Un maire peut-il restreindre la chasse à courre près des habitations ? [suite et fin]

Il y a trois bonnes semaines, nous apprenions que le Conseil d’Etat avait validé les positions du TA d’Amiens puis de la CAA de Douai confirmant la légalité d’un arrêté municipal interdisant, en l’espèce, la chasse à courre à proximité des habitations, à la suite d’un événement ayant marqué cette commune.

Voir :

Mais nous n’avions pas commenté cette décision car celle-ci n’était ni sur Ariane, ni sur le site de l’ASPAS, ni sur celle des fédérations de chasseurs concernées. Après recherche, ce soir, sur Doctrine, nous venons de voir que cet arrêt y avait été publié ce qui nous permet enfin de vous en parler et de vous le fournir en fin d’article. 

 

 

Le maire de la commune de Pont-Sainte-Maxence avait interdit cette chasse aux abords des habitations (dans un périmètre de 300 ou 400 mètres selon les quartiers), en se fondant sur des « incidents récents liés à la chasse à courre ».

Les incidents étaient les suivants (utiles pour voir comment le tribunal administratif a apprécié le calibrage de cette interdiction) :

« à plusieurs reprises, des chiens de meute de chasse errant dans les rues de la commune ont été repérés. Il est constant, de plus, que le 3 février 2018, un cerf poursuivi par les chiens d’une meute de chasse à courre s’est réfugié dans la commune de Pont-Sainte-Maxence en empruntant des voies routières fortement fréquentées. L’animal est resté plusieurs heures dans les rues du centre-ville de la commune. Sa présence a nécessité l’intervention des services de gendarmerie et de la police municipale pour assurer une zone de sécurité autour de lui afin de lui injecter un tranquillisant et l’évacuer. Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, les incidents répétés liés à la chasse à courre sur le territoire de la commune de Pont-Sainte-Maxence sont constitutifs de troubles à la tranquillité et à la sécurité publique justifiant l’usage par le maire de ses pouvoirs de police générale. »

Le juge a donc validé le fait que ces mesures de police du maire :

« conduisent à constituer pour les animaux traqués une zone de refuge en lisière du secteur urbanisé de la commune, où ils pourront arrêter leur fuite, évitant ainsi de pénétrer dans les zones habitées. »

Le tribunal a toutefois censuré l’arrêté en ce qu’il interdisait aux équipages de vénerie le franchissement du domaine public routier communal : il s’agissait là de la part du maire, selon le TA, d’une entrave disproportionnée à la pratique de la chasse à courre.

Source : TA Amiens 6 mars 2020, n° 1801168 :

TA Amiens 6 mars 2020 1801168

 

Or, la Cour administrative de Douai, puis le Conseil d’Etat, ont ensuite confirmé ce jugement de 2020.

Le maire de la commune était bien compétent juridiquement, dans son principe, pour prendre un tel acte. Certes :

  • la commune est-elle membre d’un PNR mais cette compétence n’est pas dévolue au PNR, au contraire de ce qui pourrait être soutenu dans le cas d’un parc naturel national).
  • la forêt en question est-elle en partie hors du territoire communal, mais en ce cas l’arrêté doit être compris comme portant sur la partie communale de ladite forêt.

Et surtout la CAA a confirmé, avec d’autres formulations certes, le raisonnement du TA en première instance sur le fond du droit, sur la proportionnalité de l’arrêté de police :


