1er tour des municipales : par deux décisions rendues hier, le Conseil d’Etat renvoie la QPC au Conseil constitutionnel… ce qui ne veut pas du tout dire que cette QPC va y prospérer. Le rapporteur public de l’aile administrative du Palais Royal n’invite d’ailleurs guère l’aile Montpensier dudit Palais à donner satisfaction aux requérants.
A noter : au moins deux autres QPC (dont une engagée quant à elle contre un autre acte qu’une élection, directement devant le Conseil d’Etat, mais portant au fond sur le même sujet), restent à notre connaissance pendantes devant le Conseil d’Etat.
Une étape a néanmoins été franchie, ouvrant la porte à plusieurs champs des possibles. Décortiquons tout cela…
S’il y a eu une baisse forte de la participation au premier tour, des élections pourraient donner lieu à des censures isolées par le juge administratif en contentieux électoral…. certes. S’il y a eu un effondrement de la participation avec quelques manoeuvres altérant potentiellement la sincérité du scrutin et une faible différence de voix d’écarts, il y aura un débat sur ce point au cas par cas.
Mais des censures plus vastes sont-elles possibles en droit ?
La réponse est OUI même si nous n’y croyons guère.
Quatre solutions nous semblent possibles :
- 1/ le juge peut se contenter de juger des élections au cas par cas, sans qu’aucune norme nationale ni aucune annulation nationale n’aient été esquissées par les juridictions nationales que sont le Conseil d’Etat ni le Conseil constitutionnel. Cela nous semble être le plus probable, mais… qui sait.
- 2/ le Conseil d’Etat pourrait trouver une occasion (par exemple via le ou les recours contre le décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 fixant au 18 mai la date de début des mandats de ceux des élus désignés dès le 1er tour) de fixer une sorte de « standard » au sens rialsien de l’expression, pour indiquer aux TA en charge des contentieux électoraux à quels moment la baisse de la participation et le contexte de l’élection ont pu altérer à eux seuls le scrutin. Nous n’y croyons guère car le Conseil d’Etat utilise fort peu le « hors piste ». Au contraire, sa réputation s’est forgée au fil des siècles autour de sa légendaire et commode concision, et « économie des moyens ». Surtout, il pourrait ne pas vouloir trop encadrer l’appréciation faite au cas par cas, comme souvent en électoral…
- 3/ le Conseil d’Etat pourrait censurer soit le décret de convocation des électeurs s’il se trouve encore un recours pendant à ce sujet, soit ce même décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 fixant au 18 mai la date de début des mandats de ceux des élus désignés dès le 1er tour) en lui-même, sans même passer par une QPC. C’est un des paris faits par l’association 50 millions d’électeurs par exemple, qui a attaqué ce décret (avec certes une QPC, mais pas uniquement). Voir ici les requêtes au fond, requête en référé suspension et QPC déposées par cette association : chacun pourra, en fonction de sa sensibilité et de ses connaissances en droit public, se faire une religion à se propos. Mais au delà des chances prévisionnelles de succès que l’on accordera, ou non, à ces recours, force est de constater que la plupart des vices (sauf celui tiré de la QPC) n’entraîneraient pas un effet « boule de neige » contre les élections elles-mêmes.
- 4/ enfin reste la QPC. Ou les QPC puisque le Conseil d’Etat vient d’en transmettre deux au Conseil constitutionnel (bravo à nos confrères à ce sujet, notamment à Me Romain Geoffret ; voir ici son commentaire) qui sont soulevées à l’occasion de contentieux électoraux portant sur les élections au premier tour.
Ce sont les hypothèses qui vont être ensuite développées au fil de ce bref article, ci-dessous.
Voici ces deux décisions du Conseil d’Etat en date du 25 mai 2020 n°440335 et n° 440217 par lesquelles la Haute Assemblée a décidé de renvoyer lesdites QPC devant le Conseil constitutionnel (sous les numéros 2020-849 QPC et 2020-850 QPC) :
Restent non tranchées à notre connaissance, plusieurs demandes en QPC, dont au moins les deux que voici :
- celle précitée, déposée, par l’association 50 millions d’électeurs contre le décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 mais portant indirectement sur la constitutionnalité du premier tour
- celle transmise par le TA de Lyon au Conseil d’Etat le 11 mai 2020 portant sur le contentieux des élections municipales de Saint-Laurent-de-Mure (requête dont nous avons souvent entendu parler mais dont nous n’avons pas copie cela dit).
A tous ces sujets, j’avais il y a 15 jours préparé un petit dossier avec WEKA, en vidéo, à ce sujet, pour lequel j’avais eu le plaisir de demander leurs avis à deux universitaires de renom :
- Monsieur le Professeur Didier Maus, Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel ; maire de Samois-sur-Seine.
