Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision triplement interessante, en matière ; de délégations de compétences au maire ; de préemption ; d’exception d’illégalité. Un arrêt « 3 en 1 », mais qui, loin de « dégripper » quoi que ce soit, s’avère au contraire cimenté par une stricte rigidité du Palais Royal :
- I. Donné c’est donné. La délégation du conseil vers le maire doit être expressément reprise par l’organe délibérant si celui-ci veut agir en ce domaine, en lieu et place du maire.
- II. Le Conseil d’Etat avait décidé en 2021 d’être souple sur les délégations données par l’intercommunalité aux communes (les délégations au maire s’appliquant à ces délégations données par l’intercommunalité… même si ces dernières sont postérieures à la délégation donnée par le conseil municipal à son maire). Aujourd’hui, en 2023, le Conseil d’Etat confirme que le malheur peut s’abattre sur ceux qui AVANT 2021 n’avaient pas eu la prescience d’anticiper sur cette nouveauté de 2021.
- III. OUI mais ne peut-on arguer de l’illégalité d’une décision antérieure (celle de la communauté de communes) par voie d’exception ? NON et sur ce point le Conseil d’Etat affine son mode d’emploi de l’arrêt CFDT Finances de 2018 limitant la possibilité d’évoquer par voie d’exception d’illégalité des vices de légalité externe affectant l’acte réglementaire (et ce même si sont encore ouverts les délais de recours contre ledit acte réglementaire évoqué ici par voie d’exception).
Un conseil municipal décide d’exercer le droit de préemption urbain en vue d’acquérir un bien immobilier : en jeu, le risque fort de disparition de la seule librairie du centre-ville de cette commune.
A ce titre le conseil municipal délibère.
OUI mais antérieurement, le conseil municipal avait délégué cette compétence au maire au titre des dispositions de l’article L. 2122-22 du CGCT.
Le maire était compétent. Et plus le conseil municipal.
OUI mais en délibérant, le conseil municipal n’a–t-il pas implicitement retiré au moins pour ce dossier sa délégation au maire et dans un même temps décidé d’exercer à sa place pour ladit dossier la décision de préemption ?
I. Donné c’est donné. La délégation du conseil vers le maire doit être expressément reprise par l’organe délibérant si celui-ci veut agir en ce domaine, en lieu et place du maire.
NON répond le Conseil d’Etat. Donné c’est donné. On peut reprendre, mais en ce cas il faut le faire sans doute avant et, en tous cas, explicitement. Citons un extrait sur ce point des futures tables du rec. telles que préfigurées par celles de la base Ariane :
« Il résulte des articles L. 2122-22 et L. 2122-23 (quatrième alinéa) du code général des collectivités territoriales (CGCT) et des articles L. 211-2 et L. 213-3 (premier alinéa) du code de l’urbanisme, dans leur rédaction alors applicable, que le conseil municipal a la possibilité de déléguer au maire, pour la durée de son mandat, en conservant la faculté de prendre à tout moment une délibération mettant fin explicitement à cette délégation, l’exercice des droits de préemption dont la commune est titulaire ou délégataire afin d’acquérir des biens au profit de celle-ci. Conseil municipal ayant délégué au maire l’exercice du droit de préemption urbain. Nouvelle délibération du conseil municipal décidant d’exercer ce droit. Le conseil municipal ne pouvait être regardé comme s’étant implicitement ressaisi de cet exercice alors qu’une décision de mettre fin à une délégation au maire du droit de préemption ne peut être prise que par une nouvelle délibération abrogeant de manière explicite la délégation consentie. »
II. Le Conseil d’Etat avait décidé en 2021 d’être souple sur les délégations données par l’intercommunalité aux communes (les délégations au maire s’appliquant à ces délégations données par l’intercommunalité… même si ces dernières sont postérieures à la délégation donnée par le conseil municipal à son maire). Aujourd’hui, en 2023, le Conseil d’Etat confirme que le malheur peut s’abattre sur ceux qui AVANT 2021 n’avaient pas eu la prescience d’anticiper sur cette nouveauté de 2021.
