Combat de boxe, entre juridictions, au Palais-Royal (trophée « ordonnances art. 38 ») ?

Quel régime contentieux pour les ordonnances non ratifiées par le Parlement une fois passé le délai d’habilitation ? Sur ce point, la guerre fait rage entre les deux ailes du Palais Royal… avec une décision rendue ce matin par le Conseil constitutionnel qui contrecarre directement une décision rendue… avant-hier par le Conseil d’Etat… qui elle-même répondait à une décision audacieuse du Conseil constitutionnel. 

Bref, se déroule un combat de boxe sur le ring du Palais-Royal (trophée « ordonnances art. 38 »). Au crochet du CE, le Conseil constitutionnel vient de répondre par un magistral uppercut…

Avec en attendant une belle incertitude juridique. 

 

L’objet du litige ? Le point de savoir qui sera compétent pour traiter des ordonnances de l’article 38 de la Constitution, non ratifiées par le Parlement une fois passé le délai d’habilitation.

 

1er round

Il y a un peu plus d’un mois, le Conseil constitutionnel suscitait un vaste émoi dans le monde des juristes publicistes en posant que doivent être regardées comme des dispositions législatives les dispositions d’une ordonnance de l’article 38 de la Constitution, ne pouvant plus, passé le délai d’habilitation, être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif

Source : décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, Force 5 [Autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité], décision que nous avions commentée ici :

 

2e round (avant-hier)

Cette valeur législative (qui certes évitait que l’ordonnance puisse être modifiée par une autre ordonnance post-délai d’habilitation…) a suscité un vif émoi pour diverses raisons, morales notamment (cela revenait à laisser le Gouvernement libre de laisser filer les dates de dépôt au Parlement des lois de validation)…

Mais cet émoi était aussi alimenté par un débat contentieux : cela voulait-il dire que passé le délai de transposition, l’ordonnance valant loi… seul le Conseil constitutionnel serait compétent pour censurer, ou non, une telle ordonnance ?

A cette importante question, le Conseil d’Etat a, le premier juillet, répondu par la négative. La Haute Assemblée vient, implicitement mais nettement, de s’estimer compétente pour connaître d’un recours pour excès de pouvoir contre une ordonnance de l’article 38 de la Constitution non ratifiée… même après l’expiration du délai d’habilitation .

Source : CE, 1er juillet 2020, n° 429132,à publier aux tables du recueil Lebon (voir la décision, adoptée le même jour, sur la caducité des ordonnances : CE, 1er juillet 2020, n° 428134 429442, mentionné aux tables du recueil Lebon. ).

Pour accéder à cette décision et à notre commentaire à ce sujet, voir :

 

3e round (ce matin !)

Ce matin, à l’occasion d’une décision qui n’a rien à voir avec le sujet (n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, M. Sofiane A. et autre, que nous avons commentée ici) :… le Conseil constitutionnel vient de glisser, au passage, et d’ailleurs sans que cela soit réellement indispensable à la résolution du litige qui lui était soumis, le point de principe suivant :

« 11. Si les dispositions d’une ordonnance acquièrent valeur législative à compter de sa signature lorsqu’elles ont été ratifiées par le législateur, elles doivent être regardées, dès l’expiration du délai de l’habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution. Leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut donc être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité.»

Normalement, les relations entre les deux ailes du Palais Royal ont la réputation d’être bonnes, feutrées, policées. Il n’est pas rare d’ailleurs que l’on conteste plutôt les supposés excès du magistère qu’aurait le Conseil d’Etat sur son auguste voisin de l’aile de la rue Montpensier.

Mais là, ça clashe façon rappeur de base.

 

A COURT TERME, CELA VEUT DIRE QU’IL Y A UN DÉBAT SUR LES MOYENS CONTENTIEUX À DÉVELOPPER POUR ENGAGER UN RECOURS CONTRE CES ORDONNANCES POST-DÉLAI D’HABILITATION. A TOUT LE MOINS LES REQUÉRANTS PRUDENTS SOULÈVERONT-ILS LE MÊME MOYEN (OU PRESQUE) À LA FOIS DANS LEUR REQUÊTE ET VIA UNE QPC (PAR UN MÉMOIRE À PART DONC)…

EN ATTENDANT QUE LE PALAIS ROYAL REFASSE SON UNITÉ. QUI DEVRAIT SE FAIRE EN POSANT QUE LE JUGE ADMINISTRATIF CONTRÔLE CES ORDONNANCES SAUF SI LES DROITS ET LIBERTÉS SONT EN JEU… 

 

VOIR EN VIDÉO :