« 8. […] le maire de la commune de Pont-Sainte-Maxence a interdit la chasse à courre dans toute l’agglomération à proximité des secteurs urbanisés et dans un périmètre de 300 mètres aux abords des habitations, périmètre étendu à 400 mètres dans les quartiers de Terriers et de Fond Robin en se fondant sur le motif tiré de ce que la pratique de cette chasse en forêt d’Halatte avait entraîné à plusieurs reprises des troubles à l’ordre public portant atteinte à la sécurité et à la tranquillité des habitants et de ce qu’un nouvel incident s’était produit le 3 février 2018 par l’emprunt, par un cervidé poursuivi par une meute de chiens, d’axes de circulation majeurs jusqu’au cœur de la ville dans des zones urbanisées denses. Il ressort des pièces du dossier que cet incident survenu le 3 février 2018 fait suite à d’autres incidents similaires survenus en 2016 et 2017 concernant la divagation de chiens de chasse dans l’agglomération et la survenue en janvier 2018 d’un accident de la circulation d’un véhicule automobile percuté par un chien de chasse à courre. Ces précédents incidents ont d’ailleurs amené le maire de Pont-Sainte-Maxence à interdire, par un précédent arrêté du 2 mars 2016, la chasse à courre à proximité des secteurs urbanisés de la commune dans un périmètre de 200 mètres aux abords des habitations. Dans ces conditions, la fédération départementale des chasseurs de l’Oise n’est pas fondée à soutenir que l’évènement survenu le 3 février 2018 présentait un caractère exceptionnel et isolé. En outre, il est constant que ce dernier évènement, survenu un samedi, un jour d’affluence, a vu un cervidé poursuivi par une meute de chiens dans les rues du centre-ville de la commune et franchir deux axes de circulation majeurs avant de se réfugier dans l’une des rues derrière l’hôtel de ville à proximité de commerces. Cette intrusion a nécessité pendant plusieurs heures l’intervention de la gendarmerie et de la police municipale pour sécuriser la zone et l’injection à deux reprises à cet animal, difficile à maîtriser, d’un produit tranquillisant afin de pouvoir le capturer pour le relâcher dans la forêt. Cet évènement, qui a eu lieu dans des zones urbanisées denses de la commune et qui faisait suite à de précédents incidents de même nature, a porté atteinte à la sécurité et à la tranquillité publiques des habitants justifiant que des mesures d’interdiction soient prises par le maire dans le cadre des pouvoirs de police générale qu’il tient de l’article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales. Les mesures prises, mentionnées au point 7, n’ont pas le caractère d’une interdiction générale et absolue dès lors qu’elles ne portent que sur les parties urbanisées de la commune dans un périmètre de 300 mètres aux abords des habitations, étendu à 400 mètres dans les quartiers de Terriers et de Fond Robin. Elles ne constituent pas davantage une mesure disproportionnée par rapport à leur objet, eu égard aux atteintes déjà portées, en l’espèce, à la sécurité et à la tranquillité des habitants de la commune. Les moyens tirés du caractère non justifié par les troubles à l’ordre public et du caractère disproportionné des mesures attaquées doivent donc être écartés.»

Source : 

CAA Douai, 25 mai 2021 req 20DA00793

 

 

L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat est ensuite une décision de rejet en cassation donc elle est nécessairement laconique. Mais les moyens de cassation suivants ont tous été rejetés :

  • erreur de droit (la fédération de chasse tentant de poser que la police spéciale de la chasse exercée par l’Etat ferait obstacle à ce que le maire réglemente la chasse à courre au titre de ses pouvoirs de police générale  – sur le fait qu’en ce domaine, le juge apprécie vraiment au cas par cas de manière parfois même déroutante, voir : CE, S., 18 décembre 1959, Lutétia, n°36385 36428, publié au rec. ; CE, 5 juin 2019, n° 417305 et CE, 27 juillet 2015, 367484 ; CAA Versailles , 4 juillet 2019, 16VE02718 ; CE, 11 juillet 2019, n° 426060 ; CE, Ass., 26 octobre 2011, n°326492, n°329904 et n° 341767 – 341768 ; CE, 5 juin 2019, n° 417305 ;  CE, ord., 17 avril 2020, n°440057 ; CE, 31 décembre 2020, n° 439253 ; etc. Voir sur notre blog nos nombreux articles à ce sujet)
  • dénaturation des pièces du dossier
  • erreur de qualification juridique des faits ou, à tout le moins, d’une dénaturation des pièces du dossier en déniant le caractère général et absolu des interdictions édictées sur l’ensemble du territoire de la commune et sans limitation de durée ;
  • erreur de qualification juridique des faits (la fédération estimant que ces mesures étaient disproportionnées).

 

Source CE, 4 févr. 2022, n° 454933.