La légalité et, même, la constitutionnalité de tout ou partie des opérations électorales du 1er tour des élections municipales du 15 mars dernier donne lieu à de nombreux débats. Elle donne même lieu à deux questions prioritaires de constitutionnalité.
Sources : CE, 25 mai 2020 n°440335 ; CE, 25 mai 2020 n° 440217 ; affaires enregistrées aux références 2020-849 QPC et 2020-850 QPC.
Voir à ces sujets :
- Le 1er tour des municipales est-il fragile en droit ? [VIDEO]
- 1er tour des municipales : le Conseil constitutionnel aura bien à juger d’au moins deux QPC. Qu’en résulte-t-il ?
- Avant même que le Conseil constitutionnel ne tranche sur les QPC à ce sujet, un TA statue sur l’effet de la baisse de la participation sur la sincérité du 1er tour des élections municipales
Mais à ces sujets, le Conseil d’Etat ne s’est pas contenté de renvoyer deux questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il a géré avec subtilité la temporalité des procédures.
Nous échangions à ce sujet ce matin même avec le Professeur Didier Maus, Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel ; maire de Samois-sur-Seine.
M. Didier Maus a bien voulu que cette discussion se transforme en entretien au sein du présent blog et nous l’en remercions vivement.
I. Le Conseil d’Etat admet deux QPC sur la question du premier tour des municipales. Mais il rejette, discrètement, une autre QPC le 26 mai. Pourquoi ?
Les deux QPC portent sur des contentieux électoraux. Et en effet le 25 mai, le Conseil d’État s’est prononcé sur ces demandes de QPC et a considéré que les arguments qui la soutiennent « présentent un caractère sérieux », qu’ils sont susceptibles de mettre en cause des « droits et libertés garantis par la Constitution », notamment au regard du principe de sincérité du scrutin (voir (C. const., 20 décembre 2018, n° 2018- 773 DC).
Mais le 26 mai 2020, l’autre QPC est, elle, rejetée.
Revenons pour le comprendre un peu en arrière. Le Journal officiel du 15 mai publiait le décret de la veille relatif à l’entrée en fonction des conseils municipaux élus au complet le 15 mars. Il était en particulier prévu que l’élection des nouveaux maires aurait lieu entre le 23 et le 28 mai.
Or, ce même 15 mai, l’association « 50 millions d’électeurs » déposait devant le Conseil d’État un recours sur le fond et une QPC pour contester le décret et la constitutionnalité de l’article 19 de la loi.
Le même argument se retrouvait que dans les deux contentieux électoraux ayant donné lieu à QPC sur l’insincérité du scrutin dans son ensemble vu le contexte. L’association dépose en même temps un référé suspension.
II. Passons sur le débat, complexe en réalité, sur le point de savoir s’il eût fallu faire un référé suspension ou un référé liberté en la matière. Reste que dès le 15 mai le Conseil d’Etat était saisi d’une demande de référé ? Et qu’a fait la Haute Assemblée ?
Le 26 mai, le juge des référés du Conseil d’État, sans audience et sans contradictoires, décide qu’il n’y pas lieu de statuer sur cette demande de référé suspension au motif que le décret du 14 mai est entré en vigueur. De ce fait, il n’y a pas besoin d’examiner la QPC déposée à l’appui de cette demande.
Certes n’y a-t-il pas de suspension d’un acte entièrement exécuté. Mais outre qu’au 26 mai ce n’était pas entièrement le cas, reste que sur ce point le Conseil d’Etat semble avoir « joué la montre ».
Il en résulte un sentiment de malaise.
III. Quelle pourrait être une interprétation de cette politique consistant à « jouer la montre » ?
Tout se passe comme si le Conseil d’État avait attendu que les deux QPC tirées du contentieux électoral pur soient transmises au Conseil constitutionnel pour ne pas avoir, lui-même, à se prononcer sur le renvoi dont il était saisi. De ce fait, il aurait volontairement laissé passer le délai du 22 mai, date limite pour une suspension du décret relatif à l’installation des conseils municipaux. Comme les deux QPC soutenaient à peu près la même argumentation, il aurait été difficile, par exemple le 20 mai, de refuser la transmission au Conseil constitutionnel, sachant qu’il était probable qu’elle le serait le 25 en vertu d’une autre procédure. Un renvoi de la QPC « 50 millions d’électeurs » impliquait la suspension du décret du 14 mai et mettait donc à mal la stratégie du gouvernement et l’ensemble des élections, potentiellement, ce qui est moins le cas pour des QPC renvoyant ensuite élection par élection, potentiellement en tous cas uniquement dans les cas où contentieux électoral il y a eu (et non les milliers d’autres communes où il y a eu une élection insincère mais n’ayant pas donné lieu à protestation électorale).
IV. Vous y voyez donc une contestable habileté ?
Oui. le Conseil d’Etat a donné satisfaction à ceux qui souhaitaient que le Conseil constitutionnel soit saisi mais tout en ayant grand soin de ne pas compliquer le déconfinement et de potentiellement limiter la portée d’une possible censure. A ces fins, le Conseil d’Etat a traité peu rapidement la procédure d’urgence qu’est le référé liberté. La stratégie y gagne ce que la Justice y perd.