TA et CAA pourront, eux aussi, goûter aux plaisirs défendus de l’oralité au stade de l’instruction

En 2020, en sus de quelques autres réformes mineures de sa procédure, le Conseil d’Etat expérimentait, avec audace, deux plaisirs autrefois défendus au stade de l’instruction : l’oralité ; des phases préliminaires étendues.

Puis ce régime d’expérimentation de l’oralité (qui en réalité n’était qu’à moitié une vraie nouveauté) avait été prolongé à tout 2022.

Or, voici qu’un nouveau décret pérennise ce régime et, surtout, qu’il étend l’accès à ce plaisir défendu aux TA et aux CAA.  

Refaisons le point sur cette réforme, état par étape. 

 

 

I. Rappel du régime expérimental prévu par le décret 2020-1404 du 18 novembre 2020

 

En novembre 2020, le Conseil d’Etat s’ouvrait, sur le papier, à l’oralité dès certaines phases d’instruction :

 

On pouvait voir la vieille et noble maison qu’est le Conseil d’Etat découvrir — pour une durée expérimentale de 18 mois —  les plaisirs autrefois défendus dans les échanges avec les parties :

  • de l’oralité (très libéralement pratiquée d’ailleurs) dès l’instruction, d’une part,
  • et de l’extension des phases préliminaires de l’instruction, d’autre part.

 

Le tout se matérialisait par le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 portant expérimentation au Conseil d’Etat des procédures d’instruction orale et d’audience d’instruction et modifiant le code de justice administrative (NOR : JUSC2025559D), que voici :

Ainsi pendant 18 mois (délai aura donc été prolongé depuis fois depuis, voir ci-dessous), le Conseil d’Etat, à titre expérimental a pu laisser libre :

  • à une formation chargée de l’instruction d’organiser une séance orale d’instruction.

    La formation chargée de l’instruction peut en effet tenir une séance orale d’instruction au cours de laquelle elle entend les parties sur toute question de fait ou de droit dont l’examen paraît utile.Les parties sont convoquées à la séance par un courrier qui fait état des questions susceptibles d’être évoquées. Toute autre question peut être évoquée au cours de cette séance.Peut être également convoquée à cette séance toute personne dont l’audition paraît utile à la formation chargée de l’instruction.On le voit donc : les modalités sont très libres, organisée par les juges, mais très libres.

    Un vrai air de liberté soufflant sur le Palais Royal. De l’inédit depuis au moins la libertine régence…

  • à une formation de jugement, de tenir une audience d’instruction.

    Cette audience publique est l’occasion pour les parties d’être « entendues sur toute question de fait ou de droit dont l’examen paraît utile. ». Avec un temps de réflexion puisque l‘audience d’instruction ne peut se tenir moins d’une semaine avant la tenue de la séance de jugement au rôle de laquelle l’affaire doit être inscrite.Les parties sont convoquées à l’audience d’instruction par le président de la formation de jugement par un courrier qui fait état des questions susceptibles d’être évoquées.
    Peuvent être également convoquées à cette audience toutes les personnes dont l’audition paraît utile à la formation de jugement.Plus fort : les «  parties ou, si elles sont représentées, leurs représentants peuvent présenter des observations orales à l’audience d’instruction » (même les avocats à la Cour donc).

    Avouons le : je ne croyais pas voir un jour telle audace pénétrer les allées du Palais Royal.

 

De plus, les avocats au Conseil d’Etat (et… toujours uniquement ceux-ci 😤) seront désormais invités à présenter des observations orales après le prononcé des conclusions du rapporteur public, et non plus avant (ce qui met la Haute Assemblée au même niveau — horresco referens — que les TA et les CAA et, surtout, en conformité avec les exigences de la CEDH pour schématiser un sujet complexe).

Ce décret prévoyait enfin que les jugements sont prononcés par une mise à disposition au greffe et non plus par une lecture en audience publique.

Bref, on le voit, le Palais Royal se dérida. Un peu.

 

 

II. Ce régime est-il distinct de l’enquête à la barre ?

 

OUI.

Il s’agit certes un peu d’une extension de « l’enquête à la barre » qui déjà permet un peu d’oralité et de contradiction au stade de l’instruction.

CELA DIT ladite enquête à la barre est loin d’égaler ce nouveau régime car ladite enquête, minutieusement corsetée par les articles R.623-1 à R.623-8 du CJA, porte pour l’essentiel sur des questions d’auditions de témoin.

Le nouveau régime s’avère donc bien plus large dans son objet comme dans ses modalités.

 

 

 

III. Toute première fois…

 

C’est le jeudi 9 septembre 2021, s’est tenue la 1e «audience publique d’instruction » au Conseil d’État, selon cette expérimentation.

Et pour ces plaisirs de l’oralité dès l’instruction, pour le Conseil d’Etat, la toute première fois, toute toute première fois, fut celle de la séance de ce jeudi 9 septembre 2021.

