La participation au transport et à la pose de mines antipersonnelles sera un crime de guerre… ou pas.

Source : US army - Désamorçage de mines antipersonnel d'origine russe en Irak en 2003 - photo by Spc. Derek Gaines

Le point de savoir si la La participation au transport et à la pose de mines antipersonnelles sera un crime de guerre soulève des difficultés, y compris en droit administratif français, notamment sur le point de savoir si une personne l’ayant pratiqué aura, ou non, commis un crime de guerre, au point de l’exclure du bénéfice du droit d’asile.

Si cette pratique antérieure du transport et de la pose de mines antipersonnelles s’est faite, comme en l’espèce, lors des guerres de Tchétchénie, cela soulève un problème de plus, car se pose la question de savoir si lesdites guerres ont été, ou non, des guerres relevant du premier protocole additionnel à la convention de Genève.

Sur ce dernier point, la réponse du Conseil d’Etat est sans surprise. La France n’ayant jamais reconnu comme indépendante la république de Tchétchénie (partie de la Russie, en droit, alors comme aujourd’hui), la réponse est négative. Citons sur ce point le résumé de la base Ariane qui préfigure celui des tables du rec. :

« le premier protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949, adopté le 8 juin 1977, qui est relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, ne s’applique pas aux conflits armés non internationaux, catégorie dont il n’est pas contesté que relève le conflit armé qui opposa l’armée fédérale russe aux indépendantistes tchétchènes à compter d’août 1999 dit ”seconde guerre de Tchétchénie ”»

Alors, exit le droit international sur les mines ?

Niet, objecte la Haute Assemblée. Au nom du droit international coutumier :

« l’interdiction d’utiliser des armes de nature à causer des maux superflus, énoncée à l’article 35, constitue une règle coutumière du droit international humanitaire […] applicable à de tels conflits.»

Alors, toute personne ayant manipulé des mines antipersonnel lors de ces terribles guerres est un criminel de guerre ? NON, en tous cas pas dans le cadre dudit droit coutumier, pose le Conseil d’Etat.

Si s’appliquent le premier protocole de la convention de Genève ou d’autres cadres juridiques précis, on applique ceux-ci. A défaut, au minimum, cette interdiction coutumière de l’utilisation des armes de nature à causer des maux superflus ne fera pas automatiquement un crime au moindre transport ou à la moindre pose de mines antipersonnel. Tout dépendra des circonstances. Reprenons la citation du futur résumé des tables :

« si les conditions d’emploi de ces armes sont telles qu’elles traduisent notamment l’exercice d’une violence indiscriminée impliquant nécessairement des atteintes graves à la vie et à l’intégrité physique de civils, la participation à leur transport et à leur pose est susceptible d’être regardée comme présentant le caractère d’un crime de guerre au sens du a du F de l’article de la convention de Genève.»

 

En l’espèce, M. B…, de nationalité russe et d’origine tchétchène, s’est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en 2010.

En 2020, cette personne a perdu ce statut de réfugié car « lors de la seconde guerre de Tchétchénie, l’intéressé avait apporté son concours au transport de mines antipersonnel et aidé les ingénieurs et poseurs de ces mines, dans les districts de Kourtchaloï et d’Argoun».

Cette qualification n’était pas assez précise pour justifier cette perte de la qualité de réfugié : le Conseil d’Etat impose donc que soit qualifiée le fait que les « conditions d’emploi de ces armes [aient été] telles qu’elles traduis[ai]ent notamment l’exercice d’une violence indiscriminée impliquant nécessairement des atteintes graves à la vie et à l’intégrité physique de civils ». Dans le cas de conflits internes à un pays, et hors ratification de textes particuliers, la pose de mines antipersonnel entre soldats par exemple ne serait pas constitutive de crimes de guerre.

L’affaire est renvoyée vers la Cour nationale du droit d’asile pour ré-examiner le dossier selon ce nouveau prisme.

Il est possible aussi que, sans le dire, le Conseil d’Etat ait été conscient de ce que, dans ces deux guerres civiles atroces, de part et d’autres, tout soldat qui aurait fait part de ses scrupules humanitaires aurait eu une durée de vie soudainement raccourcie.

 

Source :

Conseil d’État, 27 septembre 2022, n° 455663, à mentionner aux tables du recueil Lebon

 

Voir aussi les conclusions de M. Philippe RANQUET, Rapporteur public :

Source : US army – Désamorçage de mines antipersonnel d’origine russe en Irak en 2003
– photo by Spc. Derek Gaines