🎼 Sea, law and sun… Accessoires de plage : le juge s’ensable-t-il ?

Quand des accessoires de plage glissent-ils vers un statut irrĂ©gulier d’occupation domaniale ?

A cette question, le juge vient d’apporter une rĂ©ponse qui peut sembler simple et mĂŞme logique mais qui en pratique risque de s’ensabler dans le rĂ©el et de faire des vagues du cĂ´tĂ© des hĂ´teliers (ou de ce qu’il en reste). En mĂŞme temps, il fallait bien mettre fin Ă  des vĂ©ritables occupations privatives (et moches), du domaine public tout en prĂ©servant la libertĂ© du commerce et de l’industrie… Mais le rĂ©sultat est d’une fausse simplicitĂ©.

Mettons à part le sujet, déjà mouvant, des concessions de plage. Voir :

Mis Ă  part ce rĂ©gime, donc, l’occupation prĂ©caire du littoral est entre deux eaux puisqu’elle relève de deux rĂ©gimes contraires :

  • d’un cotĂ©, l’article L. 2122-1 du code gĂ©nĂ©ral de la propriĂ©tĂ© des personnes publiques pose que « Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dĂ©pendance du domaine public d’une personne publique mentionnĂ©e Ă  l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dĂ©passant le droit d’usage qui appartient Ă  tous »…
  • et c’est justement Ă  tous qu’est rĂ©servĂ© l’accès et l’usage libre et gratuit des piĂ©tons aux plages (article L. 2124-4 du mĂŞme code et, surtout, art. L. 321-9 du code de l’environnement).

 

Il en rĂ©sulte que l’installation et l’utilisation Ă  titre prĂ©caire et temporaire d’accessoires de plage par les piĂ©tons est logique. Ces usages donc, juge le Conseil d’Etat « n’excèdent pas le droit d’usage qui est reconnu Ă  tous sur la dĂ©pendance du domaine public maritime qu’est la plage ».

Cela va de soi, au regard notamment de la formation de l’article L. 321-9 du code de l’environnement.

Oui mais le matĂ©riel peut-il alors ĂŞtre louĂ©, ou prĂŞtĂ©, par un tiers ? et ce mĂŞme dans l’exercice d’une activitĂ© commerciale ?

RĂ©ponse, logique du juge administratif : OUI « dès lors qu’il est utilisĂ© sous leur responsabilitĂ©, pour la seule durĂ©e de leur prĂ©sence sur la plage et qu’il est retirĂ© par leurs soins après utilisation. »

On peut donc louer du matĂ©riel Ă  utiliser par les vacanciers sur les plages. Fort heureusement, notamment au regard de la libertĂ© du commerce et de l’industrie (pourquoi ne pourrais-je pas louer un parasol par exemple ? ou une bouĂ©e ? un transat ? ou un bateau gonflable ?).

OUI MAIS il faut, ajoute le Conseil d’Etat que ledit matĂ©riel soit « utilisĂ© sous la responsabilitĂ© des usagers concernĂ©s, pour la seule durĂ©e de leur prĂ©sence sur la plage et qu’il [soit] retirĂ© par leurs soins après utilisation ».

Donc même une personne âgée ou handicapée devra installer son transat ou son parasol ? Il sera illégal que dans la prestation le retrait de ces équipements soit fait par le prestataire ?

On peut supposer que non. C’est l’installation toute la journĂ©e de ces biens en attendant le chaland  qui est, semble-t-il, censurĂ©e.

Voir en ce sens pour les faits de l’espèce :

« 5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des rĂ©fĂ©rĂ©s qu’Ă  la date Ă  laquelle il a statuĂ©, la sociĂ©tĂ© SHEP mettait Ă  la disposition exclusive de sa clientèle des chaises longues et des parasols destinĂ©s Ă  ĂŞtre installĂ©s, pendant la journĂ©e, sur la plage Ă  proximitĂ© immĂ©diate de l’Ă©tablissement qu’elle exploite. En retenant, pour juger que la condition d’utilitĂ© Ă  laquelle est subordonnĂ©e une mesure d’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public Ă©tait satisfaite, que l’installation, mĂŞme Ă  titre temporaire, de ces biens mobiliers sur la plage, eu Ă©gard Ă  leurs caractĂ©ristiques, Ă©tait constitutive d’une occupation privative du domaine public maritime par la sociĂ©tĂ©, en lien direct avec son activitĂ© commerciale, alors qu’il n’Ă©tait pas Ă©tabli que ses clients les installeraient eux-mĂŞmes pour la seule durĂ©e de leur prĂ©sence sur la plage et les retiraient après utilisation, le juge des rĂ©fĂ©rĂ©s du tribunal administratif s’est livrĂ© Ă  une apprĂ©ciation souveraine des faits de l’espèce, exempte de dĂ©naturation et n’a pas commis d’erreur de droit. »

Il en résulte le résumé de la base Ariane que voici, en général annonciateur de celui des tables du recueil Lebon :

« L’installation et l’utilisation Ă  titre prĂ©caire et temporaire d’accessoires de plage par les piĂ©tons n’excèdent pas le droit d’usage qui est reconnu Ă  tous sur la dĂ©pendance du domaine public maritime qu’est la plage, dès lors que ce matĂ©riel est utilisĂ© sous la responsabilitĂ© des usagers concernĂ©s, pour la seule durĂ©e de leur prĂ©sence sur la plage et qu’il est retirĂ© par leurs soins après utilisation. Il en va ainsi quand bien mĂŞme ce matĂ©riel ne serait pas la propriĂ©tĂ© de ces usagers et aurait Ă©tĂ© mis Ă  leur disposition par des tiers dans l’exercice d’une activitĂ© commerciale. »

cf., sur le droit d’usage du domaine public appartenant Ă  tous, CE, 31 mars 2014, Commune d’Avignon, n° 362140, T. pp. 652-653.

 

N’empĂŞche : il reste un petit doute sur le point de savoir si ces biens louĂ©s pourront ĂŞtre posĂ©s et dĂ©posĂ©s par le loueur. Le plus probable est que oui (mais en les enlevant client par client sans les laisser au sol toute la journĂ©e en attendant le client)… Mais une prĂ©cision sur ce point dans l’arrĂŞt eĂ»t Ă©tĂ© la bienvenue pour Ă©viter que dans la pratique chacun ne s’ensable…

CE, 12 mars 2021, n°443392, à publier aux tables du recueil Lebon