Un nouveau TA (celui de Caen, après ceux de Montpellier puis de Marseille) censure ceux des arrêtés de retour aux 90 km/h qui ont adopté des motivations stéréotypées (et non détaillées au cas par cas). L’intérêt de cette nouvelle affaire est de démontrer qu’il ne suffit pas pour les départements de brandir une étude d’accidentalité. Encore faut-il ensuite la décliner, de manière non stéréotypée, arrêté par arrêté, au stade la motivation de chaque acte du Président du conseil départemental.
Avec le décret n° 2018-487 du 15 juin 2018, et avec les effets politiques que l’on sait, les routes départementales étaient passées à 80 km/h (sauf pour les routes à moins deux voies affectées à un même sens de circulation) :
Puis, après la crise des gilets jaunes, la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) a prévu le retour aux 90 km / h l’assouplissement des 80 km/h, comme convenu, aux mains des présidents de conseils départementaux et/ou des préfets.
Voir :
Le nouvel article L. 3221-4-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), qui est d’application immédiate, ainsi rédigé:
«Art. 1. 3221-4-1. – Le président du conseil départemental ou, lorsqu’il est l’autorité détentrice du pouvoir de police de la circulation, le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale peut fixer, pour les sections de routes hors agglomération relevant de sa compétence et ne comportant pas au moins deux voies affectées à un même sens de circulation, une vitesse maximale autorisée supérieure de la km/h. à celle prévue par le code de la route. Cette décision prend la forme d’un arrêté motivé, pris après avis de la commission départementale de la sécurité routière, sur la base d’une étude d’accidentalité portant sur chacune des sections de route concernées. »
On notera l’obligation de motiver ces arrêtés..
Comment éviter les sorties de routes ? Comment calibrer ces dérogations sur des critères assez objectifs pour limiter les engagements de responsabilité, pour les élus concernés ? A cet effet, il sera utile de s’appuyer sur l’étude ad hoc du conseil national de la sécurité routière (CNSR) du 9 juillet 2019, intitulée « Dérogation à la vitesse maximale autorisée de 80 km/h sur route bidirectionnelle sans séparateur central : éléments d’aide à la décision ». Voir
Voir aussi :
Voir aussi l’instruction du 15 janvier 2020 (NOR : INTS2000917J), que voici :
A charge, pour ne pas commettre l’infraction d’homicide ou de blessures par négligence ou imprudence, pour les élus concernés, à l’avenir, de ne pas commettre de « faute caractérisée » dans ce domaine (pas de retour aux 90 km/h pour les tronçons à fort taux d’accidents par exemple… ; pas de retour de toute la voirie concernée en dépit des pressions, par exemple…).
Le 6 avril 2022, nous commentions un jugement rendu, la veille, par le TA de Montpellier qui avait annulé, pour vice de forme, 25 arrêtés du président du conseil départemental de l’Hérault réglementant à 90 km/h la vitesse maximale autorisée des véhicules circulant sur 25 sections de routes départementales de l’Hérault pour insuffisance de motivation, en considérant qu’ils ne précisaient pas les raisons permettant ce relèvement, au regard notamment de l’accidentalité de ces sections de route. Le tribunal avait estimé que la mention utilisée à l’identique dans les 25 arrêtés attaqués selon laquelle ces routes départementales « présentent toutes les caractéristiques requises pour relever la vitesse à 90 km/h », sans préciser les raisons ayant rendu possible, au regard notamment de l’accidentalité, le relèvement de la vitesse maximale autorisée sur chacune des sections de route concernées, était insuffisante pour motiver ces décisions
Le jugement écarte cependant le moyen relatif à la contestation du bien-fondé du relèvement de cette vitesse maximale autorisée.
Puis vint la décision du TA de Marseille, opérant la même censure, pour les mêmes motifs.
L’association Ligue contre la violence routière – fédération nationale avait demandé l’annulation de quatorze arrêtés des 15, 16, 18, 19 et 22 juin 2020 par lesquels le président du conseil départemental des Hautes-Alpes avait, par dérogation à la vitesse maximale autorisée sur les routes départementales dépourvues de séparateur médian, porté cette vitesse maximale à 90 km/h sur certaines sections de routes départementales.
Par un jugement n° 2005792 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a annulé ces arrêtés comme étant insuffisamment motivés en fait. Les effets de ces annulations ont été modulées dans le temps pour être effectives à compter du 1er février 2023.
Voici ce jugement :
Et voici donc, maintenant, le TA de Caen qui confirme cette lignée jurisprudentielle avec un apport supplémentaire.
Il en ressort, clairement, que la motivation qui doit, donc, être vraiment tronçon par tronçon même quand on a une étude d’accidentalité (faute pour les résultats de cette étude d’être ensuite déclinés pour motiver précisément chaque arrêté, pour chaque tronçon donc) :
8. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier le relèvement à 90 km/h de la vitesse maximale autorisée sur les sections de routes départementales concernées, les arrêtés attaqués reprennent une motivation identique selon laquelle « les caractéristiques techniques des routes départementales, en particulier la géométrie et les équipements de sécurité » sont compatibles avec ce relèvement. Ces arrêtés se fondent sur la circonstance que l’application, pendant près de dix-huit mois, d’une limitation de vitesse à 80 km/h n’aurait pas démontré son efficacité et précisent que cette mesure vise à lutter contre l’augmentation des temps de parcours ayant une incidence négative sur l’économie. Or, ces arrêtés, qui visent pourtant une étude d’accidentalité présentée devant la commission départementale de sécurité routière le 9 juin 2020, ne mentionnent pas les motifs justifiant un relèvement de la vitesse maximale autorisée au regard de l’étude d’accidentalité et ce, pour chacune des sections de routes départementales concernées. Par suite, le moyen tiré de l’insuffisante motivation des arrêtés litigieux doit être accueilli.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la Ligue contre la violence routière – fédération nationale est fondée à demander l’annulation des cent trente-huit arrêtés du 10 juin 2020 par lesquels le président du conseil départemental de l’Orne a relevé à 90 km/h la vitesse maximale autorisée sur certaines sections de routes départementales.
Source :
Attention cependant. Si un requérant est une association nationale, et non locale, son intérêt à agir risque d’être compromis. Voir :
Mais on notera que ce point n’a pas soulevé de difficulté devant certains TA précités. A suivre…
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