 

Voici cette séance mémorable de découverte, ainsi narrée par la Haute Assemblée elle-même :

« Le 9 septembre s’est tenue pour la première fois une audience publique d’instruction au Conseil d’État.
Cette audience s’inscrit dans le cadre de l’expérimentation sur l’oralité dans les affaires au fond prévue par le décret du 18 novembre 2020.
Le Conseil d’État a été saisi par cinq syndicats et une organisation patronale de la branche du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire dans un contentieux de droit du travail (extension d’un avenant à la convention collective) qui pose la question de la définition du « salaire minimum hiérarchique ».
Cette audience a permis à la formation de jugement (4e et 1e chambres réunies) d’interroger directement les six requérants et le ministère du travail, défendeur, en amont de l’audience de jugement qui se tiendra le 20 septembre.
L’objectif d’une telle séance était d’éclairer pleinement les juges, en complément de l’instruction écrite, sur les enjeux de l’affaire, et de permettre aux parties d’apporter, au cours d’un échange contradictoire direct, tout complément à leurs productions écrites. »

Voir :

 

Toute première fois, Jeanne Mas, 45 tours, 1984
Toute première fois, Jeanne Mas, 45 tours, 1984

 

IV. 2022, année de prolongation de ces plaisirs expérimentaux 

 

Ce régime d’expérimentation de l’oralité (qui en réalité n’était qu’à moitié une vraie nouveauté) vient d’être prolongé par le décret n° 2022-387 du 18 mars 2022 prolongeant l’expérimentation au Conseil d’Etat des procédures d’instruction orale et d’audience d’instruction (NOR : JUSC2204838D) :

Décidément, le Conseil d’Etat change :

 

V. Extension du domaine de l’oralité (JO de ce matin)

 

Papa le Palais Royal a goûté. Il n’en est pas tombé malade. Donc les enfants un peu partout sur le territoire national peuvent maintenant eux aussi savourer ce fruit défendu de l’instruction orale.

Car au JO de ce matin nous vint le décret n° 2023-10 du 9 janvier 2023 relatif aux procédures orales d’instruction devant le juge administratif (NOR : JUSC2232270D) :

Ce décret :

  • pérennise deux procédures d’instruction orale des affaires, expérimentées préalablement par la section du contentieux du Conseil d’Etat pendant près de deux ans.
  • étend ce régime (séances orales d’instruction et des audiences publiques d’instruction) aux  tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel.

 

Soit le texte suivant avec un article premier de réorganisation du CJA :

  • « I. – Le chapitre VI du titre II du livre VI de la partie réglementaire du code de justice administrative devient le chapitre VII intitulé « Dispositions diverses » et les articles R. 626-1, R. 626-2, R. 626-3 et R. 626-4 deviennent respectivement les articles R. 627-1, R. 627-2, R. 627-3 et R. 627-4.
    II. – Les articles R. 625-1, R. 625-2 et R. 625-3 du même code deviennent les articles R. 626-1, R. 626-2 et R. 626-3 d’un chapitre VI intitulé : « Les autres mesures d’instruction ».
    III. – A l’article R. 626-4, devenu R. 627-4, du même code, la référence à l’article R. 626-3 du code de justice administrative est remplacée par une référence à l’article R. 627-3 du même code.
    IV. – Aux articles R. 4126-22 du code de la santé publique et R. 145-34 du code de la sécurité sociale, la référence à l’article R. 626-4 du code de justice administrative est remplacée par une référence à l’article R. 627-4 du même code.»

 

Et, surtout, l’article 2 que voici :

  • « Chapitre V
    « Les procédures orales d’instruction
  • « Art. R. 625-1. – En complément de l’instruction écrite, la formation de jugement dans un tribunal ou une cour, ou la formation chargée de l’instruction au Conseil d’Etat, peut tenir une séance orale d’instruction au cours de laquelle elle entend les parties sur toute question de fait ou de droit dont l’examen paraît utile.
    « Les parties sont convoquées par un courrier qui fait état des questions susceptibles d’être évoquées. Toute autre question peut être évoquée au cours de cette séance.
    « Peut également être convoquée toute personne dont l’audition paraît utile.

    « Art. R. 625-2. – La formation de jugement peut tenir une audience publique d’instruction au cours de laquelle les parties sont entendues sur toute question de fait ou de droit dont l’examen paraît utile. Cette audience ne peut se tenir moins d’une semaine avant la séance de jugement au rôle de laquelle l’affaire doit être inscrite.
    « Le président de la formation de jugement convoque les parties par un courrier qui fait état des questions susceptibles d’être évoquées. Peut également être convoquée toute personne dont l’audition paraît utile.
    « Les parties ou, si elles sont représentées, leurs représentants peuvent présenter des observations orales à l’audience d’instruction. »