- Monsieur le Professeur Romain Rambaud, auteur du Droit des élections et des référendums politiques (LGDJ, Domat, 2019) ; http://blogdudroitelectoral.fr
Voici ce « grand dossier », fait avec WEKA, qui fait le tour de la question en 7 mn 31 :
Passons rapidement sur une étrangeté : pour qu’il y ait QPC, il faut une loi ayant méconnu une norme constitutionnelle ou internationale. Or, les élections ont eu lieu avant la loi Covid-19 du 23 mars dernier. Donc pour que l’affaire soit tranchée par QPC, il faut que l’élection ait le 15 mars été pratiquée en vertu d’une loi postérieure (le 23 mars) dont l’inconstitutionnalité serait relevée par le Conseil constitutionnel. C’est donc un tête à queue, une incongruité temporelle, qui est soulevée. Cette difficulté a été contournée par les requérants, de manière habile, par le fait que ladite loi du 23 mars en quelque sorte aménage les conséquences de la suspension des procédures électorales entre les deux tours. C’est hardi. Mais ça a marché. Soit.
La force ensuite, relative à notre sens, de ces recours est qu’ils peuvent se fonder sur une norme constitutionnelle en effet puisque le Conseil constitutionnel a consacré principe de sincérité des scrutins au moins nationaux (C. const., 20 décembre 2018, n° 2018- 773 DC).
Cela dit, la recherche de la sincérité du scrutin est l’essence même de l’office du juge électoral depuis que la France vit en Démocratie représentative… Voir d’ailleurs des études réunies par le Conseil constitutionnel sur la notion même de sincérité du scrutin :
Quand les requérants soulèvent que les deux tours doivent être très rapprochés, ils ont contre eux, cela dit, deux décisions :
- une du Conseil constitutionnel ayant à connaître de l’obligation de différer un second tour pour cause de cyclone à La Réunion (C. const., 27 juin 1973, n° 73-603/741 AN)
- une qui, sans être en soi une décision, est un avis consultatif du Conseil d’Etat (dont la proximité géographique et intellectuelle avec le Conseil constitutionnel n’est pas à sous-estimer…). Il s’agit de l’avis sur le projet de loi qui allait devenir la loi du 23 mars 2020 (voir les points 6, et surtout 7, de cet avis n° 399873, du CE, en date du 18 mars 2020).
A noter : le Conseil d’Etat a donc transmis deux QPC au conseil constitutionnel, mais sur la base des (intéressantes) conclusions de son rapporteur public M. Guillaume Odinet qui n’incitent pas à un optimisme excessif quant à l’avenir desdites QPC (pour y accéder sur le site du Conseil d’Etat, cliquer ici).
Le Président Fabius avait fait, non sans étrangeté, un appel du pied dans Le Figaro pour de telles QPC. Le Conseil d’Etat est sans doute ravi de ne pas porter sur ses épaules déjà endolories par 2 mois de décisions covidiennes le poids de décisions définitives en ce domaine. Et sur le fond la question est nouvelle et n’a pas déjà donc été tranchée par le Conseil constitutionnel. Donc va pour la QPC… mais encore une fois cela ne veut pas dire, pas du tout dire, qu’il y aura censure par les sages de la rue Montpensier.
Sur cette base, 4 solutions sont, devant le Conseil constitutionnel, de nouveau, possibles :
- 1/ annulation de toutes les élections du 1er tour. C’est improbable. Mais tout est toujours possible tant que le match n’est pas fini…
- 2/ le juge constitutionnel pourrait (directement ou via l’énoncé de réserves qui seraient autant d’indications aux juges électoraux) directement ou indirectement par une réserve conduire à une censure de tous les premiers tours, mais uniquement là où il y a eu contentieux, là où une protestation électorale a été déposée. Ce serait assez dans la manière du Conseil constitutionnel. Voir par exemple par comparaison la décision Salbris n°2014-405 QPC du 20 juin 2014…
- 3/ le juge constitutionnel pourrait adopter une variante de la solution 2/ (censure là où il y a eu un contentieux mais sans que cette censure soit univoque et générale… mais plutôt via un ratio entre baisse de la participation et nombre de voix d’écart). Cette solution 3/ me semble en revanche tout à fait envisageable (et pour le coup ne serait pas très éloignée de raisonnements que l’on voit plus aisément au Conseil constitutionnel qu’au Conseil d’Etat, pour schématiser).
- 4/ le Conseil constitutionnel peut aussi rejeter au fond ces QPC, quitte à appeler le juge électoral du fond à appliquer une analyse au cas par cas (ce qu’il fait déjà depuis toujours…).
Résumons pour nous les situations et les probabilités selon les cas :
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