Droit souple et cookies durs

Le droit accélère sa course depuis quelques années en matière de droit souple (I) et de cookies (II). Au confluent de ces deux problématiques, vendredi dernier, le Conseil d’Etat a rendu une importante décision à publier en intégral au recueil Lebon dont il ressort qu’une interprétation de la CNIL en matière de cookies (traceurs de connexion) est bien un acte de droit souple susceptible de recours, d’une part, et que la position de ladite CNIL en matière de cookies d’affiliation est bien validée par le juge administratif, d’autre part (III).

 

 

I. Rappels sommaires sur le droit souple

 

Le « droit souple » ne cesse d’être toujours plus étroitement pris en compte par le juge administratif, lequel maintenant étend son contrôle aux lignes directrices de l’administration même non impératives, même hors le champ étroit des actes des autorités administratives indépendantes…

Avec l’arrêt GISTI (12 juin 2020, n° 418142), le Conseil d’Etat vient d’unifier le régime juridique de ces éléments de droit souple y compris les lignes directrices, les circulaires, les guides, etc.

Au lendemain de l’arrêt GISTI de 2020, en 3 mn 49, j’avais tenté de faire une vidéo à ce sujet  :

https://youtu.be/moPk8paYT8s

Puis plus récemment, en 2022, j’avais commis cette autre vidéo (de 6 mn 16) du point de vue cette fois des administrations publiques :

https://youtu.be/ZfBR5AHIPLE

De cette nouvelle jurisprudence, ressortent :

  • 1/ un cadre unique (ce qui est nouveau) pour les « documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif »
  • 2/ avec une recevabilité des recours contre ces actes lorsque ceux-ci sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ce qui inclut les actes impératifs (ce qui était déjà le cas) mais aussi les actes ayant un caractère de ligne directrice (ce qui est pus large qu’avant, dont sans doute, en fonction publique, les fameuses lignes directrices de gestion, sauf pour les agents chargés de les mettre en oeuvre).
  • 3/ et avec un office du juge en ce domaine qui en ressort clarifié et unifié.

 

Sources : CE, 12 juin 2020, GISTI, n° 418142 ; pour les circulaires, voir le célèbre arrêt Duvignères (CE, S., 18 décembre 2002, n° 233618 ; voir aussi CE, 20 juin 2016, n° 389730) ; pour les directives de droit national, voir CE, S, 11 décembre 1970, Crédit foncier de France, rec. p. 750 ; pour le droit souple des autorités de régulation, voir les décisions d’Assemblée du contentieux du CE du 21 mars 2016, Fairvesta International, n° 368082, et Société Numéricable, n° 390023 ; s’agissant du refus d’une autorité de régulation d’abroger un acte de droit souple, voir CE, Section, 13 juillet 2016, Société GDF Suez, n° 388150, p. 384 ; sur les recours contre les actes de droit souple susceptibles d’avoir des effets notables sur les intéressés, voir CE, Ass., 19 juillet 2019, n° 426389. A comparer avec CE, 21 octobre 2019, n°419996 419997 ; pour le cas des décisions des autorités administratives indépendantes non décisoires mais pouvant avoir une influence, voir CE, 4 décembre 2019, n° 416798 et n°415550 (voir aussi CE, 30 janvier 2019, n° 411132 ; CE, 2 mai 2019, n°414410) ; pour les guides voir CE, 29 mai 2020, n° 440452 ; sur l’état du droit quant aux lignes attaquables ou non avant ce nouvel arrêt GISTI voir CE, 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu, n° 245961.

Voir aussi entre autres :

 

 

II. Renvoi à une recette rapide en matière de cookies

 

L’art culinaire est tout d’exécution et force est de constater que les grands chefs (CJUE ; CE ; CNIL) ont des recettes similaires en matière de cookies, mais avec quelques tour-de-mains et ingrédients un brin différents.  

 Nous avions retracé la recette, complexe, de ces cookies légaux, concoctée arrêt après arrêt par les juridictions, jusqu’à aboutir à une décision rendue en janvier dernier par le Conseil d’Etat. 

Voici cet article :

NB : article portant sur un sujet connexe, mais au sein duquel j’avais tenté de faire un point sur le droit applicable en matière de cookies (traceurs de connexion). 