Autre ligne de défense pour la commune : la délibération de délégation au maire était antérieure à la délibération de l’intercommunalité (une communauté de communes) déléguant à la commune le soin de préempter ce bien. Hélas cette ligne ne pouvait tenir de nos jours. En effet, en 2021, le Conseil d’Etat faisait montre d’une audacieuse souplesse pour une vieille dame de cet âge, en posant que la délégation du conseil vers le maire peut être pour la durée du mandat (certes) et elle peut s’appliquer même aux délégations, postérieures, de l’intercommunalité vers la commune (ce qui était plus proche du double salto arrière puisque lors de la délégation initiale ce nouveau contenu était difficile à anticiper. Reste ce qu’était une souplesse louable, d’une part, et défendable puisque l’on peut dire que le Conseil municipal entendait bien déléguer toute compétence existante ou à venir en ce domaine).
Oui mais en 2016 et 2017… la commune et l’intercommunalité ne pouvaient connaitre cette souplesse inédite du Conseil d’Etat datant… de 2021.
Oui. Certes. Mais, schématiquement pour résumer sur ce point la position du Conseil d’Etat, tant pis pour la commune.
Vae victis.

III. OUI mais ne peut-on arguer de l’illégalité d’une décision antérieure (celle de la communauté de communes) par voie d’exception ? NON et sur ce point le Conseil d’Etat affine son mode d’emploi de l’arrêt CFDT Finances de 2018 limitant la possibilité d’évoquer par voie d’exception d’illégalité des vices de légalité externe affectant l’acte réglementaire (et ce même si sont encore ouverts les délais de recours contre ledit acte réglementaire évoqué ici par voie d’exception).
Par l’arrêt d’Assemblée « Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT », n° 414583, rec. p. 187, le Conseil d’Etat posait déjà, le 18 mai 2018 que :
-
- « Si, dans le cadre de la contestation d’un acte réglementaire par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure prise pour son application ou dont il constitue la base légale, la légalité des règles fixées par cet acte réglementaire, la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n’en va pas de même des conditions d’édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même et introduit avant l’expiration du délai de recours contentieux. »
Voir aussi ensuite dans la même lignée par exemple mais pour les actes de droit souple : Conseil d’État, 7 juillet 2021, n° 438712, à mentionner aux tables du recueil Lebon (voir ici cette décision et notre article d’alors).
On le voit, en l’espèce, la commune était donc mal engagée à tenter de soulever une éventuelle illégalité de la décision de la communauté ed communes (et même en pareil cas, la compétence eût été intercommunale et non communale, suppose-t-on ? Mais passons….).
Elle le tenta cependant avec une subtilité sur laquelle elle pouvait croire se fonder ; le délai de recours contentieux contre ladite délibération de la communauté de communes n’était pas expiré.
Peu importe, répond le Conseil d’Etat (décidément peu souple sur ce dossier), qui réitère son considérant (son point) de principe de 2018 avec juste la mention, supplémentaire, que le fait que peu importe que l’acte réglementaire susceptible de donner lieu à exception d’illégalité soit ou non encore attaquable directement en lui-même :
« 8. En troisième lieu, si, dans le cadre d’une contestation d’un acte règlementaire par voie d’exception, la légalité des règles fixées par l’acte réglementaire, la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n’en va pas de même des conditions d’édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même.
« 9. Il s’ensuit que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en rejetant comme inopérante l’invocation par voie d’exception d’un vice de procédure entachant la délibération du 29 septembre 2017 de la communauté de communes de Flandres intérieure ayant délégué à la commune de Bailleul l’exercice du droit de préemption urbain pour l’acquisition du bien en cause, alors même qu’à la date à laquelle le moyen a été soulevé, le délai de recours contentieux contre cette délibération n’était pas expiré. »
D’où là encore une mention aux tables du rec. à venir, avec une reprise de la formulation de 2018 agrémentée d’une précision supplémentaire :
« Si, dans le cadre d’une contestation d’un acte règlementaire par voie d’exception, la légalité des règles fixées par l’acte réglementaire, la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n’en va pas de même des conditions d’édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même. Par suite, l’invocation par voie d’exception d’un vice de procédure entachant une délibération est inopérante, alors même qu’à la date à laquelle le moyen a été soulevé, le délai de recours contentieux contre cette délibération n’était pas expiré. »
Voici cette décision :
Conseil d’État, 1er mars 2023, n° 462648, aux tables du recueil Lebon
Voir les conclusions de M. Arnaud SKZRYERBAK, Rapporteur public :
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