En matière de contrats privés de la commande publique, tous les candidats évincés ne peuvent pas saisir le juge du référé contractuel. En effet, cette possibilité est réservée aux marchés, au sens du code de la commande publique.
Situé à l’interface des difficultés de qualifications liées à la frontière entre marchés et concessions et de l’articulation des voies de recours, l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Com. 22 juin 2022, FS-B, n°19-25.434) précise que le candidat évincé d’un appel d’offres pour un contrat de concession ne peut pas saisir le juge du référé contractuel, mais que celui-ci est libre d’utiliser les voies de droit commun.
Il s’agissait, en l’espèce, d’un appel d’offres pour l’attribution des opérations de dépannage des poids lourds sur une portion d’autoroute exploitée par la société A., concessionnaire d’autoroute. Deux offres ont ensuite été déposées en réponse, comprenant notamment celle de la société B., précédemment chargée du service depuis l’année 2012. Après avoir été informée que sa candidature n’avait pas été retenue, la société B. a saisi le juge du référé contractuel en nullité du contrat, au motif que la société A. n’avait pas respecté ses obligations de publicité et de mise en concurrence.
Par une ordonnance rendue le 19 novembre 2019, le TGI de Bordeaux a estimé que le référé était recevable, en affirmant qu’il résultait de l’article L.122-12 du code de la voirie routière la privation pour les candidats évincés de tout recours judiciaire en raison des manquements commis par la société concessionnaire alors que la volonté du législateur serait de soumettre précisément la passation de ces contrats aux procédures de référé précontractuel et contractuel.
Cette ordonnance a fait l’objet d’un pourvoi en cassation, de la part non seulement de la société concessionnaire, mais également de la société évincée. Celui intéressant la suite des développements ici présentés, formé par la société concessionnaire, faisait grief à l’ordonnance de considérer le contrat de concession en cause comme un marché au sens de la commande publique, ayant pour conséquence mécanique de permettre à la société évincée de saisir le juge du référé contractuel.
Sur la qualification de marché (I.), d’une part, comme au sujet de la recevabilité du référé contractuel en matière de concession et de ses implications vis-à-vis du droit d’accès à un tribunal (II.), la chambre commerciale de la Cour de cassation s’inscrit en faux par rapport à l’ordonnance de référé, donnant lieu au prononcé d’une cassation sans renvoi.
I. L’identification du contrat de concession par application des critères de distinction classiques
La recevabilité du référé contractuel étant conditionnée par la présence d’un marché, la question de la qualification du contrat en cause se posait avec acuité.
L’ordonnance de référé avait qualifié le contrat en cause de marché, au motif que, si le concessionnaire ne versait aucun paiement au dépanneur pour l’exécution du contrat, l’agrément donné à celui-ci en lui permettant d’intervenir de façon exclusive sur un secteur d’autoroute déterminé avait pour contrepartie économique le prix facturé aux usagers, sans l’exposer pour autant véritablement aux aléas du marché compte tenu de sa situation économique.
Remettant en cause la pertinence de la motivation de l’ordonnance attaquée, la chambre commerciale commence par se référer aux articles L.1111-1 et L.1121-1 du code de la commande publique, définissant le marché et la concession, dans le but d’écarter l’application des articles 2 à 4 et 11 à 14 de l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.
Ainsi, le marché est un contrat conclu pour répondre à des besoins en matière de travaux, de fournitures, ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout autre équivalent. Compte tenu du fait que le contrat litigieux ne prévoyait ni rémunération versée par le concessionnaire d’autoroute, ni mécanisme de compensation des pertes éventuelles, mais également du fait que l’entreprise sélectionnée supportait les risques liés à l’exploitation du service rendu, caractéristique inhérente au contrat de concession ; la chambre commerciale affirme que « dans ces conditions, le contrat en cause ne constitue pas un marché au sens des dispositions de l’article L.1111-1 du code de la commande publique » (§25).
En somme, la rémunération octroyée par la facturation à l’usager, sur laquelle l’ordonnance entendait fonder une qualification de marché, ne suffit pas à caractériser l’existence une contrepartie, critère inhérent à celui-ci.
Une fois la nature du contrat assurée, quid des conséquences quant au régime contentieux du contrat de concession ?
II. L’exclusion des contrats de concession du champ du référé contractuel tempéré par la possibilité de saisir le juge de droit commun
Il découle de la nature concessive du contrat en cause l’impossibilité pour le candidat évincé de former un référé contractuel, puisque les articles 2 à 4 et 11 à 14 de l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 définissant le champ des contrats concernés réserve cette compétence aux marchés. Par conséquent, le juge du référé contractuel ne peut connaître d’un tel recours.
Pour finir, au niveau des conséquences relatives à l’articulation des voies de recours, l’ordonnance avait retenu que toute solution qui consisterait à fermer la voie du référé contractuel prévue par l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 reviendrait à priver le candidat évincé de tout recours judiciaire. En ce sens, le TGI avait également affirmé que la volonté du législateur était de « soumettre la passation des contrats des sociétés concessionnaires d’autoroute, critiqués pour leur opacité, aux procédures de référé précontractuel et contractuel ».
Visant l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que l’article 11 de l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009, la chambre commerciale énonce à l’inverse que
« l’impossibilité de saisir le juge du référé contractuel n’empêche pas les candidats évincés d’un appel à concurrence de saisir le juge de droit commun pour faire valoir leurs droits et ne porte donc pas atteinte à leur droit d’accès à un tribunal » (§20).
C’est pourquoi, en somme, la société évincée n’était pas recevable à exercer un référé contractuel, et devait saisir le juge de droit commun !
*article rédigé avec la collaboration de Thomas Mancuso, stagiaire