 

 

III. L’arrêt rendu le 8 avril 2022

 

En premier lieu, le Conseil d’Etat, note que :

  • « Par la question – réponse n° 12 mise en ligne le 18 mars 2021 sur le site internet de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), cette autorité a fait part aux responsables de traitement et personnes concernées de son interprétation de l’article 82 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, quant à la portée et au champ d’application des exemptions à l’obligation de consentement préalable au dépôt des traceurs de connexion, en ce qui concerne les opérations dites d’affiliation. Eu égard à sa teneur, cette prise de position, émise par l’autorité de régulation sur son site internet, est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui se livrent à des opérations d’affiliation et des utilisateurs et abonnés de services électroniques. Il suit de là que cette question-réponse n° 12 et le refus de la CNIL de la retirer sont susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.»

Bref, c’est un acte de droit souple susceptible de recours pour excès de pouvoir. Ce qui allait tout de même un peu de soi.

 

En second lieu, le Conseil d’Etat valide la position de la CNIL en ce qui concerne les cookies propres aux opérations dites d’affiliation :

« Par la question – réponse n° 12 mise en ligne le 18 mars 2021 sur le site internet de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), cette autorité a fait part aux responsables de traitement et personnes concernées de son interprétation de l’article 82 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, quant à la portée et au champ d’application des exemptions à l’obligation de consentement préalable au dépôt des traceurs de connexion, en ce qui concerne les opérations dites d’affiliation. 1) Eu égard à sa teneur, cette prise de position, émise par l’autorité de régulation sur son site internet, est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui se livrent à des opérations d’affiliation et des utilisateurs et abonnés de services électroniques. Il suit de là que cette question-réponse n° 12 et le refus de la CNIL de la retirer sont susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. 2) a) Les opérations d’affiliation sur lesquelles porte la question – réponse n° 12 impliquent l’utilisation de traceurs de connexion afin de déterminer si l’internaute qui a accompli un acte d’achat sur un site marchand s’est connecté sur ce site à partir d’un lien figurant sur celui de l’opérateur affilié. Ces traceurs ont pour seule finalité de permettre la rémunération de l’affilié par l’éditeur du site marchand, le cas échéant par l’intermédiaire d’une plateforme d’affiliation. Ils n’ont pas pour finalité de permettre ou de faciliter la communication par voie électronique au sens de l’article 82 de la loi du 6 janvier 1978, dès lors qu’aucun traceur de connexion de la nature de ceux utilisés pour la facturation des opérations d’affiliation n’est nécessaire pour qu’un internaute se connecte à un site marchand à partir d’un site édité par un tiers et y effectue un achat. Ils ne peuvent davantage être regardés comme strictement nécessaires à la fourniture d’un service de communication en ligne à la demande expresse de l’utilisateur, alors que la rémunération de l’affilié par l’éditeur du site marchand ne répond pas à une demande de l’utilisateur. Par ailleurs, la circonstance que certains traceurs seraient nécessaires à la viabilité économique d’un site ou d’un partenariat ne saurait conduire à les ranger dans l’une ou l’autre des exceptions prévues par l’article 82 de la loi du 6 janvier 1978. Enfin, ces traceurs n’ont, en tout état de cause, pas la même finalité que ceux permettant la mesure de l’audience des sites internet. Par suite, la CNIL n’a pas méconnu l’article 82 de la loi du 6 janvier 1978 en exigeant que le consentement des utilisateurs soit recueilli préalablement au dépôt et à l’utilisation des traceurs en cause. b) Il ressort des termes de la question-réponse n° 12 que les éléments donnés par cette réponse portent uniquement sur les traceurs de connexion utilisés exclusivement à des fins de facturation des opérations d’affiliation. Elle ne s’applique ainsi pas aux traceurs de connexion mis en oeuvre pour les besoins de services de remboursement, dits de « cashback », ou de récompense, dits de « reward », par lesquels un internaute, après s’être inscrit pour ce type de services auprès de l’éditeur d’un site partenaire, bénéficie d’un remboursement partiel ou d’un avantage, comme des bons de réduction ou des tarifs préférentiels, ou attache une conséquence à son achat, lorsqu’il effectue un acte d’achat sur un site marchand auquel il s’est connecté à partir d’un lien figurant sur ce site partenaire, quand bien même ces mêmes traceurs peuvent également servir à la facturation d’opérations assimilables à l’affiliation entre ces éditeurs. Les éléments de réponse contestés n’ont donc pas pour objet, et n’auraient pu avoir légalement pour effet, d’exiger que le dépôt et l’utilisation de tels traceurs soient précédés du recueil du consentement de l’internaute, dans la mesure où ils sont alors strictement nécessaires à la fourniture d’un service de communication en ligne à la demande expresse de l’utilisateur.»

 

Source : Conseil d’État, 8 avril 2022, n° 452668, à publier au recueil Lebon