Rapatriements depuis la Syrie : le juge des référés du TA de Paris persiste à voir des actes de Gouvernement dans les refus de rapatriements depuis la Syrie…
Seul petit problème : cette position, comme le juge ne devait pas l’ignorer, s’avère radicalement contraire à une position, claire, de la CEDH condamnant la France sur ce point (et n’imposant pas lesdits rapatriements, mais contraignant notre pays à se doter de recours juridictionnels en cas de refus en ce domaine. Nuance).
Nationalisme juridique échevelé au delà de ce que l’on peut déjà constater ? Souhait de laisser au Conseil d’Etat la responsabilité d’un aussi important revirement de jurisprudence ? Astuce consistant à poser que la position de la CEDH n’était pas encore applicable ?
Toujours est-il que s’asseoir aussi nettement sur une décision de la CEDH fait un peu désordre.
Il y a 5 mois, la décision de la CEDH condamnait le refus de la France de de rapatrier les enfants et petit-enfants des requérants détenus dans des camps en Syrie, « faute de formalisation des décisions de refus et de contrôle juridictionnel sur l’absence d’arbitraire » :
NB : voir aussi : Arrêt de Grande Chambre H.F. et autres c. France – examen des demandes de retour des filles et petits-enfants des requérants détenus dans des camps en Syrie
Attention : la CEDH ne créait absolument pas un « droit général au rapatriement » de ces personnes : elle censurait juste l’absence de procédures de droit au stade des décisions de refus, d’une part, et de contrôle juridictionnel à ce sujet, d’autre part.
… Ce qui devrait imposer, pour ce second point, au Conseil d’Etat de revenir sur sa jurisprudence selon laquelle ces décisions sont des « actes de gouvernement »
Voir par exemple Conseil d’État, 9 septembre 2020, n° 439520 et Conseil d’État, ord., 23 avril 2019, n°429668.
Voir :
- Enfants de djihadistes détenus en Syrie : la France, condamnée « faute de formalisation des décisions de refus et de contrôle juridictionnel sur l’absence d’arbitraire , va devoir restreindre la catégorie des « actes de gouvernement »
- Acte de Gouvernement : confirmations et remises en question [court article et VIDEO]
Or (et grâces soient rendues à M. Amine Elbahi qui m’a informé de l’existence de cette décision), voici que (volontairement, ce ne peut être une bourde) le TA de Paris persiste à soulever la position, précitée, du Conseil d’Etat de 2019 consistant à y voir un acte de Gouvernement, ce qui conduit à une absence de droit au recours juridictionnel… ce qui est précisément rejeté par la CEDH (avec certes les effets particuliers, notamment dans le temps, des censures de la CEDH, mais ce point est un détail en réalité).
Citons cette décision du TA de Paris qui très clairement est un refus d’obtempérer à la cour de Strasbourg :
« 2. M. et Mme C demandent au juge des référés d’enjoindre au ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de procéder au rapatriement de leur petite-fille A C et de leur arrière-petite-fille E C, actuellement retenues dans le camp de Roj en Syrie. La mesure de rapatriement ainsi demandée nécessiterait l’engagement de négociations avec des autorités étrangères ou une intervention sur un territoire étranger. Ainsi que l’a jugé le Conseil d’Etat par ordonnances n° 429668, 429669, 429674 et 429701 du 23 avril 2019, une telle mesure n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France en Syrie. En conséquence, la juridiction administrative n’est manifestement pas compétente pour en connaître. Il y a lieu dès lors de rejeter la présente requête par application des dispositions précitées de l’article L. 522-3 du code de justice administrative.»
En opportunité, nous ne nous prononçons pas.
Mais en droit, c’est surprenant. Refuser aussi expressément d’appliquer une décision de la CEDH par nationalisme juridique (en dépit des conventions internationales liant la France) devient usuel, mais à ce point, tout de même, c’est ébouriffant.
Source :
Tribunal administratif de Paris, ord., 22 décembre 2022, 2226431 (à voir ici sur Papers).