Qu’est-ce qu’une contrepartie suffisante pour justifier d’un rabais sur une vente d’un bien immobilier public relevant du domaine privé ?

Nous sommes là dans la droite ligne du principe selon lequel, dans un contrat (transactions y inclues), il n’est pas question pour une personne de payer une somme indue (CE, Sect., 19 mars 1971, Sieur Mergui, rec. 235). Cette règle ne doit pas être sous-estimée, puisque le juge peut la soulever d’office (moyen d’ordre public ; par transposition : CE, Sect., 14 avril 1961, Dame Rastouil, rec. 233 ; CE, 10 avril 1970 ; Société médicale d’assurances « Le sou médical », rec. 245).

Voir par exemple, à ce sujet, l’état du droit dans le cas particulier des transactions :

Oui mais il peut y avoir la prise en compte de contreparties d’intérêt général (voir notamment l’article L. 3211-7 du Code général de la propriété des personnes publiques [CG3P] dont l’histoire fut mouvementée pour l’Etat, et quelques autres régimes ; pour les ventes entre personnes publiques voir aussi les art. L. 3112-1 et s. de ce même code ; pour les ventes des collectivités aux entreprises à fins de développement économique, voir l’art. L. 1511-3 du CGCT).

Ces contreparties s’avèrent même prises en compte avec une certaine souplesse par le juge qu’il s’agisse de clauses anti-spéculatives (Cass. civ. 3e, 23 septembre 2009, n° 08-18187), de favoriser l’implantation de ménages dans la commune (CAA Nantes, 30 juin 2000, n° 98NT01299 , voir aussi CE, 25 novembre 2009, n° 310208) ou de favoriser l’implantation d’un équipement public (CAA Marseille, 22 novembre 2010, n° 08MA03509).

Aussi est-ce sans grande surprise que l’on a une confirmation, par la CAA de Lyon, de la possibilité d’un prix de cession d’un bien du domaine privé d’une personne publique à une autre personne publique avec une baisse de prix en raison de la présence de contreparties d’intérêt général. 

Le SDIS du Rhône avait décidé, de vendre à l’OPAC du Rhône et à l’OPHLM du Rhône des logements qui, jusque lors, servaient à loger gratuitement certains des sapeurs-pompiers du service.

La vente avait été consentie à un prix très nettement inférieur à l’estimation par le service des domaines.

Or, l’intérêt général d’un SDIS n’est pas le même que celui d’organismes de logement social, même si les deux relèvent des missions de la même Métropole de Lyon.

N’est-ce pas desservir un service public au profit d’un autre ? Le SDIS peut-il prendre en compte un intérêt général relevant d’un autre service public que le sien ?

On le voit, la question, qui semblait simple et confirmative, devient alors passionnante car c’est de l’intérêt général qu’il est possible de prendre en compte -hors de ses compétences techniques qu’il s’agit.

La CAA a rejeté les critiques portées contre cette délibération au motif que :

  1. même si elle a été consentie à un prix significativement inférieur à la valeur estimée par le service des domaines, la cession d’immeubles à usage de logement par le SDIS du Rhône, chargé des missions de lutte contre l’incendie, à l’OPAC du Rhône et à l’OPHLM du Rhône, tous deux établissements publics dédiés au logement social, qui a pour effet de maintenir les biens en cause dans le patrimoine d’établissements publics placés sous le contrôle des mêmes collectivités publiques, ne peut être réputée constituer une libéralité consentie par le cédant au cessionnaire.
    On le voit, la formulation de “ne peut être réputée constituer une libéralité” est un peu étrange en ce qu’elle pourrait être interprétée comme formant une sorte de présomption de non libéralité, ce qui n’est sans doute pas ce que voulait dire la Cour. Disons au minimum que le maintien dans le patrimoine public est une composante de l’intérêt général susceptible d’être alors pris en compte pour justifier une diminution de prix, ce qui répond clairement, et de manière positive, à la question : peut-on prendre en compte un intérêt général relevant d’une autre compétence que la sienne ? La réponse est donc OUI.
  2. D’autre part, et en tout état de cause, la propriété des immeubles en cause a été transférée au SDIS du Rhône en vue de lui permettre de loger certains de ses agents. Dès lors que le service a décidé de mettre un terme à cette pratique, à laquelle il n’était pas tenu, le maintien dans son patrimoine d’ensembles immobiliers uniquement destinés au logement qu’il n’a pas, eu égard à sa spécialité, vocation à valoriser, aurait pour effet de constituer une charge financière excessive sans la moindre contrepartie en raison, notamment, des charges grevant ces immeubles et du coût de leur entretien. Il suit de là que, alors même que les missions relatives au logement social n’entrent pas dans les attributions de l’établissement public cédant, la cession, au prix qui a été convenu, d’immeubles de logement au profit d’acquéreurs eux-mêmes investis d’une mission de service public de logement social, doit, dans les circonstances de l’espèce, être regardé comme conforme à l’intérêt général.
    Cet argument n’est pas surprenant. Ce qui l’est, c’est que le pourcentage desdits logements restant à usage du SDIS via ce régime ne soit pas pris en compte ni même évoqué par le juge…

 

Voici cet arrêt :

CAA Lyon, 9 juillet 2019, n° 17LY00934

17LY00934