité.

 

Ajoutons qu’il importait de délibérer en matière de biens afférents à ces ZAT.

Sources : Art. L. 5214-16 et L. 5216-5 du CGCT ; CE, 29 avril 2002, District de l’agglomération de Montpellier, BJCL, juillet-août 2002, p. 191 ; Ordonnance TA Toulouse, 18 mars 2003, Cne de Foix, n° 0300293 (annulée ensuite par le Conseil d’État, mais sur un autre sujet : celui de l’urgence à statuer en référé sur cette question).

Sources : CE, 18 décembre 2002, Communauté de communes du piémont d’Alaric et autres, BJCL 2003, p. 117 ; art. L. 5211-5, L. 5211-17, L. 5211-18, ainsi que L. 1321-1 et s. du CGCT. Voir par transposition CE, 26 octobre 2001, Cne de Berchères-Saint-Germain, n° 234332.

Dans ce cadre, il pouvait être tentant d’adopter des frontières floues. Mais le juge est sévère en pareil cas : tenter de se faciliter la tâche par l’adoption de compétences floues est considéré par les juridictions administratives comme illégal par principe.

Sources : CE, 7 janvier 2004, Syndicat intercommunal du Val de Sambre, n° 229042 ; TA Strasbourg, 9 mai 1990, Commune de Pange, Rec. T. p. 625.

 

N.B. : spécificités pour les communautés urbaines et les métropoles : L’article L. 134-1-1 du Code du tourisme disposait que dans les conditions prévues à l’article L. 134-5, les communautés urbaines, les métropoles et la métropole de Lyon pouvaient créer un ou plusieurs offices de tourisme sur tout ou partie de leur territoire. Les périmètres de compétence de chaque office de tourisme ne peuvent se superposer. Lorsqu’il est institué un office de tourisme unique compétent sur l’ensemble du territoire, celui-ci prend la dénomination de “ office de tourisme métropolitain ” ou de “ office de tourisme communautaire ”.

 

II. La portée de l’arrêt de la CAA de Lyon en date du 15 janvier 2020 : la commune conserve la gestion de manifestations locales et d’équipements communaux, notions elles-mêmes sujettes à débats

La CAA pose que Le transfert de plein droit de la promotion touristique dont la création de l’office du tourisme, à la communauté d’agglomération à la place des communes membres non classées touristiques, ne dessaisit pas les communes membres des compétences touristiques résiduelles, notamment en matière de prestations directement dispensées aux estivants (action touristique) et de gestion d’équipements communaux d’accueil.

En l’espèce :

 

Sur le premier point, celui des compétences de la SPL, passons sur le point de savoir quel était le droit applicable au litige à la date de l’arrêt de la CAA.

Retenons la portée intéressante de cet arrêt : quelles étaient les compétences de la communauté d’agglomération justifiant la création de la SPL ?

Or, la CAA pose que si, en application :

« du I de l’article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales, la communauté d’agglomération actionnaire était est investie de plein droit, à la place des communes membres qui […] ne sont pas classées communes touristiques, de « la promotion touristique dont la création d’offices de tourisme » envisagée par l’article L. 133-3 du code du tourisme, cette compétence est limitée à la communication à destination des touristes telles que les définissent les dispositions du même code consacrées à ce type d’établissement, ainsi qu’à la gestion d’équipements ponctuellement et expressément délégués par les collectivités territoriales. Cette attribution de plein droit de la promotion touristique à la communauté d’agglomération fait nécessairement réserve de la gestion des manifestations locales et d’équipements communaux d’accueil tels que les campings, gîtes ou bases de loisirs qui relèvent de l’action touristique, dont les communes demeurent investies en vertu de l’article L. 111-1 du même code. »

 

DONC la compétence tourisme minimale de la loi NOTRe n’inclut pas au contraire de ce qui avait très souvent été affirmé y compris par des organismes importants en ce domaine (mais non je ne vais pas cafter, ou pas trop 😉) :

« la gestion des manifestations locales et d’équipements communaux d’accueil tels que les campings, gîtes ou bases de loisirs »

 

Mais la notion de manifestation locale et celle d’équipement communal d’accueil pourraient donner lieu elles-mêmes à débats….

 

Source : CAA Lyon, 5ème chambre – N° 19LY00830 et 19LY02838 – Commune d’Excenevex – 15 janvier 2020 – C+

 

III. Tout ceci étant désormais à combiner avec un OVNI juridique issu de la loi engagement et proximité (car reposant sur une notion polysémique)

 

 

S’y ajoute une souplesse qui est aussi une complexité : en communauté de communes ou d’agglomération, mais aussi en communauté urbaine ou en métropole, « l’animation touristique » devient une « compétence partagée » au titre d’une nouveauté de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique…

Une compétence partagée n’est pas en soi un ONVI juridique : le tourisme est pour partie une compétence partagée entre départements et régions, par exemple.

Mais ce qui l’est, c’est de définir cette compétence partagée entre communes et communautés alors même que la notion d’animation touristique est polysémique. Pour le commun des mortels, cela veut dire l’animation de la commune pour les touristes, voire pour tous les publics façon comité des fêtes. Certes.

Mais l’animation touristique c’est aussi l’animation et la coordination des acteurs du tourisme, mission indétachable en droit comme en fait des offices de tourisme…

 

On se retrouve donc avec une compétence « animation », distincte de la compétence « promotion », et qui, elle, serait partagée entre communes et EPCI à fiscalité propre.

NB : les mentions du CGCT en ce domaine, depuis la Loi Notre, sont d’ailleurs déjà un peu en contradiction avec ceux du code du tourisme, alors… on n’est plus à cela près, cela dit. 

Voici les justification des amendements adoptés conduisant à cette nouvelle situation :

 

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