Avant même que le Conseil constitutionnel ne tranche sur les QPC à ce sujet, un TA statue sur l’effet de la baisse de la participation sur la sincérité du 1er tour des élections municipales

Les élections à Vezin-le-Coquet (35) avaient été marquées par une forte abstention lors du premier tour, conclusif, des élections municipales, le 15 mars dernier (54,7 ou 54,3 % selon les sources).

Mais l’écart de voix était notable (53.88 % versus 46.11 %).

Lors de nos récents articles sur ce sujet, nous pronostiquions comme hypothèse la plus probable (quoi que chacun puisse ensuite penser démocratiquement et politiquement) qu’en termes juridiques, les censures en raison du contexte du Covid-19 allaient être possibles, et peut-être même assez nombreuses, mais uniquement à la condition que trois conditions se trouvent réunies :

  1. une très forte baisse de la participation (avec un argumentaire selon lequel cela impacte en l’espèce l’équilibre entre les forces politiques) ;
  2. un nombre de voix de différence restant limité, ou au moins en lien avec cette baisse de la participation ;
  3. d’autres altérations de la sincérité du scrutin permettant d’entrer dans le cadre des raisonnements usuels du juge de l’élection. 

 

Résumons les situations et les probabilités, selon nous et hypothèse par hypothèse, via ce schéma que nous avions pour la première fois diffusé il y a trois semaines :

lections 202005

 

Schématiquement, ce que nous pronostiquions correspond à ce qu’a retenu le Tribunal administratif de Rennes dans une décision qui est même…. une simple ordonnance de tri de l’article R. 222-1 du CJA !

Voici des extraits de cette décision :

« 3. Toutefois, la seule circonstance que cette baisse du taux de participation par rapport aux élections municipales antérieures serait consécutive aux annonces du Président de la République et du Premier ministre sur l’épidémie de Covid-19 ne permet pas, à elle seule, d’établir l’existence d’une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin, le protestataire ne soutenant pas, au demeurant, d’une part, l’existence de manoeuvres de la part de ses adversaires, et, d’autre part, une situation privilégiant ces derniers en résultant. Dans ces conditions, alors que l’abstention liée aux craintes entourant cette pandémie a impacté de la même manière toutes les listes en présence, les faits allégués de faible participation ne sont manifestement pas susceptibles de venir au soutien des griefs tirés de ce qui serait une absence alléguée de sincérité du scrutin ou même de liberté de suffrage. ».

 

Cela dit, attendons sur le fond avant d’en déduire que le droit a été posé à titre définitif par le juge rennais.

En effet, chacun attend le résultat de plusieurs (2 à ce jour ; d’autres sont en attente) questions prioritaires de constitutionnalité renvoyées par le Conseil d’Etat au Conseil constitutionnel. 

Sur ces QPC, voir notre analyse, bien plus détaillée, ci-dessous :

Sur le point de savoir qui peut intervenir devant le Conseil constitutionnel au sujet de ces QPC, voir :

 

A tous ces sujets, j’avais mi-mai préparé un petit dossier avec WEKA, en vidéo, à ce sujet, pour lequel j’avais  eu le plaisir de demander leurs avis à deux universitaires de renom :

  • Monsieur le Professeur Didier Maus, Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel ; maire de Samois-sur-Seine.
  • Monsieur le Professeur Romain Rambaud, auteur du Droit des élections et des référendums politiques (LGDJ, Domat, 2019) ; http://blogdudroitelectoral.fr

Voici ce « grand dossier », fait avec WEKA, qui  fait le tour de la question en 7 mn 31 :

 

A ces sujets, voir aussi les décrets récents :

 

 

 

VOICI CETTE DECISION (aux bons soins du Professeur R. Rambaud que nous remercions vivement)

 

TA Rennes, ord de tri, 26 mai 2020, n 2002084

 

 TRIBUNAL ADMINISTRATIF 

DE RENNES 

N°2002084 

___________ 

M. M. 

___________ 

Ordonnance du 26 mai 2020 

___________ 

28-04 

54-01 

D 

 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS 

Le président de la 4ème chambre 

 

 Vu la procédure suivante : 

Par une protestation, enregistrée le 19 mai 2020, M. M. demande au tribunal d’annuler les opérations électorales du 15 mars 2020 organisées dans la commune de Vézin-le-Coquet pour les élections municipales. 

Il soutient que : 

– le premier tour des élections municipales est entaché d’insincérité, eu égard que les élections ont été organisées dans un climat non « serein », à la différence de ce qui se produit à l’accoutumée dans la commune : le taux d’abstention « important » de 54, 30%, qui n’a jamais été atteint dans le passé, s’explique par les mises en garde répétées et contradictoires des pouvoirs publics ( intervention télévisée du Président de la République du 12 mars 2020, annonce de la fermeture de l’ensemble des établissements scolaires, …) quant aux risques liés à l’épidémie de « Covid 19 » qui ont eu un effet négatif sur la participation notamment des personnes âgées et fragiles, créant un contexte anxiogène ; 

– il y a un risque d’affaiblissement de la démocratie avec des maires élus avec un très faible taux de participation des électeurs. 

Vu les autres pièces du dossier. 

Vu : 

– le code électoral ; 

– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ; 

– l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif ; 

– l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ; 

– le code de justice administrative. 

Considérant ce qui suit : N° 2002084 2 

1. Aux termes de l’article R. 222-1 du code de justice administrative d’une part : « Les présidents de tribunal administratif (…) et les présidents de formation de jugement des tribunaux (…) peuvent, par ordonnance : (…) 7° Rejeter, après l’expiration du délai de recours ou, lorsqu’un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé. (…) » . 

2. A l’appui de sa protestation tendant à l’annulation des résultats des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour le renouvellement des conseillers municipaux dans la commune de Vézin-le-Coquet, M. M. soutient qu’une baisse très significative du taux de participation des électeurs par rapport aux élections municipales précédentes a été observée, et ce tant au niveau national que dans la commune, où le taux d’abstention s’est élevé à 54, 70%, le maire à élire ne représentant alors que 23, 47% des inscrits 

3. Toutefois, la seule circonstance que cette baisse du taux de participation par rapport aux élections municipales antérieures serait consécutive aux annonces du Président de la République et du Premier ministre sur l’épidémie de Covid-19 ne permet pas, à elle seule, d’établir l’existence d’une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin, le protestataire ne soutenant pas, au demeurant, d’une part, l’existence de manoeuvres de la part de ses adversaires, et, d’autre part, une situation privilégiant ces derniers en résultant. Dans ces conditions, alors que l’abstention liée aux craintes entourant cette pandémie a impacté de la même manière toutes les listes en présence, les faits allégués de faible participation ne sont manifestement pas susceptibles de venir au soutien des griefs tirés de ce qui serait une absence alléguée de sincérité du scrutin ou même de liberté de suffrage. 

4. Il résulte de ce qui précède que la protestation de M. M. doit être rejetée par application des dispositions du 7°de l’article R. 222-1 du code de justice administrative. 

O R D O N N E : 

Article 1er : La requête de M. M. est rejetée. 

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. M., à la commune de Vezin-le-Coquet, et à la Préfète d’Ille-et-Vilaine. 

Fait à Rennes, le 26 mai 2020. 

Le président, 

signé 

[…]

La République mande et ordonne à la préfète d’Ille-et-Vilaine en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.