L’administration est tenue d’abroger un acte non créateur de droits , lorsqu’un tel acte est devenu illégal en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction.
Mais le Conseil d’Etat vient de poser qu’en revanche manque d’objet une demande d’abrogation d’un acte qui avait produit tous ses effets directs dès son entrée en vigueur.
Ce point n’est pas nouveau mais il tranche avec celles des jurisprudences de la Haute Assemblée qui semblaient imposer aussi une telle abrogation quand l’acte a cessé d’avoir des effets directs, si des effets indirects persistaient.
Mais ne sur-interprétons pas la portée de cette décision, nonobstant sa publication à venir en intégral au recueil Lebon. Car :
1/ cette décision porte sur les cas des actes ayant épuisé leurs effets directs dès l’entrée en vigueur desdits actes. Pas de ceux qui mettent quelques temps à épuiser leurs effets directs après leur entrée en vigueur. Mais il pourra servir d’analogie pour ceux qui veulent dans les autres cas réintroduire une distinction entre effets directs et indirects pour apprécier la recevabilité d’une demande d’abrogation d’un acte ayant fini d’avoir de toute manière des effets directs (mais ayant encore des effets indirects).
2/ en l’espèce nous sommes sur un cas de demande d’abrogation de la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait dont les effets indirects sont très indirects, surtout… 60 ans après les faits.
Un retrait d’acte est rétroactif, là où une abrogation concerne l’avenir.
Si l’on se concentre sur la seconde de ces catégories, celle de l’abrogation, retenons qu’il est obligatoire d’abroger un acte illégal, que celui-ci soit réglementaire ou individuel mais non créateur de droits, et ce dans les conditions fixées par l’article L. 243-2 du CRPA (Code des relations entre le public et l’administration ; voir aussi les articles L. 242-1 et suivants de ce même code).
Aux termes de cet article, en effet, l’administration est tenue d’abroger un règlement illégal (et la décision de refus de le faire sera censurée par le juge)… et il en va de même s’agissant des actes non réglementaires non créateurs de droits.
Un règlement illégal doit ainsi être abrogé et une décision de refus de le faire sera illégale, que l’illégalité ait été ab initio (voir par CE, Ass., 3 février 1989, Cie Alitalia, rec. 1989, p. 44) ou qu’elle soit intervenue à la suite d’un changement de fait ou de droit (CE, S., 10 janvier 1930, Sieur Despujol, n° 97263 et 5822, rec. p. 30)… sauf à ce que l’illégalité ait cessé.
Pour les actes individuels, tout dépend donc du point de savoir s’ils sont ou non créateurs de droits, donc.
NB 1 : rappelons qu’aux termes de l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’État Ternon (26 octobre 2001, n°197018), « l’administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de décision. Et il n’y aura — schématiquement — en ces domaines nulle abrogation sauf à la demande de l’intéressé.
NB 2 : la demande d’abrogation peut s’ajouter à un recours pour excès de pouvoir contre l’acte dont l’abrogation est demandée (CE, 17 mars 2021, n° 440208, publié au recueil Lebon) ou même donner lieu à un même recours joint dans des conditions fixées par CE, S., 19 novembre 2021, n° 437141, à publier au rec. [voir ici notre article et notre vidéo])
NB 3 : sur le sort des recours (encore pendants) contre un acte initial abrogé (et non retiré) ensuite voir Source : CE, 15 décembre 2021, n° 452209 et autres, à publier en intégral au recueil Lebon (voir ici notre article)
Tout ceci brosse déjà un paysage relativement complexe.
Mais s’y ajoute un autre paramètre à prendre en compte au contentieux.
Que se passe-t-il si l’acte dont l’abrogation est demandée cesse de recevoir application avant que le juge, saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre le refus de l’abroger, ait statué ? La réponse du juge est alors claire : ce recours perd son objet (CE, 2 mars 2020, n° 422651 ; voir ici).
De même il y a-t-il non lieu à statuer sur un refus d’abrogation d’un acte ayant cessé d’être applicable en cours d’instance (CE, 11 janvier 2006, n° 274282, rec. T. p. 1023 : même en cas d’effets indirects ou induits encore en cours précise cette décision). D’autres décisions semblaient quant à elles imposer une obligation d’abrogation en pareil cas en cas d’effet indirect en cours (CE, Section, 30 novembre 1990, Association « Les Verts », n° 103889, rec. p. 339).
Une décision importante vient de prolonger et d’affiner cette solution. Le Conseil d’Etat vient en effet de :
- 1/
confirmer qu’il « appartient à l’autorité administrative d’abroger un acte non réglementaire qui n’a pas créé de droits mais continue de produire effet, lorsqu’un tel acte est devenu illégal en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction » - 2/
préciser qu’en revanche manque d’objet une demande d’abrogation d’un acte qui avait produit tous ses effets directs dès son entrée en vigueur.
Ce point est essentiel : l’on prend donc en compte les effets directs de ladite décision à cette aune et non les effets indirects… ce qui revient à trancher en faveur de la jurisprudence de la décision 274282 précitée (rompant définitivement avec ce qu’était la lecture usuelle de l’arrêt 103889 susmentionné)… dans le cas particulier des actes produisant leurs effets directs dès leur entrée en vigueur. - 3/
pose qu’un décret prononçant la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait, pris sur le fondement de la loi du 10 janvier 1936 ou, aujourd’hui, de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure (CSI), produit tous ses effets directs dès la date de son entrée en vigueur… de telle sorte qu’une demande tendant à son abrogation ultérieure est sans objet alors même que, ainsi que le prévoit l’article 431-15 du code pénal, la participation au maintien ou à la reconstitution d’une association ou d’un groupement de fait dissous constitue un délit.
Mais ne sur-interprétons pas la portée de cette décision, nonobstant sa publication à venir en intégral au recueil Lebon. Car :
1/ cette décision porte sur les cas des actes ayant épuisé leurs effets directs dès l’entrée en vigueur desdits actes. Pas de ceux qui mettent quelques temps à épuiser leurs effets directs après leur entrée en vigueur. Mais il pourra servir d’analogie pour ceux qui veulent dans les autres cas réintroduire une distinction entre effets directs et indirects pour apprécier la recevabilité d’une demande d’abrogation d’un acte ayant fini d’avoir de toute manière des effets directs (mais ayant encore des effets indirects).
2/ en l’espèce nous sommes sur un cas de demande d’abrogation de la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait dont les effets indirects sont très indirects, surtout… 60 ans après les faits.
Voici cette décision
Voir aussi les (fort intéressantes) conclusions de M. Laurent DOMINGO, Rapporteur public :
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