Le Conseil d’État donne une nouvelle occasion de rappeler que le non-respect du formalisme du mémoire de réclamation entraîne l’irrecevabilité du recours.  

*article rédigé par Jean-Loup Mirabel, avocat au sein du cabinet landot et associés

CE, 27 septembre 2021, commune de Bobigny, req. n° 442455

 Dans l’affaire ayant donné lieu à un arrêt rendu le 25 septembre 2021, une commune avait conclu avec une entreprise un marché public d’environ 1,14 millions d’euros pour effectuer des travaux dans sa Maison de la Culture. Le marché faisait application du désormais ancien CCAG Travaux de 2009 (pour une mise à jour sur les CCAG depuis le 1er avril 2021, vous pouvez consulter notre présentation des nouveaux CCAG ; voir aussi une table ronde détaillée ici).

 Le marché rencontrant des difficultés d’exécution, l’entreprise a adressé à la commune une demande de rémunération complémentaire. En réponse, celle-ci lui a notifié deux projets de décomptes généraux du marché. L’entreprise les a contestés en adressant une lettre à la commune. Cette lettre contenait l’exposé des motifs de la contestation en faisant référence à un premier courrier qui avait été antérieurement adressé à la commune, mais qui n’était pas joint à son envoi.

 La commune ne lui a pas répondu et, devant son silence, la société a alors saisi le Tribunal administratif d’un recours indemnitaire.

 Pour apprécier la recevabilité de sa demande, les juges du fond, puis le Conseil d’État, devaient déterminer si la lettre adressée était un mémoire de réclamation au sens de l’article 50.1.1. du CCAG Travaux, en l’absence du premier courrier de référence.

A cet égard, rappelons que l’article 50.1.1 du CCAG Travaux de 2009, dans sa version issue de l’arrêté du 3 mars 2014 (NOR: EFIM1331736A), dispose que :

 « Si un différend survient entre le titulaire et le maître d’œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. […] Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n’ont pas fait l’objet d’un règlement définitif »

 

N.B. : les nouveaux CCAG reprennent en substance les mêmes termes pour définir le mémoire de réclamation.

 Le mémoire de réclamation doit donc, d’une part, contenir les motifs du différend, les montants éventuels des réclamations et leurs justifications, et d’autre part, reprendre les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n’ont pas fait l’objet d’un règlement définitif.

 Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’État va plus loin dans ces exigences. Il rappelle tout d’abord qu’

« un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens des stipulations précitées que s’il comporte l’énoncé d’un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d’une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d’autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. »

 Ensuite, il précise que :

« Si ces éléments ainsi que les justifications nécessaires peuvent figurer dans un document joint au mémoire, celui-ci ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d’œuvre sans le joindre à son mémoire. »

 

Ainsi, si l’opérateur économique adresse au pouvoir adjudicateur un courrier sollicitant le paiement d’une somme d’argent, en faisant référence à un document antérieur qu’il lui a déjà adressé, il est tenu de communiquer ce document en copie. A défaut, son courrier ne sera pas un mémoire de réclamation.

 En l’espèce, le Conseil d’État conclut donc que la lettre de la société, qui « exposait l’un des motifs de sa contestation par référence à un courrier antérieur qui n’était pas joint à son envoi, ne pouvait être regardée, sur ce point, comme remplissant les exigences énoncées à l’article 50.1.1 du CCAG Travaux ». Dès lors, il ne s’agissait pas d’un mémoire de réclamation et les juges du fond ont à bon droit déclaré sa requête irrecevable.

 Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence appréciant très strictement le respect du formalisme du mémoire de réclamation. A ce titre, le Conseil d’État a notamment refusé de reconnaître comme tel :  

  • le courrier de l’opérateur qui ne présentait pas les bases de calcul de la réclamation alors qu’il comportait l’objet de cette réclamation ainsi que son montant global(CE, 3 octobre 2012, Communauté d’agglomération Reims Métropole, req. n° 349281) ;
  • ou encore le courrier qui, bien que complet, proposait différentes solutions pour fonder juridiquement l’octroi d’une augmentation de la rémunération de l’opérateur et proposait un entretien (CE, 26 avril 2018, communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée, req. n° 407898) ; 

En somme, en cas de difficultés rencontrées dans l’exécution des marchés publics qu’ils ont conclus, les opérateurs économiques doivent être particulièrement vigilants au formalisme de leurs mémoires de réclamation. Celui-ci doit être respecté avec autant de précaution que pour la rédaction d’un recours juridictionnel.