Au titre d’une jurisprudence établie de longue date, une personne morale de droit public ne peut jamais faire de cadeau, sauf :
- cadre légal le permettant (subventions par exemple)
- ou sauf contrepartie d’intérêt général (via divers cadres juridiques précis) le justifiant à due proportion
Sources : C. const., 17 décembre 2010, 2010-67/68 QPC ; voir aussi C. const., 26 juin 1986, n° 86-207 DC ; CE, Assemblée, 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de l’Haÿ-les-Roses, n° 249153, p. 433 ; CE, Assemblée, 9 novembre 2016, Société FOSMAX LNG, n° 388806, p. 466 ; CE, Sect., 19 mars 1971, Sieur Mergui, rec. 235). Cette règle ne doit pas être sous-estimée, puisque le juge peut la soulever d’office (moyen d’ordre public ; par transposition : CE, Sect., 14 avril 1961, Dame Rastouil, rec. 233 ; CE, 10 avril 1970 ; Société médicale d’assurances « Le sou médical », rec. 245… Sur les contreparties d’intérêt général voir CE, Section, 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, n° 169473, p. 391 ; CE, 14 octobre 2015, Commune de Chatillon-sur-Seine, n° 375577, p. 344… Ces contreparties s’avèrent même prises en compte avec une certaine souplesse par le juge qu’il s’agisse de clauses anti-spéculatives (Cass. civ. 3e, 23 septembre 2009, n° 08-18187), de favoriser l’implantation de ménages dans la commune (CAA Nantes, 30 juin 2000, n° 98NT01299 , voir aussi CE, 25 novembre 2009, n° 310208) ou de favoriser l’implantation d’un équipement public (CAA Marseille, 22 novembre 2010, n° 08MA03509). Pour une illustration récente, voir CAA Lyon, 9 juillet 2019, n° 17LY00934.
Le 13 septembre dernier, le Conseil d’Etat rendait un arrêt important confirmant ce dernier point et donnant un mode d’emploi précis en ce domaine s’agissant d’une part de l’information des élus et d’autre part de l’appréciation de ces contreparties d’intérêt général (proportionnalité, contrôle du juge, application en fin anticipée de BEA et, surtout, application « à part » de paramètres comme par exemple des renonciations à acquérir des construction).
Voir notre article détaillé :
Or, quelques jours à peine après, voici que le même Conseil d’Etat rend un arrêt qui rappelle ces mêmes règles, mais en matière de location cette fois. Citons en le résumé de la base Ariane qui préfigure celui des tables du rec. :
« Une personne publique ne peut légalement louer un bien à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé pour un loyer inférieur à la valeur locative de ce bien, sauf si cette location est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes. »
On notera le flou et commode recours au mot « suffisant[e] ».
Reste une étrangeté tout de même. Il s’agissait en l’espèce d’un contrat entre un CCAS et un masseur-kinésithérapeute.
Il existe de nombreux outils pour porter une aide à l’implantation de professionels de santé, à commencer par les aides directes propres à ces praticiens, prévues à l’article L. 1511-8 du CGCT et le régime des aides destinées à favoriser l’installation ou le maintien de professionnels de santé dans les zones définies en application du 1° de l’article L. 1434-4 du code de la santé publique (voir ici une vidéo à ce sujet ainsi qu’une décision de Justice intéressante).
Donc à la condition que ces régimes fussent applicables en l’espèce, ce que nous ignorons, n’eût-il pas été plus simple de faire un loyer à un tarif normal et de consentir (si les conditions sont réunies et sous réserve aussi du principe d’égalité entre praticiens de santé qui eussent été dans des conditions comparables…) une telle aide pour parvenir au même résultat au moins les premières années ?
Voici cet arrêt :
CE, 28 septembre 2021, n° 431625